Al-Ahram Hebdo : Quels sont les aspects du nouveau programme de réforme appliqué par le Soudan ? Comment avez-vous bénéficié de l’expertise égyptienne à ce niveau ?
Al-Hady Mohamed Ibrahim : L’Egypte a appliqué avec succès son programme de réforme économique qui représente un modèle à suivre. Le peuple égyptien a positivement accepté les réformes, notamment la libéralisation des taux de change et l’élimination du marché noir des devises, ce qui fait que les sommes transférées par les expatriés égyptiens ne peuvent plus passer hors des canaux officiels comme c’était le cas auparavant. Le Soudan suit les pas de l’Egypte. Il a pris la décision de libéraliser les taux de change. D’autres réformes ont été introduites pour remédier aux déséquilibres structurels comme le déficit budgétaire, celui de la balance commerciale et la hausse de l’inflation. Le gouvernement s’est fixé pour objectif d’améliorer les indices macroéconomiques et les résultats sont satisfaisants. Le déficit a commencé à reculer, les exportations ont connu une progression, l’inflation a été maîtrisée, alors que les investissements étrangers directs ont augmenté. Le Soudan a également franchi des pas sérieux vers l’annulation de sa dette accumulée qui pèse lourdement sur l’économie. Nous avons également commencé à lever les subventions sur certains produits et à unifier les taux de change.
— Les relations entre l’Egypte et le Soudan se sont fortifiées récemment. L’Egypte soutient le Soudan dans différents domaines. Comment ce soutien se manifeste-t-il ?
— Le Soudan bénéficie d’un soutien inconditionnel de la part de l’Egypte. Ce soutien se manifeste essentiellement dans les efforts du Caire pour réintégrer le Soudan à la communauté internationale afin qu’il bénéficie des différentes opportunités de financement. Le Soudan a bénéficié d’expertises égyptiennes sur les déséquilibres structurels accumulés depuis plus de 30 ans. Les efforts de l’Egypte se sont également concrétisés lors de la Conférence de Paris à travers le fort discours prononcé par le président Abdel-Fattah Al-Sissi. Ce discours a fait que le Soudan a pu obtenir les privilèges offerts par l’initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Celle-ci consiste à alléger la dette des pays ayant le plus souffert des séquelles économiques du coronavirus. Le Caire apporte un soutien à d’autres niveaux, comme l’approvisionnement en électricité. Il y a aussi la question du barrage de la Renaissance où les deux pays partagent les mêmes positions en ce qui a trait au partage des ressources hydriques.
— Il y avait un accord avec l’Egypte pour cultiver 1,5 million de feddans de terrains (ndlr : 1 feddan=4 200 m2). Où en est ce projet ?
— Le Soudan a besoin d’explorer de nouvelles opportunités d’investissement pour relancer la croissance et réaliser le développement durable. Le développement humain est l’un des piliers de notre stratégie. En outre, le Soudan a un environnement géographique riche qui est sous-exploité jusqu’à présent. Il relie 4 Etats (le Tchad, la Centrafrique, le Soudan du Sud et l’Ethiopie). Il s’agit de territoires fermés qui n’ont aucun accès sur la mer. Ainsi, le Soudan devient la seule liaison entre ces pays et le monde extérieur. L’agriculture peut devenir la locomotive de la croissance, car le Soudan possède de vastes terrains. Dans ce domaine, 3 projets ont été proposés en coopération avec l’Egypte. Le premier est un projet stratégique qui peut régler les problèmes des deux pays relatifs à la fourniture du blé. Le projet sera établi sur une superficie de 5,1 millions de feddans au nord-est du Soudan. Il aura une capacité de production de 17 millions de tonnes de blé par an et celle-ci pourra atteindre à moyen terme 30 millions de tonnes. L’Egypte a en effet besoin de 18 millions de tonnes d’autant plus qu’elle importe 15 millions. Ce projet réduira l’importation et comblera la lacune actuelle. Il sera établi sous le signe du partenariat entre les secteurs privés égyptien et soudanais.
