Le sit-in des ouvriers de la Société égyptienne pour le fer et l’acier (Hadisolb) entame sa deuxième semaine. Lundi 2 décembre, ils ont décidé d’aller plus loin et d’entamer une grève partielle : le haut fourneau continuera de fonctionner mais pas les ateliers. Au cours des derniers jours, les ouvriers avaient éloigné l’option d’une grève, mais l’annonce faite par des responsables sur l’absence de liquidités suffisantes les pousse à revenir sur leur décision.
Dimanche 1er décembre, plusieurs employés avaient décidé de ne pas entrer en grève, car le coût d’un arrêt total de travail serait fatal pour l’entreprise. « Les ouvriers du shift matinal travaillent alors que ceux des deux autres shifts manifestent », dit Mossaad Al-Chelehi, secrétaire général adjoint du syndicat de l’entreprise. « Ce n’est pas dans notre intérêt de diminuer la production alors qu’on réclame que la société fonctionne à pleine capacité ».
Les protestations ont commencé suite aux retards de payement des primes sur les profits annuels. Mais pour les ouvriers, ces primes représentent en fait une partie déguisée de leur salaire mensuel, que la société retranche tous les mois pour reporter son versement aux mois de juin et de novembre. « On a eu en juin juste une partie de la prime qui varie entre 1 000 et 2 000 L.E. par ouvrier, selon son ancienneté », précise Moustapha Hassan, un jeune ouvrier.
Dans un communiqué rédigé par certains ouvriers et distribué dans l’entreprise, les ouvriers décrivent ces retards de paiement comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ils accusent l’administration de mauvaise gestion, de corruption et de répression des leaders syndicaux.
En effet, hormis les plaintes sur le retard des primes, les demandes des ouvriers sont toutes de nature politique, comme la démission du président du conseil d’administration ainsi que celui de la Société holding pour les industries métallurgiques, l’annulation des décisions punitives contre les leaders syndicaux, le retrait de confiance du syndicat de l’entreprise, une investigation sur les possibles corruptions au sein de l’entreprise.
Mais pour Ragab Abdel-Basset, vice-président du conseil d’administration, c’est avant tout un manque de liquidités qui paralyse l’entreprise. « C’est au ministre de l’Investissement ou à l’entreprise holding (des industries métallurgiques) de fournir les liquidités nécessaires », dit-il brièvement au téléphone.
Silence de la direction
La majorité des responsables à Hadisolb ne vont pas à leur bureau, probablement par crainte d’une colère ouvrière. Les portables de plusieurs d’entre eux sont éteints comme a pu constater l’Hebdo en essayant de les contacter.
La performance de la société, auparavant joyau du secteur public, s’est dramatiquement détériorée. L’entreprise qui regroupait le plus grand nombre d’ouvriers au sein d’un seul site en Egypte ne compte plus que quelque 12 000 employés contre 28 000 au début des années 2000. Cela fait deux ans qu’un seul haut fourneau sur les quatre que possède l’entreprise fonctionne.
Les pertes annuelles ont plus que doublé en un an, pour se rapprocher des 900 millions de L.E. lors du dernier bilan du mois de juin. Depuis quelques années, l’entreprise souffre d’un manque chronique de coke (charbon utilisé en sidérurgie) pour alimenter ses hauts fourneaux. « On a besoin de liquidités pour acheter le coke et faire fonctionner au moins trois hauts fourneaux pour que l’entreprise réalise des profits », dit Ragab Abdel-Basset, vice-président du conseil d’administration.
Les ouvriers disent que leurs conditions de travail sont devenues aussi précaires que leur entreprise. Deux accidents mortels ont eu lieu le mois passé, un ouvrier est décédé suite à une amputation de la jambe causée par la chute d’équipements lourds. Un garde de sécurité a aussi été abattu par des voleurs qui ont attaqué l’entreprise. Par ailleurs, en raison des conditions de travail, les ouvriers souffrent de problèmes de cartilage, de maladies du foie et d’asthmes.
Liquidation potentielle
La plus grande crainte des ouvriers est aujourd’hui de voir leur entreprise, numéro un du marché égyptien, entrer en liquidation. Selon Saad Al-Chelehi, l’un des membres du syndicat présent au sit-in, dans 3 ans, il ne restera dans l’usine que 3 000 ouvriers. La plupart partiront à la retraite et ne resteront que les plus jeunes, recrutés il y a 5 à 7 ans.
Dans les années 1990, le gouvernement avait ouvert la porte au départ à la retraite anticipée, les ouvriers étant en sureffectif. L’objectif semblait être une future privatisation de la compagnie. Face à l’échec de cette tentative, le gouvernement a cherché à moderniser l’entreprise : régler son passif et investir. La restructuration semblait bien marcher : la production et les ventes ont augmenté de 18 % en 2005/2006, et les profits ont atteint 341,9 millions de L.E. contre 249,6 millions un an avant. L’entreprise a continué à réaliser des profits avant de retourner dans le négatif en 2010/2011.
Aujourd’hui, l’avenir du sit-in reste incertain. Les ouvriers disent vouloir avant tout un communiqué officiel annonçant une date de paiement des primes. Mais la nouvelle loi contre les manifestations pourrait les obliger à mettre fin à leur contestation s’ils ne veulent pas revivre le même scénario qu’en 1989 mettant fin au mouvement ouvrier. A l’époque, la contestation s’était soldée par la mort d’un ouvrier et l’arrestation de 200 autres. Le mouvement n’avait timidement repris qu’en 2007.
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