« L’une des recommandations de la conférence de la protection de l’enfant pour contrer la radicalisation, tenue en mars 2015, a été de créer un magazine pour promouvoir une morale humaniste pouvant constituer le meilleur rempart contre les idées obscurantistes. L’objectif : éveiller les consciences des enfants et leur apprendre à réfléchir avec discernement », explique Noha Abbas, scénariste et rédactrice en chef du nouveau magazine pour enfants Nour (lumière). Aussitôt dit, aussitôt fait. Aujourd’hui, ce magazine est disponible sur le marché. C’est l’Association des diplômés d’Al-Azhar, parrainée par Ahmad Al-Tayyeb, imam d’Al-Azhar, qui a créé ce magazine mensuel. « Notre objectif est d’introduire des personnages et des histoires transmettant des idées tolérantes pour contrer la violence et les images choquantes que certains médias diffusent, montrant des enfants portant des armes dans différents pays du monde arabe », explique Ahmad Abdel-Hamid, travaillant au secrétariat de rédaction. Cette publication s’adresse à tous les enfants d’Egypte, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. « Il s’agit de transmettre des idées éclairées qui contribuent au développement de la personnalité et au respect des droits humains », signale Noha, l’objectif du magazine.
En effet, ce magazine, dont le premier numéro est apparu au mois de novembre 2015, est le dernier-né de la presse pour enfants en Egypte. Une presse dont les débuts remontent au siècle dernier (voir encadré). Il y a actuellement une dizaine de publications pour enfants en Egypte. Et à chacune ses lecteurs. Le magazine Nour s’adresse aux enfants de 8 à 18 ans, tout comme les magazines Qatr Al-Nada, Alaaeddine, Farès et Magued. Quant aux publications étrangères traduites en arabe, comme Princesse, Winnie the Pooh et les publications de bandes dessinées, elles s’adressent aux enfants âgés entre 7 et 12 ans. Il faut encore mentionner les magazines Mickey et Samir, qui sont parmi les plus anciens sur le marché, bien qu’ils n’aient plus le succès qu’ils avaient dans les années 1950 et 60 comme le pense Chahira Khalil, rédactrice en chef du magazine Samir.
Aujourd’hui, la presse pour enfants fait face à de nombreux défis. Le Forum arabe des éditeurs de livres pour enfants affirme dans une récente statistique que l’enfant arabe ne lit que 7 minutes en moyenne par an, alors que l’enfant américain passe 6 minutes en moyenne par jour à lire. Hachem, élève en troisième primaire, a décidé de se passer de la lecture. La lecture lui rappelle les révisons monotones de leçons ou l’apprentissage par coeur pour obtenir de bonnes notes. « Pour moi, faire de la lecture est une perte de temps. Moi, je veux m’éclater ou passer des moments agréables avec mes copains », confie l’enfant qui déteste la lecture, alors que son père fait tout pour l’inciter à lire. « Jadis, les moyens de divertissement n’étaient pas aussi nombreux qu’aujourd’hui. Nous n’avions ni télé, ni Internet pour passer le temps. La lecture a contribué à nourrir notre imagination et nous a permis de nous ouvrir aux autres cultures », explique Ahmad Zayed, sociologue de 65 ans. Il raconte qu’à l’époque, il attendait avec impatience le magazine Samir. Aujourd’hui, il suffit d’un clic sur un ordinateur ou un cellulaire pour qu’un enfant obtienne ce qu’il veut et sans le moindre effort. Beaucoup d’enfants préfèrent jouer à l’IPad que de lire. « J’ai un cellulaire, un IPad et un appareil de jeu d’interaction corporelle X Box. Je préfère y jouer plutôt que lire », souligne Omar, en sixième primaire, et qui préfère que sa maman lui lise une petite histoire le soir pour l’aider à s’endormir.
