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PERSPECTIVES 2023 : Ngozi Okonjo-Iweala : L’Afrique n’est pas impuissante, elle doit investir dans les capacités de production

Mercredi, 21 décembre 2022

Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et ancienne ministre nigériane des Finances, revient sur les perspectives du commerce international en 2023 et les opportunités pour l’Afrique.

Ngozi Okonjo-Iweala

Par Névine Kamel
Rédactrice en chef d’Al-Ahram Hebdo

Al-Ahram Hebdo : Le monde a été frappé en 2022 par des crises multiples : guerre en Ukraine, insécurité alimentaire, inflation, resserrement monétaire et nouveaux variants du Covid. Quel est l’impact de ces crises sur la croissance du commerce mondial ? Et quelles sont les perspectives pour le commerce en 2023 ?

Ngozi Okonjo-Iweala : La situation du commerce international n’est pas très prometteuse, surtout l’année prochaine. Nous prévoyons une baisse de 1 %. Ce n’est pas une baisse significative, mais c’est une projection de la baisse du PIB mondial prévu par la Banque mondiale. Nous avons tellement de crises dans le monde. Nous avons l’inflation, nous avons la pandémie qui continue dans certains endroits comme la Chine, nous avons aussi des problèmes d’approvisionnement alimentaire et énergétique. Donc, les prévisions pour le commerce international en 2023 ne sont pas très prometteuses. Nous espérons sincèrement qu’il y aura des améliorations. Une autre crise que je n’ai pas mentionnée est le changement climatique. Elle affecte de nombreux pays dans le monde. Il y a des inondations au Pakistan. Il y a aussi des tensions qui ont un impact négatif. Nous assistons à un ralentissement de certaines chaînes d’approvisionnement et à des fragmentations. Nous sommes sûrs que ce n’est pas la meilleure façon de faire preuve de résilience.

— La 12e Conférence ministérielle s’est achevée par des résultats positifs. Quelles seront les priorités de la 13e Conférence ministérielle, notamment en ce qui concerne le système de règlement des différends, le dossier agricole et l’accord sur les subventions à la pêche ?

— La 12e Conférence ministérielle de l’OMC a été très positive. Tous les ministres ont convenu que le système de règlement des différends devrait être réformé d’ici 2024. Nous avons donc une date limite, et j’espère que la 13e Conférence ministérielle en 2024 aboutira à un règlement de cette question. Nous devons vraiment le faire. En ce qui concerne le suivi des accords que nous avons conclus, nous n’avons pas réussi à obtenir d’accords dans le domaine de l’agriculture. Cependant, il y a quelque chose de très important, nous nous sommes mis d’accord sur la nécessité de limiter les restrictions à l’exportation des denrées alimentaires et nous avons convenu de ne pas imposer de restrictions aux exportations des fournitures humanitaires. Ceux-ci sont très importants.

Cependant, nous devons bouger en ce qui concerne les principaux accords agricoles. La convention sur les subventions à la pêche était un autre succès. Nous examinons la mise en oeuvre de cette convention et nous devons faire en sorte que les membres ratifient les accords pour qu’ils entrent en vigueur. Vous pouvez en parler dans vos journaux. Demandez à vos pays de ratifier les accords de pêche. Ce serait très utile. Nous entrons également dans une deuxième phase de négociations sur la pêche. Nous espérons commencer au début de l’année prochaine.

— Y a-t-il des pressions qui entravent le travail de l’OMC ?

— Bien sûr, il y a beaucoup de pressions. Chaque jour, nous devons manoeuvrer. Il y a des tensions entre la Chine et les Etats- Unis et entre la Russie et l’Ukraine. Nous essayons de manoeuvrer pour que le travail ne soit pas bloqué et nous continuons à avoir tous ces pays autour de la table. Je suis vraiment heureuse et fière que l’OMC soit la seule organisation multilatérale qui réussit à avoir des accords, y compris des accords juridiquement contraignants comme lors de la 12e Conférence ministérielle. Tout le monde autour de la table a signé. Nous essayons de maintenir cette situation. Le fait qu’on soit de tel continent ou tel pays n’entrave pas le travail. Le travail nécessite une compétence et une connaissance du sujet. Ce sont les compétences politiques et techniques qui comptent et non pas le pays d’où vous venez.

