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En Arabie saoudite, les derniers jours du kafil

Salma Hussein, Dimanche, 22 novembre 2020

L’Arabie saoudite multiplie les démarches pour améliorer les conditions de travail des étrangers. Elle se dirige désormais vers l’abolition du système du kafil, le garant, qui gère les relations entre les employeurs et leurs travailleurs étrangers. Une tendance notée dans plusieurs pays du Golfe, à vitesses différentes.

En Arabie saoudite, les derniers jours du kafil

Khaled mohamad, 30 ans, est un comptable égyptien dans une banque saoudienne depuis trois ans. Il est optimiste depuis la nouvelle réforme du système de kafala, annoncée par le Royaume, il y a deux semaines, et qui entrera en vigueur le 14 mars prochain. L’initiative de « l’amélioration de la relation contractuelle » offre pour la première fois aux étrangers un contrat de travail remplaçant le système de kafala, qui domine le marché de travail saoudien depuis 72 ans. Le nouveau contrat proposé permet, pour la première fois, aux expatriés travaillant en Arabie saoudite, de changer leur travail et leur donne le droit de voyager hors du pays et retourner sans la permission de leur kafil (garant). Ainsi, un système de notification électronique remplacera l’approbation mandataire du garant, soit pour changer de travail ou pour terminer le contrat de travail et pour la rentrée finale du travailleur à son pays. « Je pourrai désormais visiter ma famille en Egypte sans attendre la permission du kafil », se félicite Khaled. Tout comme lui, un cinquième de la population saoudienne, soit plus de 10 millions de travailleurs étrangers vivant en Arabie saoudite, sera touché par ces mesures qui rendent le système de la kafala moins rigide. Une initiative qui vise à améliorer l’environnement du travail et attirer la main-d’oeuvre étrangère la plus qualifiée. Elle vient achever les efforts précédemment faits dans ce domaine, explique le ministère saoudien de la Main-d’oeuvre. L’agence de presse saoudienne énumère ces efforts, dont le programme de protection des salaires dans le secteur privé et le programme de certification électronique des contrats de travail ainsi que le programme « weddi » (amicalement) pour le règlement des litiges et le lancement du système des comités d’ouvriers élus. En effet, l’Arabie saoudite, présidente actuelle du G20, multiplie ses efforts pour améliorer les conditions de travail des étrangers et remédier aux failles existantes.

« C’est un pas important vers l’assertion des critères du travail décent pour tous les travailleurs au Royaume (...), notamment les travailleurs domestiques », salue Ruba Jaradat, directrice régionale des pays arabes au sein de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

L’effet Covid-19

Depuis quelques années, les cours du pétrole sont en baisse, une baisse due au ralentissement de l’économie mondiale. La pandémie a versé de l’huile sur le feu. Les rémittences des travailleurs étrangers en Arabie saoudite reflètent la détresse économique de l’Arabie saoudite. Celles-ci ont baissé de 20 % lors des 4 dernières années, et vont sans doute baisser davantage en raison de l’effet Covid, comme le note le quotidien saoudien Okaz. Et les étrangers ont été les plus touchés par l’effet du coronavirus. En effet, il est prévu que le nombre de travailleurs étrangers ayant quitté le Royaume d’ici à la fin 2020 atteigne 1,2 million, d’après une étude de la banque d’investissement Jadwa. La réforme du système du kafil peut être lue dans ce contexte vu que l’Arabie a perdu une main-d’oeuvre qualifiée ces derniers mois.

Comme beaucoup d’autres pays, les travailleurs ont été appelés à travailler à domicile, certaines entreprises ont dû couper les salaires de leurs employés, voire en licencier. Alors que le gouvernement a porté le fardeau des salaires des citoyens à travers le Fonds Sanad, pour encourager les entreprises à ne pas les licencier, les migrants ont enduré le coup sans support, notamment la main-d’oeuvre peu qualifiée. L’OIT note que la crise du Covid-19 a pesé sur les employés et les ouvriers au Royaume, surtout les travailleurs domestiques et ceux dans le secteur du bâtiment.

Khaled a attrapé le Covid-19 en mai dernier. « Contrairement à plusieurs de mes compatriotes, la banque a payé mon salaire entier, tout le long de la période où j’étais absent », se rappelle-t-il. Il se considère par ailleurs chanceux que son salaire soit resté inchangé, malgré la crise. « Beaucoup de mes amis qui travaillent dans d’autres entreprises ont vu leurs salaires couper à moitié en raison de la crise », a-t-il ajouté. Pour Ruba Jaradat, la crise du Covid-19 a affecté les employés au Royaume comme dans les autres pays. Pour elle, le ministère saoudien des Ressources humaines et du Développement social a fourni des efforts considérables pendant cette année difficile pour améliorer la situation du travail, y compris pour les travailleurs migrants.

Pour sa part, Hamdi Emam, président de la section des entreprises de recrutement à la Chambre du commerce du Caire, salue également la décision d’annulation du système de la kafala et note que les expatriés égyptiens en profiteront. « L’Arabie saoudite a rouvert ses portes aux employés égyptiens après un longue pause depuis février dernier, due au Covid-19 », explique-t-il dans un entretien au quotidien Al-Youm Al-Sabie. Il s’attend à ce que quelque 200 000 Egyptiens se rendent en Arabie d’ici à la fin de l’année pour y travailler, dont des ouvriers, des comptables et des ingénieurs. Et d’ajouter: « Les portes étaient exceptionnellement ouvertes aux médecins et aux infirmiers car le marché saoudien en avait besoin pour contrer la pandémie ». En gros, près de 55 000 Egyptiens partent chaque mois pour les pays du Golfe, où l’Arabie saoudite s’accapare la part du lion, toujours selon Emam.

Malgré de multiples efforts pour abolir le système de kafil, celui-ci a réussi à perdurer, malgré les injustices qui lui sont attribuées (voir encadré). Jusque-là, pour permettre à un migrant de venir travailler en Arabie saoudite, un kafil doit l’inviter en lui accordant un visa libre, une étape qui génère des profits énormes à ce garant. En attendant que le kafil trouve au migrant un travail, il prend un montant mensuel de 300 rials (75 dollars par mois). Une fois recruté, le kafil prend une somme de 2 000 rials (500 dollars) pour la signature du premier contrat. La somme est doublée s’il veut changer de travail. Ce kafil, individuel, est plutôt spécialisé à importer la main-d’oeuvre peu qualifiée et les travailleurs domestiques. Il existe d’autres genres de kafils, pour les professionnels. Le kafil de Khaled, par exemple, est une agence de recrutement, qui prend une partie de son salaire chaque mois qui, peut aller jusqu’au quart du salaire, pour en revanche lui renouveler sa résidence annuellement et émettre l’autorisation de sortir et retourner au pays, ou lui accorder la permission pour que sa famille lui rende visite.

La question est donc comment pallier tous ces intérêts à l’amélioration des conditions du travail pour des millions de travailleurs ? L’OIT espère que les récentes démarches aideront à surmonter les défis.

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