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Ces bédouins au passé glorieux

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 14 avril 2015

Descendants des tribus arabes arrivées en Egypte il y a des siècles, « Al-Arab », comme on les appelle, sont des citoyens très attachés à leurs origines et à leurs traditions transmises de père en fils.

Ces bédouins au passé glorieux
Les « Arabes » tiennent encore à la vie bédouine.

« Ici nous sommes les Grands, et on doit se conduire comme tels », ainsi parle Abdou Bakr Chahine de sa famille Al-Chahayna, issue de la tribu arabe d’Awlad Ali, l’une des plus importantes d’Egypte. « Nous n’avons jamais oublié nos origines, et toute notre vie tourne autour de cette réalité », dit Abdou, paysan de 74 ans.

Sa maison située dans le village d’Abou-Kébir, au gouvernorat de Charqiya, est le lieu de rencontre des membres de la famille. Considéré aujourd’hui comme l’un des notables de la famille Chahine, il jouit d’une grande notoriété au village, pas seulement en raison de son âge, mais aussi de son influence. En fait, dans cette région, la plupart des familles sont d’origine arabe. Elles descendent des anciennes tribus qui sont venues en Egypte avec la conquête arabe.

Chahine, Tawahiya, Hawara, Saadate et bien d’autres encore sont des familles issues de ces tribus, dont la plupart sont venues d’Arabie saoudite, de Grande Syrie, du Yémen et des pays du Maghreb. Ces cavaliers du désert se sont intégrés dans le pays, et au fil du temps, ils sont devenus de vrais Egyptiens. Ils ont cependant conservé leur mode de vie bédouin auquel ils tiennent fermement. « Pendant les guerres, nos ancêtres ont toujours été aux premiers rangs de l’armée. C’était le cas avec l’armée d’Ibrahim pacha, fils de Mohamad Ali. Nous sommes les meilleurs cavaliers du pays », lance Fathi Al-Tahawi. Sa famille jouit d’une grande notoriété au gouvernorat. Issu de la tribu de Béni-Sélim, Fathi fait le commerce des chevaux pur-sang et possède, comme la majorité des membres de cette tribu, des aigles arabes. Dans cette tribu, chacun connaît les histoires de ses ancêtres. Ces « Arabes », comme ils se font appeler, tiennent en effet à conserver leurs traditions et leurs valeurs bédouines comme la générosité, la fidélité et l’aide à autrui. Il est facile de les distinguer des autres habitants du village. « L’une de nos traditions consiste à respecter les plus âgés, à se comporter avec loyauté, à aider les autres mais on ne demande de l’aide à personne. C’est pour cette raison que, dernièrement, les membres de notre famille ont créé une caisse de solidarité pour aider ceux qui sont dans le besoin ou n’ont pas suffisamment de moyens », résume fièrement Abdel-Samad. D’après Saïd Al-Charassi, vice-président du Conseil suprême des tribus arabes, il y a actuellement 73 grandes tribus en Egypte, chacune est divisée en dizaines de familles. Ces familles sont réparties dans plusieurs gouvernorats, surtout à Charqiya et en Haute-Egypte. Plusieurs de ces tribus bédouines ont, en effet, quitté le désert pour s’installer dans les villes et les provinces, et au fil des ans, elles ont fini par se sédentariser. Mais d’autres tribus ont gardé le mode de vie bédouin. Leur mode de vie n’a pas changé depuis le jour où elles sont venues en Egypte. Ces tribus bédouines se trouvent surtout dans le Sinaï, à Siwa. On les appelle les Hattatine (les nomades) car ils sont constamment en déplacement à la recherche de gagne-pain. Ils travaillent comme bergers et plantent leurs tentes là où ils trouvent de l’eau.

Les récits des ancêtres

L’histoire et la notoriété de la famille ou de la tribu ont une importance primordiale. Ainsi, Abdou passe son temps à faire connaître aux enfants leurs origines et leur fait comprendre que le prestige de leur famille est lié à leur tribu. Tout près de lui, un enfant est en train de jouer à la hakcha, un jeu qui ressemble au hockey et qui se joue à l’aide d’un bâton en bois arrondi à l’extrémité et d’un petit ballon. C’est un jeu hérité depuis des générations, mais qui a tendance à disparaître avec l’arrivée des jeux électroniques. « Il faut avouer que nos parents avaient une volonté de fer, ils tenaient à nous initier à ces choses qui nous distinguent. Par contre, nous, nous n’avons plus assez de temps de faire la même chose, car notre rythme de vie a changé », dit Abdou.

Ce dernier est aimé des enfants, mais aussi des adultes pour les histoires qu’il raconte. Tous les membres de la famille aiment écouter les récits des ancêtres, ces héros robustes, généreux et téméraires. Abdou raconte de façon captivante comment les premiers immigrés issus de sa tribu étaient des guerriers invincibles et comment ils ont protégé le pays et leurs sultans des ennemis. « Nous nous distinguons par nos origines et nos ancêtres et nous les connaissons tous par leurs noms ». C’est ainsi que Abdel-Samad résume la façon de penser d’une personne issue d’une famille d’origine arabe.

