C’est au milieu d’un quartier résidentiel de la ville de Mahalla dans le Delta que réside le principal site de travail de la société Al-Nil pour l’égrenage du coton. Le site s’étend sur plusieurs dizaines de milliers de m2. Sur ce vaste terrain autrefois rempli de balles de coton, il y a des bâtiments administratifs, mais aussi des unités d’égrenage qui datent de plusieurs dizaines d’années. Certaines sont là depuis plus d’un siècle, avant que la société ne soit nationalisée pour la première fois sous Nasser. La privatisation de la société en 1997 n’a rien changé à son apparence.
Aujourd’hui, la société doit retourner une fois de plus au giron gouvernemental suite à un verdict de la Haute Cour administrative. Selon le verdict, la privatisation de la société par le gouvernement en 1997 est « nulle » étant donné que « la loi du secteur public n’autorise pas la vente en Bourse des sociétés publiques ». La modification de la charte exécutive de la loi en 2006 autorisant la vente en Bourse des sociétés publiques ne rend pas pour autant cette privatisation légale selon le juge, car la rétroactivité n’est pas reconnue dans la loi. La décision est donc définitive.
La Société nationale de construction, holding public, vient de passer une annonce dans les journaux en vue de recruter un président du conseil d’administration pour la société Al-Nil. Le retour de la société dans le secteur public ne sera pas facile. 4 autres entreprises doivent être renationalisées suite à des verdicts juridiques. La particularité du verdict concernant la société Al-Nil vient du fait qu’elle a été privatisée à travers la Bourse. Il n’y a donc pas de contrat entre le gouvernement et les investisseurs qui devront assumer les conséquences du verdict. Ces derniers ont le droit de recourir à la justice bien que la décision de la cour soit obligatoire vis-à-vis du gouvernement. « Nous allons faire appel et réclamer des compensations équitables », dit Tareq Chawqi, représentant élu des petits actionnaires au sein du conseil d’administration de la société Al-Nil. Il affirme qu’une centaine de procès ont déjà été intentés par les actionnaires alors que d’autres suivront. L’affaire ne semble pas être close.
Ouvriers, investisseurs et gouvernement
La multiplicité des parties concernées ne fait que compliquer l’affaire. Le différend oppose 3 parties principales, à savoir les ouvriers de l’entreprise qui ont intenté un procès après la détérioration de leur statut suite à la privatisation, les actionnaires qui ont acheté les actions en Bourse, et enfin le gouvernement qui peut être poursuivi en justice s’il ne respecte pas la décision de la cour.
Le verdict de la cour a rapproché les actionnaires et les ouvriers dont les intérêts pourtant sont contradictoires. Tous deux en veulent au gouvernement pour des raisons différentes. L’annonce passée dans les journaux pour recruter un nouveau PDG à la société Al-Nil a mis en colère les investisseurs et n’a pas convaincu les ouvriers. Les deux parties jugent la décision illégale. Ils estiment que le président de la société nationale qui a passé l’annonce a peur de subir le même sort que l’ancien premier ministre, Hicham Qandil, qui risque une peine de prison pour ne pas avoir mis en application un verdict stipulant le retour de la société Tanta pour le lin au secteur public. « Ce que Safwan Al-Selmi fait n’est pas légal. La société n’est pas sous son autorité et il n’aurait pas dû passer cette annonce. Il sait bien que les actionnaires ne vont pas l’accepter, il veut juste se protéger », dit Waël Al-Saïd, avocat des ouvriers. Même son de cloche chez Tareq Chawqi. « Le gouvernement n’a que deux choix : ou bien qu'il cherche à obtenir un verdict de la cour pour exproprier les actions, ou bien qu'il propose un prix adéquat pour l’action. Mais recruter un président du conseil d’administration alors qu’il ne détient aucune action, cela est impossible ».
Chute libre
Les ouvriers, pour leur part, disent qu’ils ne veulent pas porter atteinte aux droits des petits actionnaires. Moustapha Homos, membre du syndicat de la société, estime qu’une restructuration de la société peut garantir les droits des ouvriers et des actionnaires. Après la privatisation, les ouvriers ont perdu certains avantages qu’ils avaient dans le secteur public comme la prime annuelle, le bonus et leur part dans les profits. Ils ont alors réclamé le retour de la société au sein du public. Il y avait avant la privatisation 3 000 ouvriers au sein de la société dans différents gouvernorats, il n’en reste que 500, alors que les usines produisant de l’huile de coton, du fourrage et de l’oxygène et il ne reste plus que 4 sites de production contre 9 avant la privatisation. Les ouvriers estiment que les principaux actionnaires qui forment le conseil d’administration ont intentionnellement précipité la société vers la perte, afin de vendre ses terrains dont certains se trouvent sur le Nil (d’où le nom de la société) et valent une fortune. Avec le début des années 2000, la société a élargi son domaine d’activités pour inclure la vente des terrains, le développement immobilier et l’agroalimentaire. Cependant, les pertes de la société ont dépassé les 18 millions de L.E. en 2012/2013.
Tareq Chawqi estime que la mauvaise performance de l’entreprise est le reflet de la détérioration de la culture du coton et de l’industrie du textile. « La superficie des terrains cultivés en coton a diminué à cause des politiques agricoles de l’Etat. Les quantités de coton sur lesquelles la société travaillait ont baissé », dit Chawqi. Selon lui, la société ne travaille qu’à 10 % de sa capacité originale. Et d’ajouter : « Le conseil d’administration aurait dû diversifier les activités de la société pour survivre et surmonter la crise engendrée par les politiques gouvernementales ».
Attaqué par toutes les parties, le gouvernement est dans une mauvaise passe. Ce qui ressort des déclarations des différents responsables est le suivant : « Nous respectons la justice mais nous ne savons pas encore quelle sera la procédure avec la société Al-Nil ». Le Conseil des ministres a dit qu’il transmettrait le verdict à la Cour administrative, afin d’obtenir des éclaircissements sur sa mise en application.
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