Huit ans après la création de l’Organisme de lutte contre le monopole, le premier ministre, Hazem Al-Beblawi, a décidé que cet organisme ne soit plus rattaché au ministère du Commerce et de l’Industrie. « L’intervention du gouvernement dans notre travail a souvent abouti à la suspension des procès contre les entreprises suspectées d’actes de monopole », se plaint Mona Al-Garf, présidente de l’organisme. Cette étape, aussi importante qu’elle soit, n’est pourtant pas suffisante, comme l’indique Mona Yassine, la précédente présidente de l’organisme. Pour elle, la loi souffre toujours « de failles qui entravent la protection de la concurrence. D’abord, le conseil d’administration de l’Organisme comprend de nombreux hommes d’affaires et des représentants du gouvernement qui interviennent systématiquement dans la prise des décisions ».
Sous son mandat, se souvient-elle, l’Organisme avait découvert un cas de monopole dans le domaine du cinéma. Il l’a transmis au ministère et, 5 jours plus tard, une déclaration a été faite à la presse conformément à la loi. « Les accusés ont fait intervenir de hauts responsables et j’ai dû quitter ma place, alors qu’il me restait encore 3 ans de mandat », déplore-t-elle, en expliquant que ce n’était pas la première fois que ce genre de problème se produisait. Plusieurs dossiers ont été suspendus de la même manière, comme celui des produits laitiers, dans lequel étaient impliqués des hommes d’affaires entretenant de bonnes relations avec le gouvernement, notamment l’ex-ministre du Commerce et de l’Industrie, Hatem Saleh.
Des plaintes enterrées
L’Egypte n’a jamais réussi à appliquer la loi relative à la protection de la concurrence et à la lutte contre le monopole, créée pour l’intérêt du consommateur et des petites et moyennes entreprises. Depuis la création de l’organisme anti-monopole, 9 contraventions seulement ont été recensées, pour 100 plaintes déposées. « Les carences de la loi sont la raison principale de cet échec, analyse Ahmad Ghoneim, professeur d’économie à l’Université du Caire. Les articles de la loi sont inefficaces, voire entravent la lutte contre le monopole ». 2 articles de la loi anti-monopole sont particulièrement pointés du doigt. L’article 22, qui porte sur les amendes imposées aux entreprises reconnues coupables de monopole, prévoit un plafond de 300 millions de L.E., qui serait trop bas, donc insuffisamment dissuasif. Pire, l’article 26 de la loi ordonne au plaignant de payer la moitié de cette amende, sous-entendant que la plainte pour monopole peut être motivée par la volonté de nuire à des concurrents ...
Après la révolution de 2011, un projet de loi a été présenté par le Parti islamiste Liberté et justice, en avril 2012, mais l’Assemblée du peuple a été dissoute deux jours avant son approbation. En tout état de cause, il ne renfermait que quelques modifications non substantielles. « Les deux articles 22 et 26 avaient été modifiés, précise Ahmad Ghoneim, mais les députés n’ont pas été bien loin. Il s’agissait surtout de calmer la colère contre les deux articles les plus polémiques, dont le maintien avait été imposé par l’ancien parlementaire et homme d’affaires Ahmad Ezz ». Ce dernier, qui contrôlait à l’époque près de 60 % du marché du fer, avait réussi à obtenir le renoncement à l’amendement de ces deux articles, après une longue dispute avec l’ancien ministre du Commerce et de l’Industrie, Rachid Mohamad Rachid, en 2008.
Nouvelles amendes dissuasives
C’est pour mettre fin à cette situation insatisfaisante que l’Organisme a décidé d’élaborer un nouveau projet de loi de lutte contre le monopole, indique l’un de ses responsables qui a requis l’anonymat. Le document sera présenté au gouvernement transitoire au cours des 2 prochaines semaines au maximum. Selon cette source, « il s’agit d’une loi anti-monopole qui devrait être correcte cette fois-ci. Le gouvernement estime qu’il est important de créer un climat favorable aux investisseurs et respecter la concurrence. Il a décidé de ne pas attendre l’élection du Parlement ». Le nouveau projet de loi modifie les deux articles 22 et 26. Il annule le plafond des amendes imposées aux contrevenants et les remplace par un pourcentage sur le profit, qui devrait être davantage dissuasif. En outre, l’auteur d’une plainte contre des pratiques monopolistiques ne pourra plus être accusé de complot contre l’entreprise incriminée.
Le nouveau projet comporte également des clauses concernant la réduction des membres du conseil d’administration de l’Organisme et la surveillance des opérations de fusion. « Nous proposons de donner à l’Organisme le droit d’approuver les fusions et les acquisitions », détaille Mona Al-Garf. Et d’ajouter : « La grande majorité des pays qui possèdent une loi efficace, comme les pays européens, la Turquie ou l’Inde, contrôlent les acquisitions. Il faut éviter la constitution de monopoles dès le début ». Selon elle, les acquisitions de grandes entités donnent inévitablement naissance à des monopoles .
Les plus importants cas de monopole
Le cas des produits laitiers, résolu en 2013, fait encore preuve de corruption.
L’Organisme anti-monopole a examiné, depuis sa création, quelque 100 cas de pratiques monopolistiques. 9 cas seulement ont été reconnus coupables de monopole. L’Organisme a publié les noms des personnes impliquées sans préciser, ni les noms des entreprises, ni les montants des amendes. Voici les principaux secteurs concernés :
— Le ciment en 2009. Après 2 ans de recherches, 10 entreprises ont été reconnues coupables de monopole et condamnées à une amende de 300 millions de L.E.
— Le cinéma en 2010. Deux entreprises ont été reconnues coupables de pratiques monopolistiques, mais elles n’ont jamais été sanctionnées. Des responsables haut placés sont intervenus pour suspendre les sanctions. Le président de l’Organisme anti-monopole a été licencié pour avoir accusé de monopole les deux entreprises.
— Les produits laitiers en 2010. 3 entreprises sont reconnues coupables de pratiques monopolistiques. Mais grâce à l’intervention de Hatem Saleh, ancien ministre du Commerce et de l’Industrie, lui-même accusé, l’affaire traîne en longueur et les 3 entreprises ne paient finalement qu’une modeste amende de 200 millions de L.E. en 2013 .
Histoire d’une loi
En 2005, l’Egypte a été le 113e pays au monde à adopter une loi pour protéger la concurrence et lutter contre les pratiques monopolistiques. Le passage, en 1990, à l’économie du marché a montré que l’économie égyptienne avait besoin d’un cadre juridique et institutionnel qui définit le monopole et qui permet de gérer les conflits se rapportant à cette pratique. Mais les milieux économiques ont dû attendre 15 ans (2005) pour voir émerger une loi et une organisation qui défit ce phénomène, très lié au népotisme et qui gâche le mécanisme des marchés.
Une longue période qui ne s’explique que par les pressions exercées par les lobbies des hommes d’affaires. Avec l’avènement du gouvernement Nazif fin 2004, un compromis a été trouvé. Il s’agit de créer un mécanisme faible et de le réformer graduellement. Ce n’est qu’après 2011 que les réformes ont commencé, mais toujours à tâtons .
Lien court: