On les rencontre dans les couloirs des tribunaux, ces femmes en instance de divorce. La plupart d’entre elles sortent en pleurant ou en implorant Dieu de les sortir de ce calvaire. Quant aux maris, s’ils sont présents, ils disparaissent rapidement en compagnie de leurs avocats. Le report fréquent des audiences donne aux maris le sentiment qu’ils sont en position de force, tandis que les femmes se sentent humiliées. Et même si tout le monde sait qu’à la fin le divorce sera prononcé, personne ne connaît la date exacte, et c’est ça le véritable casse-tête.
Cela fait trois ans que Riham Gamal, 30 ans, traîne dans les tribunaux sans réussir à obtenir le divorce. Son mari use de tous les moyens pour retarder la procédure de divorce. C’est à croire qu’il veut la punir. Riham a demandé le divorce, mais son mari s’y est opposé. « Personne ne peut ressentir mes souffrances ou se mettre à ma place », dit-elle. Cela fait trois ans que Riham attend son divorce. Pour l’instant, elle n’est ni mariée ni divorcée. « Je ne comprends pas pourquoi un homme refuse de divorcer une femme qui ne veut plus vivre avec lui. La femme qui veut divorcer a tout le mal du monde à obtenir le divorce, alors que l’homme divorce très facilement en prononçant trois fois la formule Tu es divorcée », s’indigne Riham.
Cette situation révolte des milliers de femmes qui doivent traîner dans les tribunaux pendant de longues années, tout simplement parce que le mari refuse un divorce à l’amiable. « Si une femme demande le divorce, c’est souvent pour une bonne raison. Elle devrait l’obtenir sans être humiliée », lance Riham.
Riham vit chez ses parents et a trouvé un boulot, car son père, retraité, ne peut pas la prendre en charge elle et son fils, et payer, en plus, les honoraires de l’avocat. « Je ne peux pas commencer une nouvelle vie et je dois faire face au regard de la société qui me considère comme la seule coupable », dit Riham.
Selon l’avocat Amr Talaat, si le mari refuse de divorcer à l’amiable, sa femme doit intenter un procès. Une procédure qui prend théoriquement entre trois et six mois avant que le verdict ne soit prononcé. Mais en réalité, cela peut durer des années. Une longue période d’attente et des procédures compliquées qui font perdre à la femme sa dignité.
La loi 25 de l’année 1920 du statut personnel détermine les cas de divorce. Celui-ci intervient si le mari frappe sa femme, ne la prend pas en charge ainsi que ses enfants, ou encore quand le mari n’accomplit pas son devoir conjugal. « En fait, cette loi qui paraît flexible comporte des lacunes, car le mari et son avocat arrivent à retarder le procès », dit Afifi. Elle explique que les astuces employées par les maris et leurs avocats sont nombreuses. « D’après la loi, le juge doit accorder le divorce en cas de maltraitance de la femme, mais cette même loi exige que la femme le prouve par des témoins. Cette dernière doit déposer une plainte au commissariat de police pour prouver qu’il y a eu coups et blessures. Mais dans d’autres cas, comme l’humiliation, les insultes ou les abus sexuels, comment peut-elle le prouver ? », affirme Afifi, expliquant que la loi peut paraître en faveur de la femme, mais ce n’est pas le cas en pratique.
Trois ans dans les tribunaux
Karima, 32 ans, femme de ménage, a passé trois ans de sa vie dans les tribunaux à attendre ce divorce qu’elle n’a pas encore obtenu. Dès la première semaine de mariage, son mari a commencé à la battre. Mais pour ses parents, ce n’est pas une raison suffisante pour détruire son foyer et avoir le statut d’une femme divorcée. Pourtant, elle a fini par quitter son mari après six ans de mariage et deux enfants à charge. « C’est moi qui subvenais aux besoins de la famille. Lui travaillait un jour et passait le reste de la semaine à dormir à la maison. De plus, il me frappait tout le temps. Je ne voulais plus que mes enfants vivent avec un père violent », ainsi s’exprime Karima. Elle a dû prouver la violence de son mari pour obtenir le divorce. Une chose difficile pour Karima, qui vit dans un quartier populaire où il est fréquent de voir des hommes battre leur femme. Et donc, elle ne pouvait pas compter sur le soutien de ses voisins. Elle a eu l’idée de provoquer une dispute avec son mari pour le pousser à la frapper, ensuite, elle est partie porter plainte au commissariat avec des plaies et des ecchymoses sur le corps. « Je pensais que la plainte déposée au commissariat allait accélérer la procédure de divorce. Ce n’était pas le cas », poursuit Karima. Il appartient à la femme de prouver qu’elle a été maltraitée par son mari et si elle ne parvient pas à le faire, le juge va reporter l’audience. Oser demander le divorce à un homme, c’est subir toute sorte d’humiliations. Sahar a perdu 8 ans de sa vie avec un homme qui ne cesse de la tromper avec d’autres femmes. Aujourd’hui, elle doit attendre encore quelques années pour se séparer de lui, alors que la religion et la loi lui en donnent le droit. « Je ne suis pas arrivée à prouver qu’il me trompe, mais j’ai pu prouver qu’il nous a laissés, moi et les enfants, sans argent », dit Sahar, 28 ans. Cette dernière, qui pensait avancer dans la procédure de divorce, a rencontré un autre obstacle : le mari a disparu sans laisser d’adresse, et personne n’a plus de nouvelles de lui. Ainsi, lorsque l’agent du tribunal s’est présenté pour lui remettre une convocation, il ne l’a pas trouvé, et le juge a reporté la date de l’audience. Depuis, il envoie son avocat pour avancer des prétextes au juge qui reporte à chaque fois l’audience. Et pour humilier davantage sa femme, ce mari a intenté un procès l’accusant d’avoir volé les meubles de la maison. Cela fait donc beaucoup de temps perdu et beaucoup de supplices pour cette femme qui doit se battre seule et dans toutes les directions. Et si par miracle le mari se présente devant le juge, ce dernier va demander au couple d’assister à une audience de tassaloh (réconciliation). Et si le mari s’absente une ou deux fois, le juge va encore reporter l’audience, demandant au couple de prendre le temps de réfléchir, afin de ne pas briser son ménage. « C’est de la torture. Pourquoi le juge ne veut-il pas comprendre que si on en est arrivé là, devant lui, au tribunal, c’est qu’on a tout essayé avant ? », se demande Racha, infirmière.
Et ce n’est pas tout. La femme doit préparer tout un dossier et prouver qu’elle a tenté le tassaloh. « Malheureusement, les avocats ne sont pas à court d’idées. Lorsque le mari sent que sa femme va bientôt obtenir le divorce, son avocat lui conseille d’utiliser la carte de la taa (obéissance). Cette procédure, aujourd’hui supprimée, permettait au mari de réclamer le retour de sa femme au foyer conjugal avec l’aide de la police. Etant donné que la taa a été supprimée, la procédure s’arrête, mais cela permet au mari de gagner un peu de temps », dit Racha.
Il existe mille et une astuces qui permettent de retarder le divorce pour ces femmes qui ont choisi de vivre seules, assumant la responsabilité de leurs enfants, tout en supportant le regard des parents et de la société qui les accusent d’avoir détruit leur ménage.
Selon Azza Soliman, directrice du Centre des causes de la femme, la loi du statut personnel de la femme a vu le jour pour la première fois en 1920 et a été modifiée en 1929. Elle a été ensuite amendée en 1985, puis en 2004, lorsque l’article sur le kholea y a été introduit. Ce procédé permet à la femme de demander le divorce en renonçant à ses droits financiers. Une solution qui a accéléré la procédure de divorce pour certaines, mais beaucoup de femmes ne peuvent pas se permettre le luxe du kholea, car elles savent qu’elles seront lésées financièrement. « Lorsque le kholea a été appliqué, les hommes avaient honte et n’acceptaient pas que les femmes aient recours à ce procédé, mais ils consentaient à divorcer selon les procédures normales. Aujourd’hui, les hommes poussent les femmes au désespoir, afin qu’elles recourent au kholea pour qu’elles cèdent à leurs droits », explique Soliman, en affirmant que la majorité des femmes préfèrent intenter un procès de divorce que recourir au kholea, car il est difficile pour elles de subvenir, seules, aux besoins de leurs enfants, après le divorce.
En fait, si la loi du statut personnel a connu plusieurs changements au fil des ans, cela reste insuffisant, puisqu’on ne facilite pas la vie à la femme et on voit encore beaucoup de femmes passer des années devant les tribunaux. Certains encouragent même cette lenteur dans l’objectif de sauver la famille. « Les femmes ont déjà obtenu beaucoup de droits, et les lois d’aujourd’hui les encouragent à quitter leur mari. Résultat : un grand nombre de foyers détruits à cause des femmes qui n’ont rien de plus facile que de demander le divorce au lieu de protéger leur famille et supporter un peu plus leur mari », indique Karam Salah, avocat au statut personnel.
Problème de mentalité
Quant à Azza Soliman, elle voit que le problème n’est pas dans les lois, mais dans leur application, et que le grand obstacle, c’est encore la société. « Les hommes aujourd’hui, qu’il s’agisse du mari, de l’avocat, du juge ou du père, vivent avec une culture très conservatrice à l’égard de la femme et qu’on ne parvient pas à changer », explique Soliman. Quant à l’Etat, il adopte seulement des slogans, mais rien ne change.
Selon elle, aucune loi ne pourra résoudre le problème si les mentalités ne changent pas. La femme est, en effet, le maillon le plus faible dans la société, mais tout semble indiquer que cette situation n’est pas près de changer. « Malheureusement, ce sont les hommes qui promulguent les lois et ce sont eux qui les appliquent avec leurs mentalités conservatrices. Ils ont peur de tout changement, car cela va à l’encontre de leurs intérêts », lance Chahd, 27 ans. Cette jeune femme se prépare à sa première audience de divorce prévue dans une semaine. Elle sait ce qui l’attend, mais elle est déterminée à aller jusqu’au bout pour obtenir sa liberté.
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