Une campagne intitulée « Khaliha Tessadi » (laisse-la rouiller) lancée sur Facebook compte plus de 140 000 abonnés. Elle appelle à boycotter l’achat de voitures neuves dont la hausse vertigineuse des prix ne se justifie ni par la marque, ni par les options. « Les voitures neuves ont connu une hausse de prix de 40 %. Pourtant, la plupart de ces véhicules ont été importés bien avant la dévaluation de la livre égyptienne face au dollar », s’indigne Mohamad Radi, l’initiateur de cette campagne dont l’objectif est de sensibiliser la classe moyenne dont il fait partie. « Je me suis inspiré d’une campagne de boycottage de voitures neuves lancée en Arabie saoudite en 2009 », poursuit-il. Dans ce pays du Golfe, le niveau de vie est élevé ; pourtant, les Saoudiens ont réagi fermement face à l’avidité des concessionnaires qui savent bien que leurs compatriotes aiment changer de voiture tous les ans. Mais face à la pression sur les concessionnaires, ces derniers ne sont plus parvenus à vendre leurs véhicules ... jusqu’à frôler la faillite.
Sur la page Khaliha Tessadi, Radi est satisfait de la réaction positive des Egyptiens, qui provoque un effet boule-de-neige. Beaucoup pensent que ce n’est pas la fin du monde s’ils n’achètent pas de voiture neuve. « Avec mes amis, nous avons décidé de reporter nos projets d’achat d’une voiture neuve. Jusqu’à quand ? On ne sait pas ! », explique Mohamad Sélim, employé dans une société de pétrole. Il a donc décidé de procéder à quelques réparations sur sa voiture actuelle, pour 10 000 L.E. ou 15 000 L.E. maximum, au lieu d’acheter un véhicule neuf qui lui coûtera les yeux de la tête. « Ma voiture, je l’ai achetée en 2007 à 125 000 L.E. (15 000 dollars). Aujourd’hui, si je dois acheter la même, je devrai débourser 250 000 L.E. ! », s’exclame Sélim. « Il y a 3 ans, une voiture européenne valait 100 000 L.E. Désormais avec la même somme, il faut se contenter d’une marque chinoise », poursuit-il.
« Laisse-la rouiller », la campagne bat son plein sur Facebook.
La fièvre du « tout voiture » en Egypte revêt des considérations pratiques spécifiques au pays, avec l’évolution des nouvelles villes périphériques et le développement inégal des transports publics. Les concessionnaires en sont conscients et ils en profitent pour augmenter éhonteusement leurs prix. Selon le Capmas (Organisme officiel des statistiques), 4,1 millions de véhicules sont en circulation en Egypte. Le rapport Améc (Association mutualiste d’épargne et de crédit) indique quand même que les ventes de voitures neuves en Egypte ont connu une baisse de 50 % en un an, avec la dévaluation de la livre égyptienne face au dollar et à cause de l’inflation. L’agence Stop a été touchée par cette récession. Sur ses 5 succursales d’exposition-vente, 3 sont aujourd’hui fermées. Avant cette crise, cette agence écoulait 200 voitures par mois, contre 50 en ce moment.
Esclavage des concessions
Victimes de cette hausse des prix, les consommateurs ne veulent plus être soumis à l’esclavage des concessions. « Je viens d’achever les traites d’achat d’un appartement et je comptais m’offrir une voiture neuve grâce à un autre prêt bancaire. Mais en y réfléchissant bien, j’ai trouvé que cela n’était pas rentable, car cela absorberait mon épargne de 50 000 L.E. en plus du remboursement du crédit sur 3 ans, à raison de 2 500 L.E. par mois », confie Ahmad, 26 ans, graphiste. Pour lui, débourser 140 000 L.E. pour une Renault Logan importée de l’accord d’Agadir est inadmissible. Cet accord stipule que les voitures de marque Renault assemblées au Maroc sont exonérées de taxes douanières à leur entrée en Egypte et que le coût de ce véhicule est fixé à 80 000 L.E., soit bien loin des 140 000 L.E. actuelles. Ahmad a mené son enquête pour connaître les raisons de cette hausse des prix : il s’est révélé que les 60 000 L.E. supplémentaires sont des taxes locales. Ahmad, avec son salaire de 4 000 L.E., estime par ailleurs qu’il travaillera donc « seulement pour couvrir les frais d’entretien de la voiture ».
