Al-Ahram Hebdo : La création des fonds souverains est une tendance mondiale depuis des années. Ces fonds contribuent à hauteur de 10 % au PIB mondial et la valeur de leurs actifs est estimée à 8,5 trillions de dollars. Quels sont les types de fonds souverains et qu’est-ce qui caractérise le Fonds souverain d’Egypte ?
Ayman Soliman : Il existe dans le monde trois types de fonds souverains. Le premier se trouve dans les pays dont les revenus dépendent essentiellement du pétrole, tels le Koweït et l’Arabie saoudite. Ces pays n’ont pas de grandes populations et leurs économies dépendent d’un seul produit qui est l’or noir. Dans ces pays, le fonds est un outil pour renforcer l’économie. Les pays européens producteurs de pétrole ont créé ces fonds pour avoir une rentabilité et maintenir la rigueur de l’économie.
Le deuxième type de fonds est celui que l’on trouve dans les pays dont l’économie est basée sur un seul secteur comme le gaz, le nucléaire ou le tourisme. C’est le cas des pays de l’ex-Union soviétique. Dans ces pays, l’objectif n’est pas la rentabilité, mais la diversification des ressources.
L’Egypte a eu recours au troisième type de fonds souverains qui est différent des deux précédents, et dont l’objectif fondamental est d’être un catalyseur de l’investissement. L’Egypte possède une économie diversifiée et à forte croissance. Notre doctrine économique est basée sur l’investissement, soutenu par le secteur privé et les Investissements Etrangers Directs (IED). Notre objectif est de découvrir de nouvelles opportunités d’investissement dans une variété de secteurs toujours inexploités. Ainsi, toute opportunité pouvant donner lieu à un investissement durable devient prioritaire.
Le fonds détient quatre sous-fonds qui représentent les secteurs du tourisme et des antiquités, de l’investissement immobilier, des soins de santé et des produits pharmaceutiques, des infrastructures et utilités, ainsi que des services financiers et de la technologie financière. Récemment, d’autres secteurs ont été créés, tels l’éducation, l’agroalimentaire et la technologie agricole.
— La valeur des actifs des fonds souverains change en cas de crise financière ou économique, comment les gérer en temps de crise ?
— Il s’agit de saisir au vol les opportunités, même en temps de crise. Je vous donne l’exemple du Covid-19 qui a partout dans le monde provoqué des crises. En Egypte, nous avons, au contraire, misé sur les opportunités. Avec le passage au virtuel dans le monde et la crise du tourisme, l’industrie du « Call Center » a prospéré d’autant que nous avons en Egypte les compétences nécessaires, tels la maîtrise des langues et le potentiel technique. Nous avons alors créé une valeur ajoutée considérable à travers l’externalisation des services (Business Process Outsourcing). Il s’agit d’accomplir une partie des fonctions d’une entreprise à travers le Call Center. Au lieu de transformer les immeubles en hôtels ou en sièges administratifs, ils sont devenus des hubs logistiques et des entrepôts au service du commerce électronique qui a gagné en ampleur. Si nous avons cette souplesse dans notre manière de voir les opportunités, nous aurons la possibilité de répondre aux besoins d’une économie grandissante.
— Vous avez affiché clairement votre engagement à contribuer à une économie verte. Quelles sont vos réalisations à ce niveau ?
— Nous avons l’intention de placer l’Egypte sur la carte de l’économie verte. Nous avons investi dans les énergies renouvelables comme l’énergie éolienne et solaire. Notre objectif est d’avoir un produit exportable. Nous devons naviguer de concert avec un monde qui a énormément changé durant les 10 ans qui ont séparé la COP16 de la COP26. Et la COP27, qui se tiendra à Charm Al- Cheikh en novembre prochain, sera l’occasion d’un essor considérable pour l’Egypte. Au cours de cette conférence, nous mettrons sur la table des produits et des projets verts et non pas des idées. Nous proposerons des solutions pour convertir l’énergie solaire, éolienne et hydrologique en hydrogène vert et en ammoniaque vert, ce qui signifie zéro émission de CO2. Nous misons également sur la transition au biocarburant. Dans ce même contexte, le secteur des transports maritimes a décidé de faire du Canal de Suez un corridor vert, sachant que les transports maritimes représentent 30 % des émissions de CO2, ce qui veut dire que les navires qui traversent le canal fonctionneront au carburant vert. Le Canal de Suez représente 18 % du volume du commerce mondial, et le fait de le transformer en corridor vert est une contribution énorme aux efforts de préservation de la planète.
— Quelles sont les entreprises qui seront soumises aux IPO prochainement ?
— Nous avons une liste d’entreprises publiques prêtes à être soumises aux IPO. Notre rôle est d’identifier les entreprises qui détiennent le potentiel nécessaire pour être introduites en Bourse. Le processus de restructuration peut durer d’un an à un an et demi. Mais la décision finale n’est pas la nôtre. Il existe trois critères pour l’introduction en Bourse : l’entreprise doit être prête et restructurée, l’attractivité du secteur et l’appétit des investisseurs.
