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Un Pèlerinage à haut Risque

Dina Darwich, Dimanche, 18 octobre 2015

Chaque année, ils sont 62 500 Egyptiens à se rendre à La Mecque pour effectuer leur pèlerinage, un des 5 piliers de l'islam. Le mois dernier, l'événement a tourné au drame avec une bousculade qui a fait 1 254 victimes dont 177 Egyptiens.Témoignages de survivants.

Un Pèlerinage à haut Risque
Chaque année entre 1,5 et 2 millions de musulmans se rendent à la Mecque pour faire le pèlerinage. (Photo:Reuters)

« La mort, je l’ai sentie toute proche, quand cette marée humaine a foncé sur moi. J’ai répété plusieurs fois la chahada (profession de foi) avant de perdre conscience. A mon réveil, mon seul souhait était de regagner mon foyer et de serrer bien fort mon enfant unique », relate Mona Oteifa, 40 ans, qui a failli perdre la vie lors de la bousculade de Ména en Arabie saoudite le 24 septembre dernier. Elle faisait partie d’un groupe de 10 personnes qui s’était dirigé vers l’une des artères menant de Ména à Jamarat, près de La Mecque, pour effectuer le rituel de la lapidation symbolique de Satan, et qui consiste à jeter des pierres en direction de trois stèles le représentant. La bousculade est survenue lorsqu’une foule immense quittant l’une des stèles en a rencontré une autre venant en sens inverse. « Nous étions quatre femmes et six hommes. Partis main dans la main, pour ne pas nous disperser, afin d’effectuer ce rituel difficile.

Après une demi-heure de marche, on a été obligé de se diviser en deux groupes, car il y avait énormément de monde. Le lieu de la lapidation était situé à une distance d’un kilomètre de notre camp. Face à ce chaos et cette foule immense, nous nous sommes retrouvés paralysés puisque l’endroit supposé contenir une personne en comptait dix. Puis, ce fut la ruée. Le mouvement rapide d’un grand nombre de personnes a commencé à me propulser et m’emporter comme la feuille d’un arbre dans une tempête. Mon mari, qui est robuste, a pu me rattraper et me sauver, alors que des larmes coulaient sur ses joues en voyant des personnes écrasées sous ses pieds », décrit Mona. Une scène qui restera à jamais gravée dans sa mémoire.

Mona fait partie du 1,4 million de musulmans ayant effectué cette année le pèlerinage, cinquième pilier de l’islam. Elle a été plus chanceuse que les 1 254 victimes qui ont perdu la vie lors de cette bousculade sur la rue 204 à Ména, selon les chiffres récents de l’agence Associated Press. Selon le ministère égyptien des Affaires étrangères, 177 ressortissants égyptiens sont décédés lors de ce drame, en plus de 64 disparus et de 10 blessés. L’Egypte occupe la deuxième place en nombre de victimes après l’Iran qui a compté 465 morts. Une saison funeste que ce pèlerinage de l’an 1436 de l'hégire. En effet, cette bousculade est la deuxième catastrophe liée à La Mecque, cette année en Arabie saoudite. La première a été provoquée par la chute d’une grue sur la Grande mosquée. Sur les sept accidents majeurs ayant endeuillé le pèlerinage depuis 1990, six ont eu lieu lors du rituel de la lapidation de Satan, le dernier remontant à janvier 2006 quand 362 pèlerins ont péri dans une bousculade à Ména et 289 autres ont été blessés. Au fil des ans, d’autres bousculades ont eu lieu. Mais, la plus meurtrière remonte à 1990, où 1 400 personnes ont trouvé la mort par asphyxie dans un tunnel piétonnier. Une situation qui a poussé l’Arabie saoudite à prendre plusieurs mesures afin de garantir la sécurité des pèlerins et d’améliorer la gestion de cette foule immense et difficile à gérer. Des ponts à plusieurs niveaux ont été construits, et la présence policière a été renforcée. Malgré ces dispositions, un nouveau drame a eu lieu cette année.

Témoignages
Les témoignages des survivants divergent. Sayed estime qu’il s’agissait du hadj le moins bien organisé des quatre auxquels il a participé. « Les pèlerins étaient déjà déshydratés et s’évanouissaient. Ils tombaient les uns sur les autres », ajoute-t-il. Hala, femme d’affaires de 50 ans présente lors de cette bousculade, raconte qu’elle retournait à La Mecque quand ce drame a eu lieu. « J’ai aperçu de nombreux corps inertes jonchant le sol, recouverts ou non de draps blancs, ainsi que des affaires personnelles éparpillées, des chaussures et des parapluies, dont les pèlerins se servaient pour se protéger du soleil.

