Samedi, 15 février 2025
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

L’indépendance de fil en aiguille

Dina Bakr, Mardi, 10 novembre 2015

Au Caire, le projet « Studio Imbaba », financé par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et mis en oeuvre par l’ONG Hawaa Al-Mostaqbal, permet aux femmes de se former à la confection de vêtements et de gagner en autonomie financière. Visite des ateliers.

L’indépendance de fil en aiguille
(Photo : Adel Anis)

« Studio Imbaba ». C’est la marque de vêtements et acces­soires, accompagnés de la men­tion « Proudly made in Egypt » (fière­ment fabriqué en Egypte), et confec­tionnés par les habitantes du quartier populaire du même nom, au Caire. Ce projet a vu le jour dans des locaux de l’ONG Hawaa Al-Mostaqbal (la femme de demain). Là, 140 femmes suivent une formation dans diverses spécialités de la confection de vête­ments : coupe, couture, broderie, cro­chet. Chaque participante a choisi celle qui lui convient le mieux.

Dans l’atelier exigu, équipé de 7 machines à coudre, des rouleaux de tissus sont apposés au mur. Des femmes en pleine agitation se côtoient. Les unes penchées sur leur machine, les autres, ciseaux à la main, procè­dent au découpage des patrons. D’autres encore brodent ou exécutent des ouvrages au crochet. Avec adresse, chacune se presse pour achever 6 à 7 pièces par jour. « Pendant la période de formation de 5 mois, chaque femme touchait 25 L.E. par jour. Après trois semaines de travail, chacune peut gagner entre 700 L.E et 800 L.E., selon le nombre de pièces livrées », affirme Nada Bahgat, conseillère à Studio Imbaba.

Sur une grande table servant à la coupe, il y a des couvre-lits, des oreillers, des sacs en tissu et des écharpes brodées. Chaque membre du groupe est chargé d’une tâche précise. Aujourd’hui, la styliste a prévu la confection d’oreillers. « Je donne libre cours à leur créativité, je discute avec elles des modèles. Cela permet aux femmes d’avoir plus confiance en elles-mêmes et de mettre en relief leurs talents », explique Perrihane Abou-Zeid, conseillère auprès du projet Studio Imbaba et styliste.

Entamé il y a un an, ce projet a permis à ces femmes de suivre une formation proche de leurs besognes ménagères quotidiennes. Consciente de l’importance des petits projets servant à résoudre les problèmes de la pauvreté, l’Organi­sation Internationale du Travail (OIT) finance Studio Imbaba. « C’est un moyen pour ces femmes d’accroître leurs revenus en travaillant et subvenant aux besoins de leurs familles », explique Khouloud Al-Khaldi, experte en déve­loppement d’entreprises à l’OIT.

Dans une atmosphère conviviale, Perrihane Abou-Zeid surveille le bon déroulement du projet. « Au début de la formation, j’ai photo­graphié les fresques des vieilles maisons et mosquées d’Imbaba pour reprendre certains motifs sur les textiles », raconte-t-elle. L’objectif de Studio Imbaba était d’initier ces femmes au travail le plus tôt possible et de faire découvrir aux populations les articles confectionnés par ces femmes. Tout un travail d’équipe exécuté dans la joie. Les femmes utilisent des tissus en coton, en lin et même en satin, et les manipulent avec adresse. Lors de la période de formation, elles ont pu confection­ner une collection de 130 pièces. La deuxième étape a été plus fructueuse avec un résultat de 200 pièces. Toutefois, ne pas avoir de salaire fixe inquiète Chaïmaa, 30 ans et soutien de famille, dont le mari a quitté le domicile conju­gal depuis 5 ans : « Après avoir terminé une collection, il nous arrive parfois de rester sans travail et donc sans salaire pendant un certain temps ».

Confrontées aux maris

Aujourd’hui, l’équipe responsable du lance­ment de ce projet tente de tenir compte des conditions de ces femmes, en augmentant leur productivité. D’après Perrihane, il arrive sou­vent qu’elle-même soit confrontée aux maris qui s’étonnent du temps passé à travailler. « Certains époux s’opposent au travail de leur femme. Ils viennent souvent jeter un coup d’oeil dans les locaux pour s’assurer qu’il n’y a que des femmes à l’intérieur », explique-t-elle. Mais cela n’empêche pas ces femmes de lutter. Wafaa, 35 ans, a tout fait pour continuer cette activité qu’elle aime. Au début, elle ne savait pas tenir une aiguille ou coudre un bouton, mais en quelques mois, elle est devenue une experte. « Native d’une zone rurale, on m’a mariée très jeune. Je n’osais pas dire ce que je voulais ou ce que je ne voulais pas », commente Wafaa, qui est heureuse d’entamer une nouvelle vie, indépendante financièrement. Elle tente aujourd’hui de faire des économies et s’est même offert un bracelet en or qu’elle cache soigneusement sous la manche de sa abaya, robe noire couvrant tout le corps et portée dans les milieux populaires et traditionnels.

