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L’économie mondiale à la croisée des chemins

Genève, Par Névine Kamel, Mardi, 10 septembre 2024

Le Forum public de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) 2024 se tient du 10 au 13 septembre au siège de l’OMC à Genève sous le slogan « Ré-mondialisation : Un meilleur commerce pour un monde meilleur ». Retour en questions-réponses sur les enjeux de ce forum qui se tient dans un contexte mondial incertain.

L’économie mondiale à la croisée des chemins

Qu’est-ce que le Forum public de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ?

Le Forum public est la principale activité de communication de l’OMC. Il offre une plateforme unique aux parties prenantes du monde entier pour discuter des dernières évolutions du commerce mondial et proposer des moyens de renforcer le système commercial multilatéral. L’événement attire chaque année plus de 2 000 participants issus de secteurs variés, tels que la société civile, le milieu académique, le secteur des affaires, les organisations internationales et les médias. Ce forum se tient alors que l’OMC célèbre son 30e anniversaire (voir chronologie), dans un contexte mondial marqué par des perturbations des chaînes d’approvisionnement, une crise énergétique et alimentaire, l’inflation et le resserrement monétaire mondial.

Qu’est-ce que la « Ré-mondialisation » ?

Selon beaucoup d’observateurs, l’économie mondiale se trouve à la croisée des chemins. Mondialisation ou fragmentation ? Quelle option choisir pour résoudre les problèmes liés à la sécurité économique et géopolitique, à la pauvreté, à l’inclusion et à la durabilité environnementale ? Par mondialisation ou globalisation, on désigne le processus de resserrement des liens économiques grâce à la libre circulation des services, des capitaux, des marchandises, des investissements, des technologies et de la main-d’oeuvre sur la planète. L’ordre économique international, créé il y a un peu plus de 75 ans, reposait sur l’idée qu’une plus grande interdépendance entre les économies jouerait un rôle essentiel pour réaliser la paix et la prospérité. Mais cette idée est actuellement remise en question. Les crises récentes, la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et l’intensification des rivalités géopolitiques ont conduit certains pays à privilégier l’indépendance économique au lieu d’une interdépendance, pour assurer le bien-être de leurs populations. Par ailleurs, selon le baromètre de l’OMC, les mesures commerciales unilatérales ne cessent d’augmenter dans le monde. Alors que les échanges entre blocs partageant les mêmes valeurs progressent plus rapidement que les échanges entre les autres blocs. Selon les estimations, la fragmentation du commerce mondial pourrait entraîner des pertes comprises entre 0,2 % et 7 % du PIB mondial. Le Fonds Monétaire International (FMI) estime que l’actualisation des règles du commerce international, combinée au renforcement des politiques intérieures, pourrait rendre la mondialisation plus inclusive et plus durable. Le forum devrait examiner les avantages de la ré-mondialisation, c’est-à-dire l’intégration d’un plus grand nombre de personnes et d’économies dans le commerce mondial, ainsi que le renforcement de la coopération multilatérale.

Quels sont les principaux thèmes du forum ?

Le forum comprendra 135 sessions axées sur la manière de rendre le commerce plus inclusif et d’assurer que ses bénéfices atteignent un plus grand nombre de personnes. Les discussions porteront sur les politiques vertes, le commerce des services, la transformation numérique, la transition verte et le développement industriel de l’Afrique, ainsi que le développement des compétences numériques dans les pays en développement. Le premier jour a vu le lancement du Rapport sur le commerce mondial 2024. Ce rapport explore les interconnexions complexes entre le commerce et l’inclusion et entre les économies. Il examine également les moyens d’intégrer les économies à faibles et à moyens revenus dans le commerce mondial et la diversification des chaînes de valeur mondiales afin de créer de nouvelles opportunités pour ces économies. Une autre session sera dédiée aux « Jeunes leaders du commerce de l’OMC 2024 » représentant six continents. Ils partageront leurs visions afin d’améliorer la participation et l’intégration des jeunes dans le commerce.