Tous les rituels du pèlerinage ont eu lieu paisiblement sans le moindre problème. Mais à Ména, c’était épuisant. Je n’ai pu regagner mon camp qu’à minuit avec les secouristes qui ont encerclé le lieu et ont commencé à accompagner les pèlerins à leurs tentes deux par deux ». La situation était complexe pour les pèlerins dont les ressources ne permettaient pas d’avoir accès aux voyages organisés par le ministère des Waqfs, les agences de tourisme ou les ONG. Pour obtenir un visa plus facilement, ils arrivent en Arabie saoudite des semaines avant la saison du pèlerinage. « Cette catégorie de gens semble être la plus exposée à ce genre de drame, surtout à Ména, où ils passent leur journée dans la rue, puisqu’ils ne sont pas installés dans des tentes, à l’instar d’autres groupes », explique Fahmi Zayed, propriétaire d’une agence de tourisme. Ce pèlerinage est imposé à celui qui en a les moyens, mais ce rêve est celui de beaucoup d’Egyptiens. Selon la sociologue Nadia Radwan, malgré ses revenus modestes (2 748 dollars par an en moyenne), l’Egyptien peut passer sa vie à économiser pour se rendre à La Mecque pour un coût d’environ 20 000 L.E. (2 500 dollars). D’après Erfan Olwi, directeur de la fondation du patrimoine islamique à Londres, ce genre de crise a lieu à cause de l’absence de contrôle sur le nombre de personnes entrées en Arabie, ce qui rend parfois la direction du pèlerinage impuissante à gérer ces foules énormes, et ce, malgré les efforts déployés.

Par ailleurs, l’Arabie saoudite a ouvert une enquête pour apaiser la colère de l’Iran, de la Turquie ainsi que le déchaînement de critiques sur les réseaux sociaux en Egypte sur la gestion du pèlerinage par les Egyptiens. Dans une interview télévisée sur la chaîne Ten, le journaliste Akram Al-Qassas, rédacteur en chef exécutif du quotidien Al-Youm Al-Sabie, a mis l’accent sur la nécessité d’une coordination entre Al-Azhar et le ministère des Waqfs qui organisent le pèlerinage. « Il ne suffit pas que les chefs des délégués jouent le rôle d’accompagnateurs, ils doivent faire preuve de plus de responsabilité vis-à-vis de ces pèlerins », martèle Al-Qassas. Le ministre saoudien de la Santé a attribué cette bousculade au manque de discipline des pèlerins qui ont tendance, selon lui, à ignorer les instructions des responsables. « Si les pèlerins avaient suivi les instructions, on aurait pu éviter ce genre d’accident », a déclaré Khaled Al-Falih à la télévision publique.

Fatwas rigoristes
Mais les accidents les plus mortels de ces 25 dernières années ont eu lieu le plus souvent durant le rituel de la lapidation, d’autant plus que certaines fatwas rigoristes appuient la nécessité d’accomplir ce rite à l’heure du zawal (entre la prière de midi et du coucher du soleil). De quoi inciter les pèlerins à se retrouver en grand nombre, en même temps et au même endroit. Et il est difficile de les convaincre d’être plus flexibles sur le respect des rituels du pèlerinage. « Nous avons payé très cher pour ce pèlerinage et on n’est pas certain de pouvoir le refaire. Alors, on tient à le faire comme il se doit, en respectant les étapes, comme l’a fait notre prophète », résume Amr Tamam, un pèlerin qui a risqué sa vie lors de ce rituel de la lapidation à l’heure recommandée. Dans son éditorial du quotidien Al-Watan, l’intellectuel islamiste, Naguih Ibrahim, souligne que beaucoup d’oulémas ont critiqué la fatwa suite aux drames de pèlerins ces dernières années. Un changement était attendu sur le terrain et dans l’esprit des muftis afin d’éviter un nouveau drame. Mais rien n’a changé. « Quand le prophète a fait le pèlerinage, le nombre de pèlerins était à l’époque de quelques milliers. Alors qu’aujourd’hui, il s’agit de plus d’un million et demi de pèlerins. D’ailleurs, la période de la lapidation imposée par ces fatwas est très courte en hiver, et l’été, il fait trop chaud à midi. La modification de cette fatwa est indispensable, surtout que le prophète lui-même a été très flexible avec ses compagnons lors de ce rituel », écrit-il. D’autres sont même allés plus loin, à l’instar de Soliman Gouda qui a écrit dans sa colonne d’opinion du quotidien Al-Masry Al-Youm que ces oulémas ayant promulgué ces fatwas sont responsables du sang des victimes. Ce qui pourrait aggraver la situation, c’est que les Egyptiens représentent l’une des plus importantes communautés de pèlerins étrangers, d’après une étude de l’Organisme public saoudien du recensement et des informations. Le drame pourrait donc se répéter si ce genre de fatwas n’est pas revu.

A Ména, avant le drame, une discussion tendue a eu lieu entre Omar et sa femme Dina. Il insistait pour effectuer le rite de lapidation à l’heure d’affluence alors qu’elle voulait l’éviter. « J’ai dû appeler un cheikh en Egypte en qui je fais entièrement confiance. Il m’a dit que je pouvais faire ce rite de lapidation à n’importe quel moment de la journée. Car, selon lui, le sang d’un musulman est bien plus cher pour le bon Dieu que l’application à la lettre de rites religieux. Un conseil que nous avons suivi », conclut-elle.

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