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Pascal Furth : L’Egypte est une terre d’accueil pour l’investissement

Marwa Hussein , Mercredi, 10 juillet 2024

Pascal Furth, chef du service économique de l’ambassade de France en Egypte, évoque les réformes économiques entreprises par l’Egypte.

Pascal Furth

Al-Ahram Hebdo : Vous êtes arrivé en Egypte il y a à peu près un an. Comment avez-vous vécu cette période en tant que chef du service économique de l’ambassade de France ?

Pascal Furth : Je suis arrivé en Egypte en septembre, dans une période particulièrement riche où se posaient beaucoup de questions d’ordre macroéconomique et économique. Il y avait globalement un sentiment d’inquiétude lié à la conjoncture économique, des contraintes liées à l’environnement géopolitique mais aussi aux différentes crises que l’Egypte a malheureusement traversées depuis 2016, que ce soit la crise économique en 2016, le Covid, l’Ukraine et Gaza depuis octobre dernier. Puis immédiatement, après mon arrivée, il y avait évidemment une forte attention apportée sur l’analyse macroéconomique du pays. Ce qui est fascinant, c’est que j’ai eu le plaisir de constater et de vivre la manière dont l’Egypte se réinventait en permanence, la manière dont les accords qui ont été signés avec le Fonds Monétaire International (FMI), l’UE et évidemment le renouvellement des accords avec certains pays du Golfe et l’accord un peu symbolique de Ras Al-Hikma ont modifié la manière dont le risque macroéconomique a été perçu en Egypte. On est passé d’une inquiétude que tout le monde avait, surtout les Egyptiens, à un vent de confiance renouvelée. La route est encore longue, le président Sissi, lors de la dernière Conférence UE-Egypte, n’a pas caché le fait qu’il y aurait des efforts importants à faire et il s’est engagé à les faire. Je veux aussi dire que de tous les postes où j’étais à l’étranger dans ma carrière, jamais je n’étais dans un poste où la relation entre la France et le pays où j’étais était aussi forte, riche, passionnelle et surtout, multiforme, pas seulement au niveau économique. En fait, il n’y a pas un sujet où la France et l’Egypte n’ont pas à se parler.

— Comment peut-on qualifier la présence économique de la France en Egypte ?

— La France est le premier investisseur européen hors hydrocarbures en Egypte, le deuxième après l’Italie en ajoutant les hydrocarbures. On le voit par le nombre d’entreprises françaises qui créent au minimum 50 000 emplois directs, des milliers de jeunes Egyptiens qui sont formés. Je ne soupçonnais pas, moi qui n’aie été jamais en poste dans cette région du monde, qu’il y ait ce réservoir de talents de très haut niveau en Egypte que nos entreprises utilisent et qu’elles contribuent à développer en les formant, mais aussi dont elles bénéficient parce que le degré de technicité, de professionnalisme et aussi managérial des Egyptiens est, de l’avis de toutes les entreprises présentes ici, sans équivalent dans la région, voire dans le monde, véritablement parce que les talents ici allient énormément de compétences techniques fortes, mais aussi de flexibilité, de souplesse et de réactivité dans la manière dont les projets sont menés. C’est ce que toutes les entreprises nous disent. Des entreprises qui ont implanté ici des centres mondiaux de recherche, Valeo, Alstom, Cap Gemini, qui servent le monde entier depuis l’Egypte et je peux multiplier les exemples. Ce réservoir de talents est quelque chose de très important qui nourrit et qui entretient la présence française économique en Egypte, déjà très ancienne comme vous le savez.

— Quel était l’apport de la France à la Conférence UE-Egypte qui s’est tenue à la fin juin ?

— Il y a eu une forte mobilisation d’entreprises françaises sur ce forum d’investissement qui était un succès. Je le trouve déjà admirable en termes d’organisation parce que c’était un forum qui a été décidé très tard et pourtant, l’Egypte, comme d’habitude, arrive à remplir tous les défis. Du côté des entreprises françaises, nous étions le groupe le plus important parmi les entreprises présentes. Beaucoup de présidents d’entreprises françaises étaient présents et plusieurs accords ont été signés. On a eu trois principaux accords signés par la France, deux dans le domaine de l’hydrogène vert, qui sont très significatifs et porteurs d’investissements de plusieurs milliards d’euros. Puis il y avait un accord important dans le domaine de développement des silos avec l’Agence Française de Développement (AFD) qui a signé un protocole d’accord sur une subvention de 60 millions d’euros octroyée par l’UE, mais qui est mise en oeuvre par l’AFD. C’est important parce que la sécurité alimentaire est un domaine dans lequel la France est assez présente en Egypte. Il existe déjà une coopération entre la France et l’Egypte dans le domaine de l’exportation de blé, mais évidemment, la crise en Ukraine a donné une urgence à développer encore cette coopération et on a eu des partenariats significatifs depuis la crise du blé en Ukraine.