Une distribution en baisse
La distribution des magazines pour enfants est aujourd’hui en baisse. « Mickey occupe encore la première place parmi les publications hebdomadaires, du point de vue de la distribution. Cependant, la distribution de ce magazine a connu, durant l’année passée (estimation des années 2014-2015), une baisse de 10 % », confie Ragab Mohamadi, directeur général de la distribution à Al-Ahram. Ce qui aggrave la situation c’est que les prix des magazines ont augmenté de 5 L.E. à 10 L.E. Mohamadi ajoute qu’aujourd’hui, les conditions sont difficiles pour la presse en papier en général, et la presse pour enfants en fait partie. La classe aisée achète de plus en plus de magazines étrangers. Fait révélateur : « Les magazines pour enfants impriment en tout 1 million d’exemplaires, selon les statistiques du Capmas. Or, il y a 32,5 millions d’enfants en Egypte », signale Noha Abbas. Certains magazines égyptiens ont décidé d’agir pour faire face à la crise, à l’exemple de Alaaeddine, paru en 1994, et Bolbol paru en 1998 et qui a changé de nom pour s’appeler Farès en 2014. « Ces hebdomadaires sont devenus mensuels depuis 3 ans, pour réduire les coûts d’impression et de publication », explique Ihab Hussein, directeur de rédaction technique à Alaaeddine. Selon Ossama Farag, ancien journaliste à Alaaeddine, ce magazine a connu à ses débuts des périodes de gloire. « Nous avions 5 000 amis qui nous transmettaient du courrier, et j’étais responsable de la rubrique Banque des idées magiques », affirme Farag. Il se souvient encore de cette période où les téléphones n’arrêtaient pas de sonner dans les locaux. Mais aujourd’hui, les choses ont changé et la presse pour enfants en Egypte est en crise. Des raisons économiques et techniques expliquent cette situation. Un magazine de bandes dessinées nécessite un budget important. De plus, les publications pour enfants n’attirent pas le secteur privé pour faire de la publicité. « Les magazines pour enfants sont un service rendu aux enfants et il ne faut pas s’attendre à faire du profit avec. Le plus souvent, on perd de l’argent », affirme Fawaz, dessinateur de renom.
Mauvais scénarios
Autre point important, le niveau des scénarios pour enfants n’est plus satisfaisant depuis la disparition d’écrivains comme Yaacoub Charouni et Kamel Kilani. « Dans ma famille, les enfants critiquent le contenu des magazines qu’ils lisent. Ils trouvent qu’ils manquent de suspense », explique Ayman Al-Qadi, dessinateur. Il affirme continuer à dessiner et à écrire des scénarios inintéressants uniquement pour gagner sa vie. Et s’il veut lire, il préfère choisir des magazines étrangers ou suivre des dessins animés sur des chaînes privées.
Le manque de créativité est venu également s’ajouter à ces problèmes. Les magazines pour enfants n’ont pas réussi à créer un personnage qui puisse capter l’attention des enfants et les pousser à lire. Aujourd’hui, l’équipe de Nour cherche à créer un tel personnage et a demandé aux dessinateurs et scénaristes d’y contribuer. « Nous pensons également connecter le magazine Nour à l’application Epicmar sur portables et IPad. Ainsi, l’enfant pourra scanner une partie du magazine. Et grâce à cela, il pourra écouter une histoire ou suivre une vidéo qui présente d’autres détails sur le sujet traité », explique Abbas. Par ailleurs, la direction du magazine étudie avec l’Académie des recherches scientifiques la possibilité de créer des dessins animés dont les personnages s’identifient à ceux du magazine Nour, pour que l’enfant s’habitue à recevoir l’information de manière à la fois pédagogique et comique.
Les magazines anciens tentent aujourd’hui de reprendre du poil de la bête. Ils ont créé des pages sur Facebook qui transmettent des idées ou des sujets qui intéressent les lecteurs. « Depuis février 2015, nous avons entrepris de renouveler le magazine Alaaeddine en reprenant d’anciennes rubriques qui garantissent une certaine interaction avec le lectorat. On offre également un CD qui raconte une histoire et un petit livre de coloriage », mentionne Ragab Mohamadi. Et d’ajouter que cette nouvelle stratégie a permis de sextupler les ventes, surtout pendant les vacances d’été. Une lueur d’espoir pour cette presse qui souffre d’innombrables maux.
Une presse centenaire
La presse pour enfants remonte au siècle dernier. En effet, c’est au début du XIXe siècle que Rifaa Al-Tahtawi, un Azharite, pionnier de la renaissance et connu pour son esprit éveillé et son goût pour les études scientifiques, crée, à l’époque de Mohamad Ali, Rawdet Al-Madaress Al-Masriya, un magazine destiné aux écoles, abordant des sujets tels que l’application au travail et la discipline, et utilisant un vocabulaire facile pour que les élèves puissent comprendre. Il faudra ensuite attendre l’année 1952 pour qu’un autre magazine voie le jour sous le nom de Sindbad. Celui-ci rassemble alors toute la première génération de dessinateurs. Hussein Bicar, dessinateur et créateur du personnage de Sindbad, a compris que l’image est un facteur important pour transmettre des informations à un enfant. « Sindbad publiait des contes illustrés, des jeux, un courrier des lecteurs et même des bandes dessinées. Mais ce magazine n’a pas duré. Sa publication s’est arrêtée à cause du manque de distribution », relate Chahira Khalil, rédactrice en chef du magazine Samir. Les années qui suivent voient apparaître plusieurs autres magazines, dont les plus célèbres sont Mickey et Samir. En 1956, Nadia Nachaat, fondatrice de Samir, crée un département dépendant de Dar Al-Hilal, chargé de la distribution de ce magazine aussi bien en Egypte qu’à l’étranger. Les années 1990 voient arriver d’autres magazines comme Bolbol et Alaaeddine, mais cette époque est surtout marquée par une crise financière.
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