Les détails de chaque récit peuvent varier d’une maison à l’autre, mais les péripéties sont les mêmes. D’une génération à l’autre, ces histoires se sont ancrées dans les mémoires. « On a déjà perdu beaucoup de détails, car la vie moderne nous a happés, mais nous déployons tant d’effort pour rester unis », poursuit Abdou Chahine. Une vision partagée par les membres de sa famille qui ne ratent pas d’occasion de mariage ou de funérailles sans y assister. « Même dans les gouvernorats les plus lointains, il faut soutenir les membres de notre tribu, peu importe la fatigue », poursuit-il.

En fait, Chahine est le nom du grand-père, quatrième de la lignée. Or, tous les membres de la famille continuent de l’utiliser comme prénom ou nom de famille car il rappelle leurs aïeux. Le fait d’être un Chahine signifie que l’on est un descendant des Hanadi, une importante branche de la tribu d’Awlad Ali. D’après Abdel-Samad Chahine, 52 ans et comptable, ce nom est un label qui réfère à la pureté de la race.

Or, si les Chahine connaissent par coeur les noms de leurs ancêtres, d’autres individus d’origine arabe ignorent les leurs. « Je sais seulement que je suis arabe, ce qui veut dire que je suis issu d’une bonne famille, mais j’ignore le nom de mon grand-père et de mon arrière-grand-père. J’utilise toujours mon prénom et j’ajoute le mot arabe, c’est suffisant pour me faire connaître », dit Eid Al-Arabawi. Ces familles sont considérées par les autres comme des familles de seconde catégorie, et elles reçoivent leur aide. « Des chefs de famille leur prêtent des terrains pour dresser leurs tentes ou garder leurs troupeaux », analyse Saïd Al-Charassi.

Peu importe le nom de famille, ils continuent tous à considérer que leur race arabe est pure par rapport aux autres. D’après Al-Howeiti, les membres de ces tribus arabes sont bien conscients qu’ils risquent de perdre de leur notoriété s’ils n’attachent pas d’importance à leurs origines. Ce qui explique pourquoi, d’après Al-Howeiti, « beaucoup de familles refusent encore de marier leurs filles à des paysans. Quant aux hommes, ils sont soumis à quelques restrictions », explique Mohamad Sabbaq Al-Howeiti, 27 ans, de la famille Sadeq issue de la tribu d’Al-Howaytate, au gouvernorat de Sohag en Haute-Egypte. C’est ici que les chansons et les poèmes sont apparus au sujet des Arabes, faisant l’éloge de leur courage et de leur fierté.

Retrouver les membres de la tribu

Aujourd’hui, tout est fait pour que ces tribus restent réunies. « Si l’occupation anglaise a contribué à ce que les familles perdent contact entre elles à cause du manque de moyens de transport entre les gouvernorats, rien ne nous empêche aujourd’hui de nous rencontrer et de nous retrouver à nouveau », dit Al-Howeiti.

Une chose qui a poussé Mohamad Al-Howeiti à réagir et à créer une page sur Facebook qui porte le nom de sa tribu. Sur sa page, il invite et encourage tous ceux qui sont issus de sa tribu, en Egypte ou ailleurs, à se manifester pour échanger les nouvelles. Et pour ceux qui l’ignorent ou doutent de leurs origines, Mohamad les aide en faisant des recherches pour prouver leurs origines. « Nous sommes des cousins et donc, on doit se connaître », affirme ce jeune. Actuellement, les membres de la tribu d’Al-Howaytate se rassemblent dans les différents gouvernorats pour rencontrer d’autres tribus arabes. Ils se retrouvent à l’ombre des grandes rencontres dans différents villages de Haute-Egypte.

Les Arabes ont l’habitude de chercher à rassembler les membres de leurs tribus et à tisser des relations solides avec eux. Ils inscrivent les noms de chaque famille dans un document d’archives, dans le but de préserver leur identité. Saïd Al-Charassi, Arabe, installé à l’ouest d’Alexandrie, a créé avec d’autres, après la révolution de 2011, le Conseil suprême des tribus arabes, afin de rassembler les membres de toutes les tribus dans le but de préserver leur identité et constituer une force, d’autant que les Arabes installés aux frontières ont joué un rôle très important durant la révolution en assurant la sécurité de certaines régions sensibles.

« A travers ce conseil, nous essayons de retrouver tous les membres des tribus, pour les inscrire et constituer une communauté, ce qui pourrait permettre à l’Etat de mieux profiter des compétences des citoyens d’origine arabe », explique Al-Charassi. Ce dernier suggère que l’on nomme un délégué d’origine arabe au ministère des Affaires étrangères pour répertorier les noms des membres des tribus installés dans des pays comme le Soudan, la Libye et l’Arabie saoudite. En fait, selon Al-Charassi, les Arabes ont beaucoup fait pour le pays et peuvent faire davantage. Cependant, ils ne sont pas embauchés dans certains secteurs, comme la police, l’armée et les affaires étrangères. « C’est une injustice à l’égard de ces citoyens égyptiens qui ont démontré, tout le long de l’Histoire, leur loyauté et leur fidélité envers le pays », explique Saïd, en espérant que cette situation changera et que les personnes issues des tribus arabes retrouveront leur gloire d’antan.

D’après l’écrivain et chercheur sur les origines des tribus arabes, Amr Abdel-Aziz, ces familles arabes représentent un chapitre de l’Histoire. Leur carte généalogique porte quelques caractéristiques telles que la noblesse, le courage, la générosité et l’orgueil. Une chose qui les a valorisées jusqu’à l’époque du roi Farouq. Après la Révolution de 1952, leur prestige a baissé et elles ont perdu leurs privilèges.

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