Quels sont les principaux indicateurs de croissance de l’économie mondiale ?

Selon les Perspectives du commerce mondial publiées en avril 2024 par l’OMC, le volume du commerce mondial des marchandises devrait augmenter de 2,6 % en 2024 et de 3,3 % en 2025, après une baisse plus importante que prévu de -1,2 % en 2023. La croissance du PIB réel mondial a ralenti, passant de 3,1 % en 2022 à 2,7 % en 2023, mais devrait rester globalement stable au cours des deux prochaines années à 2,6 % en 2024 et à 2,7 % en 2025. Par ailleurs, le commerce mondial a fait preuve d’une résilience remarquable ces dernières années, malgré plusieurs chocs économiques majeurs. A la fin de 2023, le volume des échanges de marchandises était en hausse de 6,3 % par rapport à 2019. Les services commerciaux ont également augmenté, avec des valeurs annuelles en dollar en hausse de 21 % entre 2019 et 2023. Selon le rapport, les risques qui pèsent sur les prévisions sont orientés à la baisse en raison des tensions géopolitiques actuelles et de l’incertitude politique. Le conflit au Moyen-Orient a perturbé les expéditions maritimes entre l’Europe et l’Asie, tandis que des tensions ailleurs pourraient entraîner une fragmentation des échanges. La montée du protectionnisme est un risque supplémentaire qui pourrait compromettre la reprise des échanges en 2024 et 2025.


(Photo : OMC)

Quels sont les risques géopolitiques majeurs pesant sur l’économie mondiale ?

Les récentes tensions géopolitiques qui affectent les principales routes commerciales du monde suscitent les inquiétudes quant à leurs répercussions sur la stabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales. Ces perturbations affectent particulièrement les pays en développement. En effet, le commerce maritime représente plus de 80 % des échanges mondiaux de marchandises. Selon la CNUCED (ndlr : programme de l’ONU qui vise à intégrer les pays en développement dans l’économie mondiale), le conflit en cours en Ukraine a provoqué des changements importants sur le marché du pétrole et des céréales, modifiant les schémas commerciaux habituels. Parallèlement, le Canal de Panama, voie de communication essentielle pour le commerce mondial, est confronté à une grave sécheresse qui a entraîné une baisse des niveaux d’eau et une réduction surprenante de 36 % du nombre total de transits au cours du mois dernier par rapport à la même période de l’année passée. Les conséquences à long terme du changement climatique sur la capacité du canal font craindre des effets durables sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Pour éviter ces zones perturbées, les navires se trouvent contraints de parcourir de plus grandes distances et à une vitesse plus élevée. Cette situation allonge les distances de transport des marchandises. Ce qui entraîne l’augmentation des coûts commerciaux, des émissions de gaz à effet de serre et des retards de livraison, ainsi qu’une hausse des prix des denrées alimentaires.

Pourquoi faut-il reformer l’OMC ?

Pour accélérer le processus de ré-mondialisation, il est crucial de réformer et d’actualiser les règles de l’OMC afin de s’adapter aux évolutions du système commercial mondial. Malgré les trente ans d’existence de l’OMC, les négociations entre les pays membres sur les principaux dossiers sont toujours en suspens. La 13e Conférence ministérielle tenue à Abu-Dhabi en février dernier n’a pas réussi à parvenir à des accords sur plusieurs initiatives-clés. En ce qui concerne les discussions sur le commerce électronique, il a été convenu, à Abu-Dhabi, de prolonger la suspension des droits de douane sur le commerce numérique jusqu’à la prochaine conférence ministérielle dans deux ans, date à laquelle l’accord expirera, ce qui nécessitera des négociations plus approfondies. Plusieurs pays, dont l’Inde et l’Afrique du Sud, s’opposent à cette prolongation, soutenue par la grande majorité des pays et considérée comme essentielle pour que les entreprises évitent d’imposer des droits de douane sur les produits numériques tels que les téléchargements de films. Les pays ont également convenu de poursuivre les négociations en 2024 pour tenter de résoudre la crise du système de règlement des différends. La plus haute instance de ce système est bloquée depuis quatre ans en raison de l’opposition des Etats-Unis. Cela a laissé de nombreux différends commerciaux en suspens, car les pays peuvent contester la légalité des règles de l’OMC. Concernant les négociations sur l’agriculture et la pêche, questions cruciales pour la sécurité alimentaire des Pays les Moins Avancés (PMA) et des économies vulnérables, aucun accord n’a été trouvé à Abu-Dhabi.

