L’art de l’illusion semble être un des points forts du gouvernement. Ce dernier annonçait il y a peu, et avec fracas, l’instauration d’un salaire maximum pour les fonctionnaires. Une décision du premier ministre limite, depuis début janvier, le salaire des fonctionnaires à 42 000 L.E.
Cette décision est la troisième du genre en trois ans. Pourtant, aucun mécanisme de mise en application de la décision n’a été annoncé. Telle quelle, la décision ouvre grand la porte à une série d’exemptions. L’effet attendu sur le budget ne devrait donc pas se faire sentir et l’inégalité entre les salaires au sein de la fonction publique devrait rester aussi importante.
La liste des exceptions comprend notamment les représentants de l’Egypte à l’étranger, les représentants commerciaux, les fonctionnaires ministériels en poste à l’étranger, ainsi que « les organismes à caractère spécial qui seront ultérieurement précisés par le premier ministre ».
On ne sait donc pas à qui la décision sera appliquée et si elle touchera les organismes qui font des gros salaires une spécialité. Les hauts fonctionnaires de la police et les officiers de l’armée pourraient être exemptés, tout comme le secteur pétrolier public, les banques, les compagnies d’assurances ou encore l’Organisme du Canal de Suez. A l’égard de ces organismes, les déclarations des responsables sont contradictoires.
Jusqu’à présent, les hauts fonctionnaires de l’administration publique et des municipalités sont concernés. Or, le gouvernement ne possède pas de base de données permettant de recenser les fonctionnaires dont le revenu mensuel dépasse 42 000 L.E., avoue une source officielle proche du dossier interrogée par l’Hebdo.
Car la fiche de paye des hauts fonctionnaires n’est pas révélatrice des sommes touchées au début de chaque mois. Les salaires des hauts fonctionnaires dépassent rarement quelque 1 000 livres par mois. Les compléments, qui peuvent s’élever à plusieurs dizaines de fois le salaire mensuel, se présentent sous forme de bonus. Ainsi, assister à un meeting, être le représentant du gouvernement dans des conseils d’administration d’entreprises publiques ou participer à la hausse des bénéfices d’une entreprise appartenant à l’Etat permettent de s’octroyer de larges primes.
Alors que récemment le gouvernement a fait passer une loi qui empêche un fonctionnaire de siéger à plusieurs postes de direction, elle n’a pas été accompagnée de statut exécutif, ce qui fait traîner sa mise en application.
Safwat Al-Nahass, ancien président de l’Agence centrale de l’organisation et de l’administration, révèle que le nombre de hauts fonctionnaires s’élève à 30 000 dont 6 000 conseillers qui ne bénéficient pas de contrat permanent dans l’administration publique. « On a besoin de pister les revenus de ces 30 000 personnes pour s’assurer de l’application de la décision », ajoute-t-il.
Selon Abdel-Fattah Al-Guebali, membre du Conseil national des salaires, le gouvernement est actuellement en train de collecter les informations sur les revenus des hauts fonctionnaires. Mais certaines directions prennent du temps à collaborer. « Le mécanisme proposé est que chaque direction envoie à l’Agence Centrale de l’Organisation et de l’Administration (ACOA) et à l’Organisme Central des Comptes (OCC) les informations sur les sommes octroyées à chacun de ses fonctionnaires ».
Le but est que l’ACOA et l’OCC puissent avoir un droit de regard sur les salaires les plus élevés. Selon Al-Guebali, si cette décision est correctement appliquée, l’économie du Trésor public sera de 1,5 milliard de L.E. par an, soit 0,8 % du total des salaires dans le budget de l’Etat. Par ailleurs, 18 milliards de L.E. sont nécessaires pour financer la hausse du salaire minimum, qui doit également entrer en vigueur prochainement et qui bénéficiera à 2,3 millions de fonctionnaires.
Absence de système effectif
« Mais sans automatisation du système de paiement des salaires, le gouvernement sera incapable d’assurer la mise en oeuvre de cette décision », avertit Khaled Zakariya, chercheur invité à l’Université de New York (NYU). Il estime qu’en l’absence de base de données et de statut exécutif précis, la décision sera au mieux effective dans deux ans.
Il avance pourtant qu’il s’agit d’un pas en avant pour limiter les revenus de certains hauts fonctionnaires. « Au moins, la posture de ceux qui reçoivent des sommes exorbitantes est devenue illégale et ces personnes pourraient s’exposer à des sanctions et au remboursement des sommes indûment perçues ».
La décision d’imposer un salaire maximum équivalent à 35 fois le salaire minimum n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été prise en 2011 après la révolution sous le gouvernement de Kamal Al-Ganzouri. Mais à l’époque, la décision fixait le plafond à 35 fois le salaire minimum d’un diplômé universitaire au début de sa carrière et travaillant dans le même secteur. En pratique, cela pouvait permettre un salaire maximum dépassant 100 000 L.E. dans des secteurs comme celui du pétrole où le salaire minimum d’un diplômé peut varier entre 2 000 et 3 000 L.E. par mois.
« La notion de justice était moins présente, vu que les salaires minimum et maximum dans chaque secteur variaient beaucoup », commente Khaled Zakariya. La nouvelle décision est en soi plus tranchante, la question est de savoir si le gouvernement a, cette fois, la volonté de la mettre en vigueur.
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