— Vous avez mentionné un intérêt des entreprises égyptiennes à investir en France. Quel est le profil de ces entreprises égyptiennes ?

— Il y a deux profils qui peuvent vous paraître opposés. D’abord, pour investir en Europe, il faut parfois être un grand groupe, ça vous donne la surface financière pour faire un investissement qui n’est pas forcément coûteux, mais qui quand même demande du temps, de l’énergie, de l’investissement et du déplacement. Là, il faut être un groupe qui connaît déjà l’Europe, qui exporte déjà vers ce continent et qui le faisait par des flux commerciaux sans un point de suivi sur place. A l’opposé, vous pouvez avoir aussi des start-up, notamment dans le digital ou le numérique. Je veux dire que là aussi, c’est une découverte pour moi à mon arrivée du foisonnement de l’écosystème numérique, digital et des start-up en Egypte que je ne soupçonnais pas. Le Smart Village est très impressionnant. Quand je visite certaines entreprises, j’ai l’impression de me trouver à la Silicon Valley et vous avez des écosystèmes de start-up très développés. Certaines s’intéressent à la France et cherchent à s’y implanter parce qu’elles y trouvent un complément en termes d’innovation, de design et de technologie numérique. Elles trouvent aussi la possibilité de faire de l’incubation en France et en Europe. Donc deux profils complètement différents d’entreprises, de grosses entreprises industrielles qui connaissent et exportent déjà vers l’Europe et, à l’opposé, de petites start-up qui ont besoin de pouvoir sourcer des capitaux en Europe pour grandir, être incubées, portées et accompagnées par les talents, des innovations technologiques, numériques et en design qui sont présentes en France et en Europe.

— Vous avez témoigné d’une période de réformes économiques radicales en Egypte. Du point de vue de l’investissement, qu’est-ce qui reste encore à réaliser ?

— Les investisseurs veulent de la stabilité et de la clarté, ils veulent un environnement d’affaires stable, des règles qui ne changent pas souvent et un environnement qui soit transparent où les accords soient signés, conclus et respectés. Alors, l’Egypte est une terre d’accueil d’investissement très importante. C’est vrai que les dernières années ont été compliquées, pas seulement en Egypte, mais dans le monde et dans la région. C’est pour cela que les réformes que souhaitent les entreprises, mais aussi les partenaires de l’Egypte, sont d’avoir un environnement d’affaires stable et surtout prévisible parce que les investisseurs arrivent pour de longues périodes, ils investissent pour dix, vingt ou trente ans. Je crois que là-dessus, l’Egypte a fait énormément de réformes. Il y a de la clarification dans le domaine fiscal, des visions claires comme la Vision 2030 qui contribue à donner cette espèce de vision à moyen terme dont les entreprises ont besoin pour investir, parce qu’elle est très concrète avec des secteurs prioritaires, des orientations. Après, il y a toutes les réformes qui sont entreprises dans le cadre du programme du FMI et des réformes qui sont aussi discutées et prévues dans le cadre des accords avec l’UE. Vous avez le fait que la Banque Centrale décide de libéraliser le taux de change de la livre égyptienne, ce qui a eu un effet immédiat sur les entrées d’investissement en Egypte. Mais il faut encore le consolider, parce que les capitaux qui sont entrés pour le moment sont des capitaux d’investissement de portefeuille de court terme, et évidemment ce que veut l’Egypte, ce sont des investissements à long terme. Pour ce faire, il faut une vision de long terme. Entre la fin de l’année dernière et le début de cette année, je sens un changement radical et positif dans la manière dont nos entreprises perçoivent l’Egypte. Maintenant, les entreprises envisagent et concrétisent déjà des investissements très importants en Egypte supérieurs à 100 millions d’euros parfois. Des entreprises françaises, comme Saint-Gobain, prévoient des investissements très significatifs. Elles le font parce qu’elles ont une nouvelle confiance. La majeure partie de ces investissements sont des investissements d’extension.

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