Ayman Saad, comptable, confie de son côté avoir du mal à déterminer un budget pour l’achat d’une voiture neuve à cause de la hausse incessante des prix. « J’ai participé à plusieurs tontines avec de l’argent hérité, pensant pouvoir m’acheter comptant une Mitsubishi à 128 000 L.E. en août 2015. J’ai été retardé dans mes projets et à ma grande surprise, au début de l’année 2016, son prix avait atteint les 170 000 L.E. », dit-il, outré. « Cette hausse des prix ne correspond pas à la hausse du cours du dollar », poursuit-il. Alors que le billet vert s’échangeait à environ 7,80 L.E. en 2015, des concessionnaires sans scrupules l’ont estimé à 9 L.E., c’est-à-dire qu’ils ajoutent 50 000 L.E. minimum au prix d’un véhicule. Le jeune homme a fini par changer d’avis et a préféré épargner pour bénéficier des intérêts bancaires.
Cette hausse extravagante du prix des voitures en a fait un produit de luxe. Pourtant, « essayez de comparer les prix d’une Kia Cerato qui coûte aujourd’hui 240 000 L.E. à une Mercédès C 180 à 290 000 L.E. il y a trois ans! La qualité n’a rien à voir avec elle », lance Adel Azmi, employé dans une ONG. Azmi a donc décidé d’acheter une moto pour 17 000 L.E. dont il fait le plein d’essence une fois par semaine à 20 L.E. « Rouler en moto est plus pratique pour moi, je ne parcours que 60 km par jour. La moto me permet en fait d’économiser du temps et de l’argent », ajoute-t-il.
Mille prétextes
Par ailleurs, les commerçants avancent mille prétextes pour justifier leur hausse des prix, mais sans mentionner celle des taxes locales. « Le dollar est la seule devise qui nous permet de procéder aux commandes de voitures. A commencer par l’usine qui les a fabriquées, en passant par les différents ports d’embarquement et de débarquement. Ensuite, il y a la douane qui joue un rôle important quant au prix de vente à fixer en fin de chaîne », explique Mohamad Hachich, responsable des ventes dans une agence au bord de la faillite. Selon Hachich, faire du commerce de voitures c’est devoir constamment ajuster les prix en fonction du prix du dollar. De plus, le commerçant doit disposer constamment de réserves en dollars pour passer ses nouvelles commandes.
Selon un rapport économique publié sur le site dotmasr, au cours de l’année 2014-2015, les importations de voitures ont été évaluées à 1,6 milliard de dollars en Egypte. « C’est parce qu’on ne fabrique pas de voitures en Egypte et que toutes les pièces servant au montage de véhicules en Egypte sont importées », justifie Farid Awad, économiste. Une situation qui a développé le marché des voitures d’occasion. Des groupes sur les réseaux sociaux encouragent à l’achat des véhicules de seconde, voire troisième main. « J’en ai acheté une qui m’a coûté 70 000 L.E. Elle a deux ans et n’a roulé que 50 000 km », raconte Inès, enseignante, qui se considère bien chanceuse d’être tombée sur une telle aubaine. D’autres cherchent des voitures à plus bas prix, entre 15 000 et 20 000 L.E. Mais c’est surtout l’état du moteur qui compte. « J’ai emmené avec moi un mécanicien lors d’achat, pour qu’il s’assure de l’état du moteur et du fait qu’elle pourra rouler encore 5 ans sans problème », dit Hassan, employé dans le privé. Pour lui, le marché de l’occasion est appelé à se développer et contribuera peut-être à résoudre le problème des embouteillages au Caire.
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