L’indépendance de fil en aiguille
Un nouveau savoir-faire est développé.

Si Wafaa planifie aussi pour ses vieux jours, d’autres aspirent seulement à satisfaire leurs besoins essentiels au quotidien. Subvenir aux besoins de la famille, garantir un traitement médical pour son père, éduquer ses frères sont les priorités de Ghadir, 26 ans. Son père est malade, sa mère n’a jamais travaillé. Quant à ses deux frères, ils sont en bas âge. « Avant de travailler à Studio Imbaba, je faisais de petites broderies sur les tuniques de mes voisines à raison de 2 L.E. la pièce. J’achetais moi-même les fils ou les perles. Mais l’argent que je gagnais ne me suffisait pas. Ici, je touche 15 L.E. en brodant un caftan », dit-elle en sou­riant. Ghadir se sent aujourd’hui comme une professionnelle. Travailler dans une atmos­phère détendue et discuter avec la styliste prête à écouter ses avis sur le choix des modèles à illustrer sont une source d’épanouisse­ment. Cette jeune fille a même encouragé sa mère à venir travailler au Studio Imbaba. Aujourd’hui, toutes les deux sont ravies des résultats obtenus.

Enseigner la coupe du patron

Iqbal Al-Samallouti, présidente de l’ONG Hawaa Al-Mostaqbal, déclare : « Nous avons aidé l’équipe à sélectionner les femmes du quartier en mesure d’y par­ticiper, puisque nous travaillons de près avec elles sur le terrain. Certaines avaient déjà suivi des cours d’alphabétisation, de sensibilisation sur la santé, ou du planning familial chez nous ». Certaines partici­pantes avaient plus d’expérience. C’est le cas de Sabrine qui possédait déjà un atelier de production. « A Studio Imbaba, j’ai appris à faire de nouvelles coupes et plu­sieurs points de broderie. Cette nouvelle expérience m’a beaucoup servie et je vais pouvoir répondre aux goûts des habitants de Mohandessine et de Doqqi, des quar­tiers de la classe moyenne », souligne-t-elle. Adel, couturier, travaille avec ces femmes depuis un an. Son rôle est d’ensei­gner la coupe du patron. « J’ai choisi les modèles les plus simples qui leur permet­tront d’ajouter leurs propres touches », précise-t-il. Il confie, satisfait du résultat, accueillir dans cet atelier des femmes qui n’ont aucune expérience de la couture. « En très peu de temps, beaucoup d’entre elles ont brillé dans ce domaine. Au départ, je leur demandais de couper leurs pre­miers articles sur des tissus bon marché pour éviter le gaspillage d’argent », explique-t-il.

Aujourd’hui, toutes sont capables d’in­nover pour développer le projet et garantir sa continuité. Ola, 50 ans, commence à se sen­tir comme une vraie partenaire au sein de sa nouvelle famille. « C’est un privilège que de trouver un travail à mon âge. Mon mari est à la retraite, et son revenu a baissé. Nous n’avons que sa pension comme source de reve­nus », lance-t-elle. Cette femme, dynamique et souriante, attend impatiemment que ce projet franchisse une nouvelle dimension. « Elles dirigeront bientôt elles-mêmes leurs projets via une coopérative, ce qui leur permettra de vendre leurs productions dans les magasins Omar Effendi et les foires d’artisanat », pré­cise Al-Khaldi. Ecouler la production est syno­nyme de garantie de l’activité. Dans un mois, les plus productives seront transférées dans de nouveaux locaux du même quartier. Ces femmes géreront alors leur propre projet et profiteront des ventes et bénéfices engendrés.

L’indépendance de fil en aiguille
Ces broderies sont le fruit du travail à Studio Imbaba.

Selon Mona Abdel-Al, responsable du dépar­tement de l’administration générale de la plani­fication au Conseil national de la femme, un grand nombre de femmes dans le monde tra­vaillent actuellement dans de petits et micro-projets locaux semblables à celui de Studio Imbaba : « 98 % des pays dans le monde recou­rent à ce genre de projets », indique-t-elle. Zara, l’une des grandes marques mondiales de prêt-à-porter, s’impose par exemple aujourd’hui grâce aux travaux de femmes originaires de pays comme le Maroc ou l’Inde.

Anita Nirody, représentante des Nations-Unies en Egypte, affirme que l’organisation continue à jouer un rôle primordial dans l’auto­nomisation de la femme en Egypte. D'autant plus que pour la première fois, deux femmes viennent d'être élues députées pour la circons­cription d'Imbaba. Pour Anita Nirody, cette activité ne peut être appelée qu’à se développer. « On veut que la femme égyptienne soit influente et participe à l’économie du pays, au même titre que l’homme. En Egypte, le nombre de femmes au chômage est le triple de celui des hommes. C’est la raison pour laquelle on a choisi de travailler sur leurs compétences avant de les introduire sur le marché du travail et d'amélio­rer le niveau de vie », conclut Al-Khaldi.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique