En Inde, comme dans le monde entier, les inégalités gagnent en ampleur.
L’économie mondiale ne va pas bien. L’atmosphère était pesante lors des réunions virtuelles de printemps des institutions financières jumelles, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM), tenues du 18 au 24 avril. A l’arrière-plan se trouve la double crise de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Après un rebond exceptionnel en 2021, les perspectives de la croissance mondiale se sont contractées de 6,1 % en 2021 à 3,6 en 2022, soit 0,8 % et 0,2 % de moins de ce qui était prévu en janvier. « La guerre en Ukraine a déclenché une crise humanitaire coûteuse. Par ailleurs, les dégâts économiques entraînés par le conflit contribueront à un net ralentissement de la croissance mondiale en 2022 et alimenteront l’inflation. Les prix des combustibles et des denrées alimentaires augmentent rapidement. Or, ce sont les couches vulnérables de la population des pays à faible revenu qui souffrent le plus de cette situation », a noté le rapport sur les perspectives économiques publié par le FMI le 19 avril. La courbe est descendante pour les différentes régions, accompagnée d’une hétérogénéité évidente. Les Etats-Unis vont enregistrer une croissance de 2,3 % contre 5,7 % en 2021, alors que la zone euro enregistra 2,8 % en 2022. Les économies des pays développés feront 3,3 % et le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (région MENA) réaliseront 5 % en 2022 contre 5,8 % en 2021.
Ces estimations seront probablement revues à la baisse au moment des prochaines révisions de juillet, ainsi que des projections de 2023, analyse Hussein Soliman, macro-analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Les chercheurs du FMI travaillent sur ces prévisions depuis octobre 2021 et la guerre en Ukraine a eu lieu fin février 2022, ce qui veut dire que les impacts n’avaient pas été pris en considération dans leur totalité. La preuve en est que les prévisions de 2023 ont été revues davantage à la baisse », poursuit l’expert. Dans ce contexte tendu, Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, a tiré la sonnette d’alarme : « Nous sommes devant un sérieux revers sur la voie du rétablissement global. La guerre en Ukraine a déstabilisé des millions de vies et un nombre d’aspects de l’économie mondiale ».
L’hétérogénéité de la croissance mondiale dévoile l’aspect complexe de la double crise que vit l’économie mondiale et qui approfondit davantage les inégalités. Celle-ci a été bien explicitée par Mahmoud Mohieddine, directeur exécutif du FMI et membre de son conseil d’administration représentant l’Egypte et les Etats arabes, dans une intervention à la chaîne Al-Arabiya. « Au cours des deux dernières décennies, il existait un rapprochement entre les différentes régions du monde au niveau de la croissance et des revenus per capita. Mais la pandémie a introduit des changements étonnants et structurels. Pour la première fois, nous sommes devant deux fossés. L’un à l’intérieur des pays qui souffriront de différences énormes dans les revenus per capita et un autre fossé s’opérera au niveau des pays dont la croissance sera très inégale », a-t-il analysé. Une situation qui s’est envenimée avec la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’énergie et des produits de nécessité.
Soliman a expliqué que ces deux fossés s’aggravent simultanément. A l’intérieur des pays, il y a des secteurs qui connaissent un boom (secteurs médicaux et automobiles) alors que d’autres stagnent au niveau de leurs revenus. « Les revenus des chefs d’entreprise de ces mêmes secteurs se multiplient alors que la main-d’oeuvre connaît des conditions précaires. Au niveau des pays, les gagnants étaient les pays exportateurs de pétrole. L’Arabie saoudite a réalisé une croissance de 7,6 % et les Emirats arabes unis de 4,2 % », explique-t-il.
David Malpass, président de la BM, n’a pas caché ses craintes à cet égard et a déclaré que nous sommes devant un nombre de crises enchevêtrées. Le bilan s’alourdit : « Aujourd’hui, dans la région du MENA, un individu sur 5 vit dans des régions affectées par les conflits. La guerre en Ukraine a déplacé 10 millions d’individus en plus alors qu’ils étaient 30 millions en 2020. Les plus vulnérables souffrent des conséquences de la précarité des conditions médicales à laquelle se sont ajoutés les impacts économiques du confinement et de la guerre. Des millions de personnes ont perdu leurs vies et un nombre d’autres souffrent ».
Le spectre de la stagflation
Dans ce contexte de disparités et d’inégalité, et de hausse des prix de l’énergie et des produits de base, le terme stagflation est revenu comme un leitmotiv tout au long des réunions virtuelles. La stagflation est une condition économique au cours de laquelle les taux d’inflation sont très élevés, accompagnée d’un ralentissement des taux de croissance et de la hausse du chômage. « La guerre a entraîné des hausses de cours des produits de base et la généralisation des pressions à la hausse sur les prix : d’après les prévisions, l’inflation qui en résulte devrait atteindre 5,7 % dans les pays avancés et 8,7 % dans les pays émergents et les pays en développement, soit 1,8 % et 2,8 % de plus, respectivement, que ce qu’envisageaient les prévisions du mois de janvier dernier », a écrit le rapport du FMI. « Jamais ce grand nombre de pays n’ont expérimenté cette sévère récession d’un seul coup ; souffrant de perte de capital, d’emplois, de vies et des moyens de subsistance. 1 % de hausse dans les prix de la nourriture entraîne potentiellement 10 millions d’individus dans l’extrême pauvreté », a ajouté Malpass.
« Le monde est au stade de la stagflation. Le problème est que pour y remédier, la plupart des politiques préfèrent choisir celles contrant l’inflation. Ce qui aura un impact sur la main-d’oeuvre, l’emploi et la productivité ; ainsi que sur les niveaux de vie », récapitule Soliman. Mohamed Shadi, macro-économiste au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques, explique que pour faire face à cette situation, les Banques Centrales et les ministères des Finances utilisent des outils non conventionnels de politique monétaire, comme l’encouragement à l’épargne, à l’instar du certificat d’épargne de 18 % d’intérêt émis par les banques publiques égyptiennes au lendemain de la dépréciation.
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