Sous un soleil brûlant de l’après-midi, sur le pont d’Imbaba, une jeune femme voilée d’une trentaine d’années, vêtue d’une robe noire modeste, tient un grand sac rouge ouvert. Un jeune marchand de dattes y verse, à deux reprises, une généreuse poignée de dattes, sans demander d’argent. « Tout le monde a le droit de consommer des dattes, surtout pendant cette saison bénie », affirme Hassan Samir, un jeune vendeur au célèbre marché aux dattes et au yamich (fruits secs) de Rod Al-Farag au Caire.
En longeant la rive du Nil, du centre-ville en direction du quartier de Rod Al-Farag, on découvre La Mecque des dattes et du yamich. Au détour de la rue Al-Sahel, sous le pont reliant Rod Al-Farag à Imbaba, s’amoncellent d’énormes sacs de dattes de toutes sortes. « J’ai hérité de ce métier de mon père, qui l’a lui-même hérité de mon grand-père. Cela fait plus de 150 ans que ma famille vend des dattes sur ce marché », raconte Mounir Mohsen, un jeune vendeur, tout en calculant le prix d’une dizaine de kilos achetés par une famille de la classe moyenne.
« Cela fait plus de 20 ans que nous achetons les dattes et le yamich sur ce marché, où la qualité supérieure et les prix abordables des produits sont incontestables », explique Adel Ezzab Khalaf, qui porte deux grands sacs de dattes et de yamich qu’il va distribuer aux autres branches de sa famille.
Transformé en marché de dattes à la fin des années 1960, le marché de Rod Al-Farag a commencé comme marché de céréales à la fin du 19e siècle pour ensuite changer de cap et devenir un marché aux poissons grâce à sa proximité du Nil, et se transformer en fin de compte en un célèbre marché de dattes et de yamich. Cela n’a empêché que quelques rares boutiques perpétuent leurs activités ancestrales.
L’enjeu de la régulation des prix
Le marché des dattes et du yamich commence ses activités dès le mois de Ragab où les commerçants étalent leurs marchandises, le marché se tient jusqu’à la fin de la saison du jeûne. Entourée de tissu traditionnel du Ramadan, la zone étroite située sous le pont est remplie de gros sacs qui renferment différents types de dattes.
L’étroitesse du lieu rend le passage des clients et des voitures difficile. Ceci n’empêche pas les clients de se frayer un chemin pour acheter leurs besoins. Quant aux marchands, ils utilisent de gros jerricans de plus de 10 kg pour peser la marchandise. « Tous les gens qui viennent ici achètent d’énormes quantités de produits de consommation, qu’ils soient familiaux ou commerciaux », explique le vendeur Mounir Mohsen, occupé à peser une grande quantité de dattes pour un consommateur. Avant d’affirmer qu’à la fin de la saison du jeûne, toute la marchandise est vendue et il ne reste rien pour l’année suivante. Non seulement grâce aux prix abordables mais aussi à une conception partagée par un certain nombre de marchands selon laquelle tout le monde a le droit de goûter aux dattes, notamment pendant le mois sacré.
Pour Oum Khaled, une autre vendeuse, qui importe elle-même le yamich et le vend à des prix raisonnables par rapport aux autres marchés, « il n’existe pas d’intermédiaire entre le consommateur et moi ». A côté d’elle se tient une femme qui lui demande de lui passer une feuille blanche et un stylo pour additionner les prix des différents types de noix et de yamich qu’elle désire acheter. Ensuite, elle demande à Oum Khaled de lui peser de petites quantités de noisettes seulement. Cette modification du mode de consommation chez certains clients montre qu’en dépit des prix dits raisonnables, certaines familles repensent leur budget ramadanesque afin de pouvoir joindre les deux bouts.
Yamich made in Egypt
Non loin d’elle se trouve une herboristerie qui vend également du yamich. « Nous possédons une usine qui fait sécher les raisins et les abricots et nous fabriquons également du qamareddine. Ceci nous permet de réduire le prix du produit. La qualité de notre production nous permet de détrôner d’autres produits semblables connus pour leur haute qualité, comme le qamareddine syrien », souligne Abdallah Achraf, connu sous le nom de Abdallah Zebiba.
Toujours comme chez Oum Khaled, des clients fréquentent cette herboristerie et achètent de petites quantités de yamich ou d’autres types d’épices. Venues des quatre coins d’Egypte, de Siwa, d’Assouan et de la Nouvelle Vallée, les dattes égyptiennes détrônent celles importées. « Pourquoi payer plus cher pour acheter un produit importé alors que son équivalent local est tout aussi bon et moins coûteux ? », dit Am Yéhia, septuagénaire, qui demande à Hassan Samir de lui peser 10 kilos de différents types de dattes après avoir goûté à chaque type.
Tous les vendeurs de dattes et de yamich sont heureux et estiment que les ventes sur le marché sont toujours à leur niveau normal, comme chaque année et ce, malgré l’inflation qui a entraîné une augmentation des prix ailleurs. « Pour nous, ce ne sont pas uniquement les prix raisonnables qui nous poussent à acheter au marché aux dattes », explique Am Magdi Ramadan, qui fait ses courses avant le Ramadan. Pour ce septuagénaire diabétique, la consommation de dattes et de sucreries est une question de vie ou de mort. C’est pourquoi il achète une grande quantité de dattes de différents genres, ainsi que du yamich. « Qui dit que la consommation de noisettes est limitée au mois du Ramadan ? », s’interroge-t-il d’un air narquois. Avant de conclure, avec un grand sourire aux lèvres, que les Egyptiens consomment des noisettes tout au long de l’année comme amuse-gueule, « alors quoi de plus propice que de les acheter à des prix abordables au marché de Rod Al-Farag pour les consommer pendant le Ramadan et au-delà ? ».
(Photo : Magdi Abdel-Sayed)
Liste des prix du yamich au kilo (L.E.) :
Enveloppe de qamareddine : 95
Herbes pour infusion : 160
Noix de coco : 180
Ignames : 540
Noix de pin : 100
Raisins secs : 180
Abricots secs : 420
Figues sèches : 440
Dattes : 60
Tamr hindi : 125
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