Quelle place de l’Afrique dans l’économie mondiale ?

Plusieurs séances seront consacrées lors du forum à l’exploration des moyens d’améliorer la compétitivité des économies africaines au sein du continent et sur le marché mondial, ainsi que les défis qui entravent la capacité de ces pays à s’industrialiser de manière durable. En effet, les économies africaines restent piégées dans des structures productives de faible valeur ajoutée, avec des exportations fortement dominées par les matières premières brutes, y compris les matières premières stratégiques. Bien que l’Afrique possède d’importants gisements de matières premières critiques, les technologies-clés pour valoriser ces matières premières dans le cadre de l’industrialisation verte sont concentrées dans les économies développées. Les pays africains sont déjà très endettés et les répercussions économiques de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine n’ont fait qu’aggraver la situation. En plus, la demande croissante sur les matières premières critiques pourrait accentuer le positionnement défavorable des pays en développement au bas de l’échelle de l’économie mondiale. Le lancement la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) en janvier 2021 offre de réelles possibilités de dynamiser l’intégration commerciale dans toute l’Afrique. Toutefois, la mise en oeuvre de la ZLECAf se heurte à de nombreux défis. Les droits à l’importation en Afrique restent supérieurs à la moyenne mondiale (6 %), alors que l’environnement commercial (infrastructures de transport et de télécommunications, accès au financement, procédures douanières) constitue également un obstacle supplémentaire. Le FMI estime que la pleine mise en oeuvre de la ZLECAf, conjuguée à un développement des infrastructures et des investissements dans le capital humain, constituerait un tournant pour l’intégration commerciale en Afrique. Cette dynamique permettrait aux pays africains de tirer parti de la hausse de la demande mondiale sur les services à forte intensité de compétences et à haute valeur ajoutée.

 Comment l’Egypte peut-elle soutenir les pays en développement au sein de l’OMC ?

L’Egypte a été un acteur de premier plan dès les premières négociations internationales sur la régulation du commerce mondial. Elle a participé à la création de l’OMC en 1947 et aux négociations du GATT en 1993. Lors des négociations sur le chapitre IV sur le commerce et le développement en 1964 et 1965, le principe défendu par l’Egypte de traiter les pays en développement de manière préférentielle a été adopté. En juin dernier, lors d’une réunion du Conseil général de l’OMC, Dr Ahmed Maghawry Diab, ministre délégué et directeur du bureau égyptien de représentation commerciale à l’ONU et à l’OMC, a présenté la vision de l’Egypte quant à l’importance d’adopter des politiques de développement industriel et quant aux questions de développement inclusif qui sont prioritaires pour les pays en développement, notamment en Afrique. Maghawry a appelé les pays membres de l’organisation à intensifier les négociations agricoles en soulignant la nécessité « d’avoir une vision claire pour les orienter vers l’adoption de politiques réduisant les risques d’insécurité alimentaire, en particulier dans les pays en développement importateurs nets de nourriture, dont l’Egypte ». Il a également souligné l’importance d’adopter des politiques efficaces de transfert de technologie et de soutenir notamment le commerce électronique, en particulier pour les pays lourdement endettés. Dans son discours, Maghawry a insisté sur la position de l’Egypte alignée sur celle du groupe africain concernant « la nécessité de permettre aux pays en développement, en particulier en Afrique, de mettre en oeuvre des politiques favorisant leur intégration dans les chaînes de valeur et d’approvisionnement mondiales ».

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