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Mères : La bataille pour la normalité

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 22 mars 2016

Avec cinq enfants handicapés à charge, démunie et pratiquement seule, Intéssar accepte son destin et relève le défi : Faire en sorte qu'ils mènent une vie normale. Depuis plus de 20 ans, elle n'a jamais perdu espoir.

Mères : La bataille pour la normalité
La famille d'Oum Mohamad.

C’est à 16 ans qu’Intéssar a mis au monde son fils Ragab. Mariée à son cousin et aujourd’hui âgée de 43 ans, elle a ensuite eu quatre autres enfants : deux garçons et deux jumelles, tous handicapés. A cinq reprises, elle est passée par la même expérience amère. Cette femme modeste, issue d’un quartier populaire, mène une vie dif­ficile à Ezbet Abou-Gharib, au sud du Caire, dans un quartier où sévissent la pauvreté et l’ignorance.

Elever cinq enfants handicapés est un fardeau qui aurait pu détruire la vie d’Oum Mohamad, comme on la surnomme. Mais cette situation a au contraire créé en elle une force extraordi­naire, qui, au fil des ans, s’est amplifiée. Son fils est né avec une main sans doigts. Petit à petit, elle lui a appris à utiliser sa seule main fonction­nelle. Et à l’âge de quatre ans, lorsqu’elle l’a inscrit à la crèche, l’enseignante a remarqué qu’il était également handicapé mental. Un choc pour Oum Mohamad qui venait de mettre au monde un second garçon. « Personne ne s’atten­dait à ce que le nouveau-né soit anormal », dit-elle. Plus tard, Mohamad a été pris d’une crise d’épilepsie qui dévoilera la maladie à ses parents. Quatre ans plus tard et juste avant que les parents ne découvrent que leur deuxième enfant souffre de déficience mentale, ils reçoi­vent un autre cadeau du ciel : Adel, leur troi­sième fils. Et le même scénario se répète : Adel souffre du même syndrome de déficience men­tale que son frère Mohamad. Après une autre grossesse, des jumelles arrivent : Naglaa et Soha, aujourd’hui âgées d’environ 14 ans.

Oum Mohamad ne s’est jamais éloignée de la ruelle où elle a grandi. Lorsqu’elle s’est mariée, elle a déménagé dans une maison à côté de ses parents. Aujourd’hui, elle serait capable d’aller jusqu’au bout du monde, si cela pouvait aider de quelque manière ses enfants. Une force qui n’ap­paraît pas dans son allure, avec un visage tou­jours serein et une voix douce. Mais lorsqu’on la voit avec ses enfants qui tournent autour d’elle, comme des planètes attirées par le soleil, on peut comprendre les épreuves vécues. On ne la voit jamais seule, et son temps est consacré à un seul but : améliorer et faciliter la vie de ses enfants. Elle a toujours rendez-vous avec un médecin, un entraîneur, un professeur ou un psychiatre. On peut la rencontrer devant une école où elle attend l’une de ses filles ou accompagne l’un de ses fils. Tous les jours, elle accompagne l’un d’eux à une séance de physiothérapie ou d’or­thophonie. Sinon, elle est chez elle en train d’aider ses enfants à réviser ou à leur faire répé­ter des exercices physiques. Un mode de vie qui n’a pas changé depuis une vingtaine d’années.

Elle a frappé à toutes les portes

Aujourd’hui, Ragab et Mohamad sont mariés. Ils vivent chacun dans un appartement, dans la même maison familiale, avec chacun un enfant. Tandis que Adel travaille avec son oncle. « Je pensais qu’un enfant handicapé était un cadeau du ciel. Qu’il soit malade ou pas, c’est tout de même mon enfant. Je n’ai même pas cherché à réfléchir ou comment agir, une voix intérieure me répétait qu’avec de la bonne volonté on peut changer beaucoup de choses », s’exprime cette mère qui a quitté l’école très tôt pour se marier, mais qui réfléchit avec sagesse. Elle n’a jamais perdu espoir et c’est là son secret. Elle a frappé à toutes les portes pour éduquer ses enfants. Les écoles publiques ne les ont pas acceptés, alors elle est allée voir les écoles pour déficients men­taux. Ragab a pu continuer jusqu’en deuxième année secondaire, Mohamad et Adel un peu moins et les jumelles sont encore scolarisées même si elles n’assistent pas aux cours tous les jours. Elle aussi doit être très présente à cause des crises d’épilepsie de ces dernières. Pour la même raison, elles doivent dormir avec elles dans le même lit.

Oum Mohamad a insisté pour que ses enfants gouttent à la normalité, alors ils ont fait ou font du sport : basket et tennis de table, avec même des médailles décrochées. « Mes enfants et moi, nous étions exposés à toutes sortes d’humilia­tions et de stress. Mais à aucun moment, je n’ai baissé les bras. Je continuais à lutter car l’autre choix impliquait une lente mort psychologique », commente Oum Mohamad qui a insisté sur le fait de marier ses deux garçons aînés pour qu’ils ne se sentent pas différents des autres. Même si c’est elle qui prend soin de leurs familles malgré ses revenus modestes.

Oum Mohamad n’a jamais eu le luxe de se reposer. Avec amour et espoir, elle continue son combat pratiquement seule, car son époux est quasiment toujours absent. Quand il est présent, il n’a pas la force de faire autant de choses à la fois pour l’éducation de ses enfants. Mais Oum Mohamad a toujours été soutenue par sa famille dans ses moments de faiblesse. Ni le manque d’argent, ni la fatigue ne l’ont arrêtée. Elle a toujours su se débrouiller. Mais alors qu’elle avance en âge, elle redoute de tomber malade ou de mourir et laisser ses enfants livrés à leur sort. « J’ai peur de ce jour mais je ne dois pas laisser la peur me vaincre », confie-t-elle.

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