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Chérine Al-Chawarbi: Il faut envisager un système de protection pour la société entière

Marwa Hussein, Mardi, 31 décembre 2013

Chérine Al-Chawarbi, assistante du ministre de la Finance et chargée de la « justice économique », explique la vision du gouver­nement en matière de justice sociale. Elle parle des subven­tions et évoque la question des impôts.

Il faut envisager un système de protection pour la société entière
( Photo: Mohamad Adel)

Al-ahram hebdo : Le terme « justice économique » est très vaste. Quel est précisément le rôle de votre unité ?

Chérine Al-Chawarbi : Le fait que le ministère des Finances ait créé cette unité de justice économique prouve que le gouvernement veut une réforme réelle à ce niveau. Le rôle du ministère des Finances n’est pas de collecter de l’argent, mais de s’assurer que la gestion des fonds publics est efficace et garantit la croissance économique, tout en visant à établir la justice sociale. Le gouvernement actuel ne va pas tout changer, mais son rôle est de jeter les fondements d’une réforme. Nous nous sommes engagés à travailler sur 3 dossiers, à savoir le système de protection sociale et de subventions, le secteur informel et les assurances sociales.

— Quelle est votre vision pour la réforme des subventions ?

— Permettez-moi de poser une question. Faut-il subventionner tous les citoyens ou bien certaines catégo­ries doivent être exclues du système des subventions ? Le gouvernement ne doit pas subventionner les per­sonnes qui possèdent les moyens de vivre dignement. Bien sûr des per­sonnes qui ont un niveau de vie élevé peuvent retomber dans la pauvreté. L’idéal serait donc de créer un sys­tème flexible qui permette au citoyen d’entrer ou de sortir du système des subventions en fonction de sa situa­tion et non pas un système clos dont on ne sort plus une fois dedans. Bien sûr les familles qui vivent dans l’ex­trême pauvreté, et qui sont sous le seuil de pauvreté alimentaire, ont besoin de soutien continu. Ce soutien peut prendre différentes formes : aides en espèces ou en nature, ser­vices médicaux et éducation pour les enfants de ces familles, pour qu’ils puissent, eux, sortir dans l’avenir de la pauvreté. Il faut donc envisager un système de protection pour la société entière.

— Où en est le ministère de ce système ?

— Le premier pas serait de déter­miner les catégories de la population qui ont besoin de cette aide et d’étu­dier leurs besoins. Même si on peut profiter de l’expérience d’autres pays, on ne peut pas adopter leurs systèmes tels qu’ils sont. Chaque pays a sa spécificité. Le programme actuel de solidarité sociale bénéficie à 1,5 million de familles. Il est parmi les plus efficaces et vise les catégo­ries les plus démunies. Le problème est qu’il ne représente que 0,2 % du PIB alors que les subventions (à l’énergie et produits alimentaires) s’élèvent à 10 % du PIB. Nous vou­lons créer un système plus efficace avec une cible plus précise. Il ne faut pas se contenter de verser des fonds aux familles pauvres, il faut voir comment aider au moins un membre de chaque famille pour qu’il puisse la sortir de la pauvreté.

— Comment le gouvernement va-t-il trouver les ressources néces­saires pour appliquer ce système ? Toute réduction des subventions risque de générer une grogne sociale ...

— Nous savons tous que le sys­tème des subventions est défectueux et qu’il bénéficie à certaines catégo­ries qui n’ont pas besoin de subven­tions, alors qu’il n’est pas à la portée des catégories les plus démunies. En plus, il coûte à l’Etat le quart du bud­get. Le problème est que personne ne veut faire de concessions avant d’être sûr que l’Etat va lui donner d’autres avantages. Je comprends que le citoyen a des soucis, car le niveau des services gratuits est en dessous des normes, qu’il s’agisse des ser­vices médicaux, de l’éducation ou des transports publics. Je crois que le gouvernement doit définir le pro­blème et définir le rôle de chaque personne au sein de la société. Il doit communiquer avec la société civile et l’écouter. Il faut trouver un moyen car, avec la hausse des prix des pro­duits alimentaires et pétroliers dans le monde, le système des subventions ne peut pas être économiquement durable. L’objectif n’est pas de faire des économies, ce qui est en soi légi­time, mais de bien utiliser nos res­sources, afin d’améliorer le niveau des services, comme la santé et l’éducation, réduire la pauvreté, amé­liorer les indicateurs du développe­ment humain et créer des emplois.

— Les différentes tentatives de réglementer le secteur informel se sont soldées par un échec. Quelle est la vision du gouvernement actuel à ce niveau ?

— Le secteur informel est accablé par d’innombrables restrictions, et l’environnement des affaires ne le favorise pas. Nous avons besoin donc de créer un environnement d’affaires plus propice à travers une réforme juridique et une simplification des procédures. Si on simplifie les procé­dures administratives aux petits entrepreneurs, ceux-ci adhéreront au secteur formel. Car cela leur facilite­ra l’accès au financement, il leur permettra d’opérer avec des usines plus grandes et donc de croître et de créer plus d’emplois. L’adhésion du secteur informel à l’économie for­melle va garantir que la croissance atteigne des classes plus pauvres. Nous voulons changer l’idée admise que le but de la formalisation est la collecte des impôts. La vision finale n’est pas encore claire, mais il est possible que nous envisagions d’of­frir aux entrepreneurs qui acceptent d’officialiser leur activité une exemp­tion fiscale pour une période donnée, pour leur permettre de croître.

— Les assurances sociales ne couvrent qu’une partie des employés, et les pensions de retraite sont très maigres. Cela peut-il changer ?

— Pour résoudre les problèmes du secteur formel, il faut résoudre les problèmes de l’assurance sociale et des pensions de retraite qui n’encou­ragent ni les patrons, ni les employés à adhérer au système. Il faut réformer la loi sur l’assurance sociale. Les fonds doivent être comme une tire­lire, c’est-à-dire permettre à l’em­ployé de participer lorsqu’il en a les moyens, mais l’exonérer lorsqu’il est au chômage. Il faut aussi lier l’assu­rance sociale à l’assurance santé.

— Peut-on établir la justice sociale en Egypte sans réviser la taxation ? Qu’est-ce que le gouver­nement va faire en ce qui concerne les revenus ?

— Le gouvernement s’intéresse à ce dossier, et ce n’est pas un dossier facile. Il faut bien sûr que les plus favorisés assument leur responsabili­té, car de toute façon, il y aura un prix à payer. Cependant, on ne peut pas augmenter l’impôt sur le revenu, alors que les entreprises sont en diffi­culté. On peut, en revanche, travailler tout de suite au niveau des dépenses et forger une vision pour les revenus, mais celle-ci ne sera pas appliquée du jour au lendemain. On avait des impôts plus progressifs à une époque, mais les revenus étaient limités. On peut augmenter les impôts sur les profits des entreprises si on arrive à améliorer l’environnement des affaires .

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