« V
ous ne devez pas jeûner … Je voudrais quand même essayer … Non, vous ne pouvez pas … Si je fais une hypoglycémie ou hyperglycémie, je cesserai le jeûne … ». Tel est le dialogue typique entre un diabétologue et son patient en période du Ramadan. Comme chaque année, et trois mois avant le début du mois de jeûne, Fatma, 43 ans, se rend chez son médecin traitant pour savoir si sa santé lui permet de passer plus de 10 heures sans s’alimenter. Cette femme a commencé à souffrir du diabète dès l’âge de 20 ans. Elle a souvent des complications et son taux de glycémie n’est jamais stable. «
Je fais soit des hypoglycémies, soit des hyperglycémies », dit-elle. Pourtant, Fatma essaie de convaincre son médecin que «
c’est le mois sacré de l’année, et si je ne jeûne pas, je me sentirai exclue avec l’impression de ne pas être une musulmane comme les autres ».
En effet, le diabète touche un grand nombre d’Egyptiens. Leur nombre augmente d’un jour à l’autre, et selon l’OMS et le rapport de la Fédération internationale du diabète et l’Alliance internationale pour le diabète et le Ramadan, 19 % de la population égyptienne souffraient de diabète en 2014. Or, souvent, les patients diabétiques insistent à jeûner malgré les risques qu’ils encourent pour leur santé, alors que d’après le cheikh Farrag Abdel-Maaboud, professeur à l’Université d’Al-Azhar, le Coran mentionne dans la sourate Al-Baqara (la vache), versets 183 et 184, ce qui suit : « Ô vous qui croyez ! Le jeûne vous est prescrit comme il a été prescrit aux générations qui vous ont précédés ... Et quiconque d’entre vous est malade ou en voyage jeûnera ensuite un nombre égal de jours ... ».
Face à l’insistance de Fatma, le médecin a dû reprogrammer le temps de prise de ses médicaments tout en lui changeant le type d’insuline pour éviter toute complication.
Le Ramadan n’est pas interdit aux diabétiques, mais ils doivent se préparer à cette étape, au moins 3 mois à l’avance avec les conseils d’un médecin. Ce suivi médical est nécessaire pour éviter les problèmes, car durant ce mois de jeûne, le rythme des repas n’est pas le même et le système de sommeil est altéré. Ce qui peut provoquer des hypoglycémies (taux de glycémie à 70 mg/dl ) ou des hyperglycémies (taux atteignant les 250 mg/dl ou plus). « Si le patient n’est pas suivi par un médecin, il risque une hypoglycémie. Elle se manifeste par des tremblements, des sueurs, des maux de tête, des palpitations cardiaques, des troubles de la vision, une pâleur, des vertiges et des troubles du comportement », signale le Dr Hicham Al-Hefnaoui, président de l’Institut national du diabète au Caire.
Et ce n’est pas tout. Lors de la rupture du jeûne, les gens ont tendance à trop manger. Cette situation entraîne une surcharge calorique élevée qui peut entraîner une hyperglycémie. « Si la dose d’insuline n’est pas adaptée pour faire face à une quantité trop importante de glucose, l’organisme ne pourra plus utiliser ce glucose pour nourrir ses cellules », ajoute Al-Hefnaoui, tout en précisant qu’au cas où le diabétique ferait une hypoglycémie ou une hyperglycémie, il doit immédiatement cesser le jeûne et demander conseil à son médecin.
Surveiller la déshydratation
Cette année, le Ramadan tombe en été, et donc sous une température qui peut souvent dépasser les 40 degrés. La prudence est requise, surtout pour les plus fragiles, car le jeûne implique de passer 16 heures sans boire ni manger. Chaque diabétique ayant reçu un feu vert médical pour jeûner est appelé à contrôler son taux de glycémie avant le repas de rupture du jeûne (iftar) durant la journée. Car un excès de sucre et de corps cétoniques dans les urines indique une situation alarmante. Le patient doit également surveiller les signes de déshydratation : une soif intense, des vertiges, des épisodes de fatigue, des maux de tête ...
Quinze jours avant le mois du Ramadan, Mohamad a fait des examens sanguins pour vérifier l’état de son diabète. Les résultats ont été satisfaisants. Il a décidé de jeûner un à deux jours pour tester sa résistance jusqu’à 18h50 sans faire de malaise. « Le premier jour, j’ai ressenti une petite fatigue. Les jours suivants, je n’ai fait ni hypoglycémie, ni hyperglycémie », précise Mohamad, qui s’alimente normalement à 3 ou 4 reprises par jour. A la rupture du jeûne, Mohamad évite donc de trop manger. Il commence par un bol de soupe, puis attend deux heures avant de toucher au plat de résistance composé généralement de viande blanche ou rouge (grillée de préférence), d’une salade légèrement vinaigrée et de quelques cuillères de pâtes ou de riz complet. Deux heures plus tard, Mohamad avale un fruit. Avant le repas de l’aube (sohour), il se délecte d’un plat de fèves, de 5 olives, d’un oeuf, d’une tranche de pain noir et d’un yaourt avec une boisson sucrée.
Car il est essentiel, pour supporter sa nouvelle journée de jeûne, que le diabétique équilibre précisément ses repas avec « entre 45 à 50 % de sucre, 20 à 30 % de protéine et moins de 35 % de graisse … C’est l’assiette modèle pour les diabétiques », indique le Dr Slim Salama, médecin responsable de l’Unité des maladies non transmissibles auprès du bureau régional de l’OMS.
Pour ceux qui ne respectent pas ce régime, leur état de santé peut être mis à l’épreuve. Les yeux cernés, le visage pâle et le corps chétif, Abdel-Wahab, 55 ans, oublie souvent sa dose d’insuline avant l’iftar et le sohour. Il ne peut pas non plus se passer de sucreries après l’iftar. Un jour, durant le jeûne, Abdel-Wahab a échangé quelques balles avec ses amis, en guise d’exercice physique. L’effort physique a été plutôt important, et il a fait une hypoglycémie. Transporté aux urgences, son médecin traitant lui a conseillé de ne plus jeûner. Mais le voilà maintenant psychologiquement affecté : en plus de son diabète, il lui est interdit aussi de partager pleinement ce mois sacré avec sa famille.
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