Le deuxième projet agricole est celui du sud du Nil Blanc. Il s’étendra sur une superficie de 1,5 million de feddans. Les deux pays ont des projets communs à l’ouest du Darfour, dans des régions encore vierges, sur une superficie de 400 000 feddans. Il existe d’autres régions éligibles, mais étant éloignées du Nil, elles requièrent plus d’efforts comme le projet d’Al-Gazira.
— Quels sont les projets conjoints avec l’Egypte dans le domaine des pipelines ?
— Il existe un nombre de projets que le Soudan peut établir conjointement avec l’Egypte. Effectivement, au cours de ma récente visite en Egypte, j’ai rencontré un certain nombre d’hommes d’affaires avec lesquels nous avons discuté des perspectives d’investissement au Soudan et nous leur avons proposé 110 projets dans 6 secteurs-clés qui sont les chemins de fer, l’aviation, l’agriculture et la richesse animale, la transformation numérique, l’énergie et la métallurgie. Nous voulons aussi une expansion dans les projets d’énergie solaire parallèlement aux projets agricoles.
— Qu’en est-il des problèmes chroniques dont souffre le Soudan dans le domaine de l’électricité ?
— L’Egypte a réussi à développer ses infrastructures électriques ces dernières années. Le pays a pu remédier à la pénurie d’électricité. Le Soudan voudrait tirer profit de l’expérience égyptienne dans ce domaine, d’autant plus que le pays souffre d’une pénurie d’énergie électrique au niveau de l’économie et des ménages.
D’autre part, l’Egypte a fortifié les projets de liaison électrique avec le Soudan dont la capacité est passée de 70 à 300 mégawatts. L’objectif à présent est d’atteindre 1 000 mégawatts. Pour y parvenir, nous avons besoin de distributeurs et d’appareils à haute tension, et cela prendra quelque temps. Nous avons l’intention de combler le déficit électrique. Le Soudan ne dispose actuellement que de 700 mégawatts et a besoin de 3 200 mégawatts d’électricité pour remplir ses engagements.
— Quel est le volume des échanges commerciaux entre l’Egypte et le Soudan et comment les accroître ?
— Les chiffres officiels ne reflètent pas le volume des échanges commerciaux entre les deux pays, car il y a beaucoup de contrebande. Il est possible de mettre en vigueur un certain nombre d’accords pour booster les échanges commerciaux entre les deux pays et accroître leur volume.
— Le Soudan souffre de la faiblesse des infrastructures nécessaires à l’investissement, comment est-il possible de régler ce problème ?
— Le Soudan souffre d’une faiblesse des infrastructures nécessaires au commerce et à l’investissement, et le pays n’a pas injecté d’investissements réels pour développer cette infrastructure. L’état des routes est lamentable à cause de la corruption et celles-ci ne peuvent pas assumer des charges supplémentaires. Nous allons prochainement développer la route reliant l’Egypte au Soudan pour qu’elle puisse accueillir les poids lourds. Au niveau des autres infrastructures, nous faisons tout pour attirer les investissements et les capitaux.
— Le ministère de l’Investissement a été nouvellement créé, quel est votre plan pour améliorer le climat des affaires et attirer les investissements ?
— Le gouvernement a changé la loi de l’investissement. Nous avons introduit des réformes réelles attractives pour les investisseurs et nous offrons de nombreux privilèges. Nous considérons le secteur privé, surtout les Petites et Moyennes Entreprises (PME), comme la locomotive de la croissance. Les pays qui ont réalisé des progrès mettent sur un pied d’égalité l’investisseur local et international en ce qui a trait aux privilèges et aux exonérations fiscales. Au Soudan, nous offrons trois ans d’exonération fiscale. D’autres exonérations seront calculées sur les entrants de production et les équipements nécessaires aux projets. Le Soudan prépare un plan complémentaire pour attirer les investissements. Une carte de l’investissement est en voie d’élaboration ainsi qu’un guide pour les investisseurs. Les obstacles hérités depuis de nombreuses années seront éliminés.
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