— Et qu’est-il de la compagnie Wataniya Petroleum ?
— La compagnie Wataniya pour le pétrole fait l’objet d’une restructuration, qui est sur le point d’être finalisée, afin qu’elle soit prête à l’introduction en Bourse. Wataniya était destinée à un investisseur stratégique. Mais, lorsque nous avons donné la priorité à l’introduction en Bourse et avons vu qu’il y a des investisseurs intéressés, le processus est devenu plus compliqué, raison pour laquelle la préparation de l’entreprise a pris plus de temps. L’accord de Wataniya n’a pas été suspendu, il a été réajusté dans un objectif meilleur et il sera finalisé fin 2022.
— La compagnie émiratie Abu- Dhabi National Oil Company (ADNOC), qui s’intéresse à Wataniya Petroleum, sera-t-elle le principal investisseur après la restructuration ?
— Il est encore tôt pour le dire, c’est une décision qui revient au gouvernement.
— Parlez-nous des partenariats dans le domaine de l’éducation …
— Il y a des opportunités énormes dans le secteur de l’éducation qui est encore sous-exploité. L’offre y est inférieure à la demande. Le marché a beaucoup d’appétit, et il est en croissance. Nous avons conclu deux partenariats réussis. Le premier, l’année dernière avec Global Education Management Systems Egypt (GEMS Egypt). Ce dernier, lancé en 2018 en vertu d’un partenariat avec le Fonds d’éducation d’EFG Hermes, est l’un des plus grands opérateurs en matière de gestion des écoles privées au monde. GEMS Egypt et le Fonds souverain d’Egypte ont signé un mémorandum d’entente pour gérer deux écoles à l’ouest du Caire. Le second partenariat a été conclu avec Cairo for Investment and Real Estate Development (CIRA), qui est le plus grand fournisseur de services éducatifs de qualité à des prix abordables en Egypte. Deux écoles seront inaugurées dans le village cosmique avec un investissement de 350 millions de L.E.
Ce partenariat avec des investisseurs reconnus du secteur privé apporte une valeur ajoutée, stimule la croissance et tire partie des synergies existantes. Il offre un enseignement conforme aux standards mondiaux à des prix accessibles à la classe moyenne. L’immeuble du ministère de l’Intérieur au centre-ville sera légué au campus d’une université française qui sera bientôt opérationnelle.
— Quelle est votre stratégie pour la localisation de l’industrie ?
— Nous avons mis en place une stratégie pour la localisation de l’industrie des véhicules électriques. Une usine verra le jour à l’est de Port-Saïd et elle commencera la production à la mi- 2022. Un autre projet se rapporte à l’électrification des transports publics et leur conversion au gaz ou à l’électricité. Nous avons l’opportunité de devenir un hub industriel vert.
— Quels sont vos axes de travail dans le secteur de la santé ?
— La stratégie du fonds dans le secteur santé repose sur trois niveaux : l’industrie pharmaceutique, l’infrastructure des hôpitaux et la technologie médicale. Tout ceci de concert avec le système global d’assurance-santé. L’avantage est que nous avons un bon budget et nous avons trouvé des partenaires. Le marché égyptien est sousdesservi en matière de soins et il y a une concentration dans le Grand- Caire.
Il faut comprendre que le cycle de l’investissement est long. Il faut convaincre les preneurs de décision de la nécessité d’ouvrir tel ou tel secteur aux investisseurs. Ensuite, il faut s’adresser aux investisseurs pour les informer des chances que peut offrir l’Egypte. On conclut des partenariats là où les investisseurs peuvent stimuler le marché. Le cycle de l’investissement médical a une durée de 10 ans, et tous les investisseurs n’ont pas ce souffle. Cependant, on reçoit des offres de la part de grands investisseurs dans ce secteur, ce qui est indicateur que le marché est en bonne santé.
— Les actifs des ministères seront-ils légués au fonds après le transfert à la Nouvelle Capitale administrative ?
— Nous serons probablement associés à la gestion de ces actifs. Nous avons choisi certains actifs qui nous ont été transférés, tels le Complexe administratif de Tahrir, le bâtiment du Parti national démocrate et les terrains du ministère de l’Intérieur, parce qu’on savait ce qu’on allait en faire. Nous ferons de même avec les prochains actifs.
— Comment évaluez-vous le rythme de travail du fonds ?
— Le fonds a fait des acquis qu’aucun autre fonds d’investissement n’a pu faire. Le soutien du leadership politique nous permet de tenir nos promesses aux investisseurs. Sans exception, toutes les transactions effectuées par le fonds sont sans précédent. Nous parlons à la fois le langage du gouvernement et des investisseurs. Le rythme de travail est serré, mais le nombre de transactions conclues au cours des deux dernières années est supérieur à la moyenne .
Lien court: