S’il vous plaît, où se trouve le 17 de la rue Ibn Sina ? ». A cette question posée aux passants, la réponse est étonnamment invariable dans ce quartier d’Héliopolis : « Ah, vous cherchez Al-Maqarr ? ». Le vendeur d’un kiosque, installé quelques rues plus loin, ajoute : « On a fini par s’habituer, toute personne étrangère à ce quartier ne peut être qu’un des clients d’Al-Maqarr. Chaque jour, on voit des dizaines de personnes s’y rendre et c’est ainsi depuis quelques années ».
Arrivé au dixième étage de l’immeuble, devant les locaux d’Al-Maqarr, rien n’indique la nature des lieux. A l’intérieur de l’appartement, l’activité fait penser à celle d’une ruche où chacun est occupé à diverses tâches. Dans les couloirs, des personnes sortent ou entrent dans des pièces ; certains étudient tandis que d’autres travaillent. Du café est préparé dans une kitchenette, et pour le repos une vaste terrasse avec vue panoramique est disponible. Dans cet espace de travail collectif (Co-working Space), l’idée est d’offrir un espace de socialisation comparable à celui d’une entreprise, qui rassemble les énergies de travailleurs indépendants ou étudiants. Selon Wikipédia, le coworking est une organisation du travail qui regroupe deux notions : un espace de travail partagé, mais aussi un réseau de travailleurs encourageant l’échange et l’ouverture. Il fait partie de l’un des domaines de l’économie collaborative.
Al-Maqarr est l’un des nombreux espaces de travail collectif qui se développent depuis quelque temps en Egypte. « Nous sommes quatre amis, notre ambition était de monter un projet en commun. Et vu les difficultés rencontrées pour nous réunir dans un lieu convenable et discuter de nos projets, on a décidé de créer ce lieu qui présente un service aux gens », explique Ahmad Khaled, l’un des fondateurs d’Al-Maqarr, inauguré en 2008, et pionnier dans ce domaine. A ce jour, Al-Maqarr est destiné aux étudiants qui se retrouvent pour préparer leurs examens et aux professionnels indépendants.
« Ici, on se sent comme chez nous sans être à la maison », dit Bassam, un lycéen qui loue avec un camarade un petit espace pour étudier dans la tranquillité. En effet, le lieu est divisé en compartiments de superficies différentes et loués à l’heure, au jour ou au mois, selon les besoins. Ils sont équipés de bureaux, tables, chaises, wi-fi, photocopieuses, imprimantes ... bref, tout ce qui permet d’accomplir un travail sérieux dans une atmosphère sereine propice à l’activité intellectuelle. D’après Hicham, assistant de réception, le lieu offre beaucoup plus que des services matériels. Il le compare à une petite communauté constituée d’un grand nombre de personnes qui peuvent se connaître ou pas et peuvent échanger des services. Autrement dit, un cercle de connaissances en renouvellement continu. Ce qui explique pourquoi les murs sont couverts de tableaux avec les centaines de cartes de visites de ceux ayant à un moment donné loué les lieux. N’importe qui peut utiliser ces contacts. Sur les murs, sont aussi accrochées les réservations des espaces par les start-up.
Nés en 1995
Une session de groupe à l'espace 302 Labs.
Ainsi, quand un lycéen ou un étudiant ne peut travailler chez lui, ou si un indépendant n’a pas encore de bureau, les espaces de coworking sont la solution à leur problème. D’après le magazine en ligne Deskmag, spécialisé dans le coworking, ces espaces répondent à l’origine à la recrudescence du nombre de travailleurs indépendants, qu’ils soient concepteurs, blogueurs, webmasters ou consultants. Ils sont nés en 1995 avant d’évoluer et prendre leur forme actuelle aux Etats-Unis en 2005. Aujourd’hui, selon la même source, on compte près de 1 800 espaces répartis sur les 5 continents, et c’est en Europe qu’ils sont les plus nombreux.
En Egypte, leur succès s’explique par le fait que plus de la moitié de la population a moins de 30 ans, et que le pays est en pleine révolution numérique. C’est en 2006 que le premier espace de ce genre a ouvert ses portes au Caire. Il est nommé « Rachid 22 ». Là, on réserve son espace par téléphone. « Règle numéro 1 : pas de portes fermées », insiste Uli Von Rücker, sa fondatrice. Selon elle, « l’objectif est ici de se retrouver pour travailler. Celui qui veut le silence peut fermer la porte mais pas plus d’une heure ou deux ». Situé dans un bâtiment ancien du quartier d’Héliopolis, le lieu se distingue par son atmosphère très accueillante. L’espace n’est pas grand, avec une salle centrale et plusieurs compartiments satellites, simplement meublés mais pleins de vie. Collaborer est ici le maître-mot. Mais à chacun de nettoyer son espace avant de partir. Au début et d’après Uli, « beaucoup ne comprenaient pas le concept du travail collaboratif. Ils s’attendaient à trouver un espace qui leur offre des services habituels avec une secrétaire et un garçon de bureau. Les déçus ne sont plus revenus. Je veux transmettre à travers le coworking des valeurs précises : esprit collaboratif, partage et vie en communauté ». Mais ici, en plus du partage des idées, des services et de la location, un système de donations et de recyclage a été instauré.
Pas de reconnaissance
Si le concept du coworking est en hausse chez les jeunes en Egypte, cette activité n’a toutefois pas de reconnaissance officielle. Le propriétaire de l’un de ces espaces affirme qu’au début, lorsqu’il s’est rendu à la municipalité pour obtenir un permis, personne n’a compris ses explications. Alors, il a demandé une autorisation pour un centre de cours particuliers. « Ils m’ont quand même conseillé de bien régler les papiers de l’assurance sociale afin de garantir le droit des employés qui y travailleront », a déclaré ce propriétaire lors d’une interview à la télé.
D’après Lobna Khaled, experte en développement humain, ce genre de projets remplacera graduellement les locaux d’entreprises et les bureaux traditionnels. Car, dans ces nouveaux espaces, l’ambiance positive et productive est décisive : « Le coworking crée un esprit positif de compétitivité et de concurrence. Les jeunes qui s’y rendent sont prêts à échanger leur expérience et veulent apprendre les uns des autres ». Le coworking est donc un lieu de collaboration et de partage. « Nous-mêmes, propriétaires, faisons partie de cette chaîne ; on en profite et on aide les autres à communiquer entre eux et faire en sorte que chacun en tire profit », dit Day, fondateur de l’espace 302 Labs. Construit sur deux étages, dont un jardin occupe une grande partie du premier étage, c’est un lieu coquet avec des couleurs vives. Les divers compartiments sont séparés par des vitres, pour plus de fluidité. L’idée de cet espace de coworking est née quand Day, indépendant à l’époque, cherchait un lieu calme pour travailler loin de chez lui, où ses parents ne comprenaient pas ce qu’il faisait et l’incitaient à trouver un emploi conventionnel. Il voulait également éviter le bruit dans les cafés. Avec d’autres amis dans son cas, ils décident alors de louer un local pour se retrouver, travailler tranquillement et partager les dépenses. « En réfléchissant sur notre projet, nous avons réalisé que beaucoup d’autres personnes aspiraient au même désir. On a donc décidé de fonder notre propre espace de coworking », explique-t-il. Ce dernier a même créé le site Internet « Coworking Egypt » pour se faire connaître.
A n’en pas douter, ces nouvelles unions de jeunes énergies promettent une évolution positive des modes de travail à venir. Les idées fusionnent déjà dans les discussions, grâce aux nouvelles rencontres que ces espaces permettent.
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