« Non, mon fils n’est ni mal élevé, ni handicapé. Il est tout juste un enfant turbulent, rebelle, parfois violent et qui manque de concentration ... Je suis une mère, et mon plus grand souhait est de voir mon enfant grandir et évoluer normalement », martèle Soad, mère de Moustapha, âgé de 8 ans et atteint du Trouble de Déficit d’Attention et d’Hyperactivité (TDAH). Et d’ajouter : « Une fois mon fils scolarisé, j’ai éprouvé ce sentiment de culpabilité. Les autres parents n’arrêtaient pas de me pointer du doigt comme si j’étais une mauvaise mère. Le comportement de mon fils posait problème. A l’école, lui et moi, nous étions constamment punis. Il devait recopier une centaine de fois : Je dois rester sage et me concentrer en classe. J’étais obligée de l’aider car mon fils n’y arrivait pas ». Malgré les explications de la mère, les enseignants sont débordés par les réactions de l’enfant qui ne cesse de bouger, d’accumuler les étourderies et qui ne peut jamais terminer ce qu’il a commencé. « Pour Moustapha, c’est tout de suite la crise. Quand il n’y a plus rien qui marche de la manière qu’il veut, il peut frapper quelqu’un, déchirer ses livres, casser des objets », explique Mohamad Sadeq, un de ses enseignants. Cet enfant hyperactif a passé la plus grande partie de sa deuxième année primaire à l’écart de ses camarades, malheureux, rejeté par les autres et taxé par les enseignants d’élève perturbateur. Son pupitre a été placé à l’écart des autres élèves. Ses cahiers sont déchirés, ses affaires volées, et il est accablé par le regard insistant des autres. Jamais d’invitations aux anniversaires, toujours des plaintes au sujet de son comportement. « Mon fils est le souffre-douleur des autres enfants. Les moqueries et les agressions le déstabilisent et le font réagir violemment. Je suis allée voir ses camarades de classe pour leur expliquer que Moustapha souffrait. Certains ont compris, tandis que d’autres continuaient à le provoquer », dit la mère en colère.
Même écho pour Tareq, 11 ans, incapable de se plier à la discipline scolaire. C’est en première année primaire que ses difficultés commencent. Terminer un exercice d’écriture relevait du défi. L’année suivante, le professeur est prévenu des problèmes de Tareq. Il décide alors de mettre au pas cet enfant turbulent. Tareq, qui ne parvenait pas à terminer ses exercices en classe, devait les achever pendant la récréation, ou en cours de gymnastique. Si le nombre d’exercices demandés n’était pas atteint, c’était à la maison qu’il devait se mettre à jour. La tension montait et les punitions pleuvaient. Tareq devenait de plus en plus agressif, faisait des crises de colère, se roulait par terre. L’engrenage de la frustration s’étant mis en route, la situation ne pouvait que dégénérer : critiques acerbes dans le journal de classe, convocations de la mère, souffrance, incompréhension … Jusqu’au jour où la directrice de l’école déclara Tareq inapte à recevoir un enseignement normal. Pour elle, il fallait absolument l’orienter vers un établissement spécialisé.
Moustapha et Tareq ne sont pas les seuls à souffrir de ce trouble (TDAH). Des milliers d’enfants sont confrontés au rejet, aux regards accusateurs des autres et vont vivre chaque étape de leur vie avec ce fardeau sans savoir comment s’en départir. Les étiquettes de mal éduqués, handicapés, malades psychologiques vont les marquer. Parents, enfants et enseignants sont au coeur d’un problème de santé publique qui a bien du mal à faire parler de lui. L’école met en évidence le mal-être de ces enfants. Rejetés par un système qui ne les comprend pas et qu’ils ne comprennent pas, beaucoup se retrouvent en situation d’échec scolaire. Dès le plus jeune âge, les enfants concernés par le TDAH sont en marge des autres enfants. Dépression, perte de l’estime de soi et exclusion sociale sont le quotidien de ces enfants qui ne demandent qu’à être compris. Mais le TDAH, c’est quoi ?
Le TDAH est un trouble neuropsychologique d’origine génétique qui se caractérise par trois symptômes : difficultés de concentration, impulsivité marquée et agitation incessante. C’est un mauvais fonctionnement des zones responsables du contrôle ou de l’inhibition de certains comportements. « Le diagnostic du TDAH ne peut pas être posé par un seul médecin. Il faut un examen complet (test de QI, bilan orthophonique, bilan psychomoteur, tests attentionnels) pour définir la prise en charge la mieux adaptée à chaque enfant », explique le Dr Imane Gaber, chef du département des enfants et adolescents au secrétariat général de la santé psychique et de la toxicomanie. Le Dr Gaber ajoute que la manifestation dans le comportement, qui différencie l’enfant hyperactif de l’enfant normal, est l’impossibilité de maintenir son attention sur des tâches et des buts déterminés. Elle s’accompagne de lassitude, de manque de concentration, d’étourderie, de maladresse, de troubles de l’apprentissage de la lecture. Des aspects qui ont des conséquences sur leur réussite scolaire.