— Qu’en est-il de la production des vaccins anti-Covid-19, tous les pays d’Afrique ont des difficultés à ce niveau ?

— Je reviens tout juste d’une réunion où nous avons parlé de cette question. Tout pays qui veut produire le vaccin doit avoir des législations appropriées. L’Afrique du Sud, par exemple, a modifié ses législations. Donc, n’importe quel pays peut le faire. Maintenant, la question est d’avoir les capacités de production. Les seuls pays qui ont cette capacité sont l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Maroc et la Tunisie. Il n’y a pas beaucoup de pays. Au moment où nous parlons, le Sénégal essaie d’augmenter ses capacités. Le Rwanda prend également des mesures. Le Nigeria essaie aussi de faire la même chose de même que le Ghana. Il y a plusieurs pays africains qui pourront réaliser cet objectif l’année prochaine.

— Les pays riches contrôlent tout, pensez-vous que nous soyons impuissants en Afrique ?

— Je ne suis pas d’accord. Je ne pense pas que nous soyons tout à fait impuissants. Vous voulez des capacités de production, il faut des investissements. Il y a des pays qui ne produisent pas, ils investissent aux Etats-Unis et en Europe. Il y a un homme d’affaires africain de Madagascar qui vient de racheter Thomson Communication qui compte 1 200 employés aux Etats-Unis. Le Nigeria a construit le plus grand satellite au monde et exporte vers différents pays. Nous devons investir davantage en Afrique. Il existe des institutions financières nigérianes qui investissent dans différents pays. Donc, je suis en désaccord avec ceux qui disent que l’Afrique est impuissante. Nous pouvons investir en Afrique et dans les capacités de production.

— Comment la Zlecaf peut-elle faciliter l’intégration africaine ?

— Concernant la Zone de libreéchange continentale africaine, je pense que c’est un développement très important. C’est la plus grande zone de libre-échange de par le nombre de pays. Je pense vraiment qu’elle peut être un bon instrument pour le développement du continent. Si nous pouvons surmonter certains obstacles, nous pourrons vraiment contribuer à la relance de nos économies en commerçant les uns avec les autres. Nous devons ajouter plus de valeur à nos produits. Nous pouvons créer plus d’emplois. Cela nous amènerait à commercer davantage avec le reste du monde. La part du commerce africain est très faible. Nous devons augmenter le volume du commerce interafricain et aussi notre part du commerce international.

— Comment justement la Zlecaf peut-elle faire la différence pour l’Afrique ?

— Je pense que la Zlecaf est très prometteuse. Elle peut faire la différence concernant la participation de l’Afrique au commerce mondial. Tout d’abord, je pense qu’elle permettra d’accroître les échanges entre nous. Nous devons également ajouter de la valeur aux produits que nous commercialisons. A l’heure actuelle, nous vendons des matières premières. Si nous voulons avoir un meilleur commerce, nous devons donner plus de valeur à nos produits. Nous ne pouvons pas tous vendre les mêmes produits. Nous avons des opportunités. Prenons l’exemple des industries pharmaceutiques, nous exportons 95 % de nos produits pharmaceutiques. Ce n’est pas bien. Au sein de la Zone de libre-échange africaine, il existe une opportunité de créer une industrie pharmaceutique et d’y ajouter de la valeur. De même, nous avons un potentiel agricole dans le pays et nous pouvons y ajouter de la valeur. Nous avons du gaz dans de nombreux pays. Cela peut conduire à une meilleure industrie chimique. Au lieu d’exporter le gaz brut, ajoutons de la valeur aux produits et vendons-les plus cher. Si nous pouvons faire cela, nous pourrons vendre plus les uns aux autres et vendre plus à l’extérieur. Cela peut augmenter le volume du commerce africain qui représente aujourd’hui 3 % du commerce mondial. C’est très peu. Nous devons doubler le volume du commerce dans les 10 prochaines années. Pour y parvenir, nous devons ajouter plus de valeur à nos produits.

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