Genève,
De notre correspondante —
Rien de tel que de vivre l’ambiance toute particulière du Ramadan au Caire : les cafés anciens, les musiciens qui jouent dans la rue, les feuilletons télévisés, etc. Mais lorsqu’on vit à l’étranger, le Ramadan a une toute autre allure. Genève est une charmante ville avec une communauté musulmane assez hétérogène. Mona Al-Ghazali, épouse d’un diplomate égyptien résidant dans la ville, raconte comment on vit le Ramadan dans une ville européenne. « Chez nous, le coucher du soleil est prévu aux environs de 21h30 », dit-elle. Cependant, un célèbre cheikh de La Mecque a émis un avis religieux permettant aux musulmans résidant à l’étranger de rompre le jeûne selon les horaires de cette ville sacrée, à la seule condition que la durée du jeûne dépasse les 15 heures, ce qui est le cas en Suisse.
« Il y a quelques années, nous avons essayé de rompre le jeûne au coucher du soleil, comme cela se fait en Egypte. Mais nous n’avons pas réussi à jeûner tout le mois », ajoute-t-elle. Et de poursuivre : « Prendre un premier repas à 21h30 et un second à 2h ou 3h du matin pour se préparer au jeûne du lendemain, c’est compliqué. Il n’est pas question pour nous de faire des fritures ou des grillades au moment du sohour, car l’odeur pourrait indisposer nos voisins. De plus, il faut se réveiller tôt le matin à 6h30, préparer les enfants, les emmener à l’école, se rendre au travail, et surtout être productif. Ce rythme est difficile à suivre, et c’est la raison pour laquelle nous ne pouvions pas respecter ce jeûne tout le mois ». Pour elle, il n’est pas question d’utiliser le jeûne comme prétexte pour traîner au travail et tout doit « fonctionner normalement », car les Suisses ne sont pas concernés par le Ramadan. « Cet avis religieux de La Mecque a été pour nous une bouée de sauvetage », dit Mona. Hala Mansour, ancienne employée au bureau d’Egyptair à Genève et voisine de Mona, affirme qu’elle fait de son mieux pour se rapprocher de Dieu. « Mes trois fils sont mariés à des étrangères et l’on n’a jamais chez nous de discrimination entre musulmans et chrétiens », dit-elle.
Une troisième culture
Mona Al-Ghazali tient à parler du changement qui s’est opéré en elle : « Quand je suis au Caire et que je rencontre mes amies de classe, je constate qu’on ne se comprend plus. Je remarque une culture plus ou moins fermée, attachée aux apparences plutôt qu’à l’esprit de la religion. Ici à Genève, il n’est pas facile pour nous de pratiquer nos rites musulmans tel que nous le faisions dans notre pays. On s’est créé une troisième culture ». Et d’ajouter : « Quand on porte en soi de la spiritualité et de la religiosité, on sait où l’on veut aller et où s’arrêter. Du moment que l’on décide d’agir d’une certaine manière, on ressent une sorte de paix intérieure. Dieu est clément et miséricordieux. Lui seul connaît nos intentions ».
Cette troisième culture permet de respecter des codes de la société suisse sans jugement aucun. « Quand on choisit d’élever ses enfants dans une société ouverte, il faut savoir être tolérant. On a enraciné dans l’esprit de nos enfants les valeurs riches de notre religion et nous leur faisons confiance ». Beaucoup de familles donnent à leurs enfants des valeurs comme le respect des parents, la perception de la famille, le respect d’autrui et l’acceptation de la différence. « Si on ne se montre pas tolérant, on risque de les perdre. Mais il n’est pas toujours facile de tenir le bâton par le milieu », ajoute Hala Mansour.
Mona Al-Ghazali tient à parler de ses enfants et de leur quotidien. « Ici, mes filles sont beaucoup plus préoccupées par leur avenir ». Elle saisit l’occasion pour présenter Héba, la fille d’un couple d’amis, qui vit depuis deux ans seulement à Genève. Héba Kamel est une jeune Egyptienne de 17 ans, arrivée en Suisse pour terminer ses études. Etudiante en dernière année dans une école allemande, elle pense rejoindre, dès l’année prochaine, la faculté de mass medias dans la Suisse alémanique. « Passer le Ramadan en Egypte, c’est dormir tard et se réveiller tard, regarder les feuilletons à la télé, sortir presque tous les jours avec des amis. Ici, c’est différent. Je suis la seule musulmane en classe. Aller à l’iftar chez des amis à mes parents et regarder la télévision égyptienne sont les seules choses qui me font ressentir que nous sommes au mois du Ramadan. Je fais de mon mieux pour respecter les cinq prières de la journée et le jeûne, comme je l’ai toujours fait dans mon pays », déclare Héba.
« Fière d’être née en Egypte »
Les plats égyptiens apparaissent à nouveau pour ce mois sacré du Ramadan : salades orientales, taamiya, aubergines, atayef.
En fait, dans les classes secondaires des écoles en Suisse, des débats ont régulièrement lieu autour de questions existentielles de la vie : l’existence de Dieu, le pourquoi de la création, les différences entre les peuples et les cultures, et jusqu’où peut aller la liberté individuelle de quelqu’un, etc. « Moi aussi, je me pose des questions de ce genre et les arguments de mes camarades sont forts. Je suis fière d’être née en Egypte et d’avoir grandi au sein d’une famille qui m’a bien formée religieusement. Ce n’est pas parce que j’ai assisté à quelques-uns de ces cours que mes croyances et mes convictions vont être bouleversées. Je lis et relis le Coran et je vois mon entourage faire les cinq prières et respecter le jeûne, du coup, l’équilibre se fait de lui-même. Nous les Egyptiens, nous sommes venus dans un pays étranger pour y vivre, et nous savons que nous sommes différents des Suisses. Notre devoir est de les respecter, admettre cette différence sans vouloir changer leurs croyances ou leurs convictions. Je suis fière de ce que j’ai acquis et je ferai sûrement la même chose avec mes enfants », poursuit Héba.
Les Egyptiens de Genève tiennent à leurs convictions religieuses acquises en Egypte. Mais apparemment, il manque quelque chose. Hala Mansour tient pourtant à signaler une chose importante. « J’ai lu et relu le Coran des dizaines de fois. Et j’avoue qu’il y a plein de choses que je ne comprends pas. La langue arabe est difficile, et il y a toute une base historique, sociale et religieuse que je n’arrive pas à saisir. Je voudrais m’asseoir avec un expert pour qu’il puisse m’aider à mieux comprendre le livre de Dieu, parce que je le trouve très beau. Je voudrais aussi savoir ce que le prophète Mohamad a réellement dit. On a besoin ici de mieux comprendre notre islam, parce qu’en réalité, c’est une religion modérée, pleine de richesse, d’humanisme et de tolérance », conclut-elle.
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