Trouble controversé
Décrit depuis la fin du XIXe siècle, ce trouble a longtemps été très controversé. Malgré une médiatisation récente, il reste aujourd’hui mal connu du grand public. D’après l’encyclopédie sur le développement des jeunes enfants, le taux de prévalence est semblable dans différentes cultures et différents pays. Il concerne entre 3 et 7 % des enfants à travers le monde, et on observe que les garçons sont 4 fois plus touchés que les filles. Dans 50 à 66 % des cas, le TDAH tend à être concomitant avec d’autres troubles psychiatriques (par exemple, anxiété, troubles de l’humeur, difficultés d’apprentissage ou langagiers, problèmes comportementaux et troubles du sommeil). « Alors qu’en Egypte, 9 à 10 % des enfants âgés entre 5 et 12 ans sont hyperkinétiques (trouble de l’attention). Faute de prise en charge, la maladie persévère à l’âge adulte avec les mêmes symptômes, à l’exception de l’hyperactivité qui s’atténue », précise le Dr Gaber, tout en ajoutant qu’il est épuisant de vivre avec un enfant hyperactif, d’être constamment sur le qui-vive, de répéter sans cesse la même chose sans avoir l’impression d’être entendu. Certains enfants atteints du TDAH sont souvent anxieux ou rebelles, et il n’est pas rare que les journées et les soirées se terminent par des crises d’hystérie et de nerfs.
Face à la souffrance et au désarroi des parents, une campagne de sensibilisation aux TDAH a été lancée par le ministère de la Santé dans 6 gouvernorats : Le Caire, Alexandrie, Tanta, Port-Saïd, Béni-Souef et Assiout. « C’est la quatrième année que nous lançons cette campagne ayant pour slogan : Ni espièglerie ni étourderie mais TDAH. Des tables rondes entre parents, enseignants et professionnels de la santé sont organisées dans différentes écoles, hôpitaux publics et clubs. Des conseils, des soutiens psychologiques et un aménagement du temps scolaire sont proposés aux parents. Ainsi, les parents peuvent discuter du problème avec d’autres et apprendre les techniques facilitant la gestion du quotidien. Quant aux professeurs, ils peuvent prendre en classe des mesures simples contribuant à apaiser les tensions comme par exemple : installer l’enfant au premier rang, ne pas le laisser tout le temps assis et surtout diminuer les exercices à faire en classe », explique le Dr Gaber, tout en ajoutant que les enseignants doivent être capables de reconnaître les signes d’hyperactivité chez leurs élèves, dès la maternelle. Ils pourront donc orienter les parents vers leur médecin, leur apporter un appui, et surtout aider l’enfant en classe.
Confrontée à ce dilemme
Ayant été surveillante dans une école primaire, Dalia a été confrontée à ce dilemme : « Faut-il suivre les consignes des parents même si cela ne semble pas cohérent ? Dans cette école, il y avait un garçon de 7 ans qui était atteint d’hyperactivité. Quand il s’énervait ou devenait violent avec les autres enfants, nous devions l’isoler dans une pièce. C’était assez pénible de laisser cet enfant pleurer et hurler dans cette classe, mais les parents nous avaient dit que c’était la meilleure solution. Certes, prendre du temps pour essayer de le calmer ne nous aurait pas permis de garder un oeil sur les autres enfants mais je reste sceptique », dit-elle.
Cependant, cette campagne lancée par le ministère de la Santé semble être une bouée de sauvetage pour les parents qui n’étaient ni informés ni sensibilisés à cette problématique. Nadine, qui a entendu parler de cette campagne, n’a pas hésité à se rendre à l’hôpital de la santé psychique à Abbassiya, au Caire, pour faire un examen médical pour son enfant. Aujourd’hui, cette mère, dont les colères devenaient excessives à cause du comportement de son fils toujours désobéissant et rebelle, dit qu’il a fait des progrès grâce aux thérapies. « Le pédopsychiatre m’a fait comprendre beaucoup de choses sur le comportement de mon fils et je suis devenue plus tolérante avec lui. J’ai arrêté de le culpabiliser. J’ai aussi changé de stratégie éducative : j’essaie de le féliciter pour ce qu’il fait de bien, au lieu de le punir à tout bout de champ », témoigne-t-elle
Dr Maha Emad Al-Dine, pédopsychiatre, pense que 50 % à 70 % des cas s’améliorent grâce à une prise en charge spécialisée et des calmants tels que le méthylphénidate, plus connu sous le nom de Ritaline, une de ses formes commerciales, ainsi que des programmes thérapeutiques limitant les répercussions négatives du syndrome. Et même si l’on ne guérit pas, à ce jour, du TDAH, il est néanmoins possible pour l’enfant de l’apprivoiser et d’apprendre à vivre avec, et ce, à travers un traitement qui se base sur deux axes : l’axe psycho-éducatif, dont l’objectif est d’adapter autant que possible l’environnement éducatif aux caractéristiques de l’enfant, et l’axe médicamenteux, réservé aux enfants chez qui les troubles perturbent trop fortement la vie sociale ou scolaire. « Mais la solution réside dans une synergie entre parents, médecins, psys, école ... Car la médication seule ne suffit pas, il faut évidemment une prise en charge psychologique et bien souvent un aménagement scolaire », explique le Dr Emad Al-Dine, tout en ajoutant que bien que certains parents soient pleinement conscients des souffrances de leur enfant, des risques pour son développement, et de la difficulté qu’il peut y avoir, ils refusent de lui donner des calmants ou décident de le garder à la maison. « Depuis la maternelle, j’ai tout fait pour aider mon fils et de toutes les manières possibles : psychologue, séances de psychomotricité et orthophonie. Je lui ai donné ce médicament qui stimule certaines régions du cerveau et lutte contre l’endormissement en classe. Une petite pilule magique pour nous, mais aussi pour mon enfant qui lui permettait de mener une vie sociale et une scolarité normale jusqu’au jour où j’ai senti que mon fils était devenu accro à ce médicament, alors je l’ai arrêté. Et depuis, la situation a empiré », conclut Maissa, mère de Chéhab, 11 ans, qui fait de son mieux pour aider, gérer et soutenir son enfan.
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