L’Egypte étant un importateur net de pétrole, la baisse des prix internationaux pourrait avoir des effets positifs sur l’économie locale, surtout sur le budget étatique. Cependant, dans le contexte global de ralentissement économique et de propagation du Covid-19, ces effets ne seront pas linéaires, vu la baisse prévue des revenus du Canal de Suez et la baisse possible des prix du gaz naturel, que l’Egypte exporte.
Lundi 9 mars, les prix du pétrole ont connu leur plus forte chute depuis la guerre du Golfe en 1991, perdant environ 25 % de leur valeur en un seul jour sur fond de guerre des prix entre l’Arabie saoudite et la Russie, deux des plus grands producteurs mondiaux de pétrole. Suite à une réunion de l’Organisation des Pays Exportateurs du Pétrole (OPEP), l’Arabie saoudite a décidé d’augmenter la production de l’or noir, après que la Russie, non membre du cartel, a refusé de signer pour une réduction de sa production. Et ce, à un moment où le marché pétrolier est déjà surchargé, étant donné la baisse de la demande internationale qui accompagne la pandémie du coronavirus. Le prix du baril de Brent est tombé à moins de 40 dollars.
« Il est prévu que les prix restent à des niveaux bas, surtout si l’Arabie saoudite et la Russie n’arrivent pas à un accord pour réduire leur production », souligne Magdi Sobhi, directeur de l’Unité d’économie et de recherches énergétiques au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et de souligner que l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont dit qu’ils augmenteraient leur production à partir d’avril, ainsi que la Russie. Tamer Abou-Bakr, président de la Chambre du pétrole et des mines auprès de la Fédération des industries égyptiennes, explique pour sa part que les prédictions pour le marché pétrolier sont difficiles à faire, d’autant plus que plusieurs facteurs affectent ce marché pour le moment. Une hausse de la production dans un temps de baisse de la demande ne favorise certainement pas une augmentation des prix.
Le premier et indéniable effet positif pour l’Egypte est une baisse des subventions dans le budget de l’Etat. Le gouvernement avait initialement prévu des subventions à l’énergie de 52 milliards de L.E. pour l’année fiscale 2019-2020, qui se termine fin juin. En janvier, le ministre du Pétrole a indiqué que ces subventions atteindraient seulement 30 milliards de L.E. Les cours du pétrole ont enregistré une baisse d’environ 50 % en trois mois.
L’effet devrait par ailleurs se faire sentir au niveau de la balance des transactions courantes : « L’Egypte étant un importateur net, la baisse des prix du pétrole réduira les pressions sur la balance des transactions courantes (qui regroupe la balance commerciale et la balance des services, ndlr), qui sera, par ailleurs, négativement affectée par la baisse des revenus du tourisme et de ceux du Canal de Suez », souligne Mona Bédeir, économiste en chef auprès de Prime Holding. Tamer Abou-Bakr explique que l’avantage du Canal de Suez pour les navires est que la trajectoire est plus courte et qu’ils utilisent donc moins de carburants. Or, « la baisse des prix du pétrole nous fait perdre cet avantage. Il faudra peut-être réduire les frais du canal pour encourager le mouvement des navires. N’oublions pas que déjà, il y a un ralentissement du commerce international et que le nombre de bateaux traversant le canal est en baisse », indique-t-il.
Effets sur les prix du gaz naturel
Les transferts d’argent des Egyptiens travaillant à l’étranger — une autre composante de la balance des transactions courantes — pourraient, eux, diminuer suite à la baisse des prix du pétrole. « La majorité de ces transferts viennent des pays du Golfe. La baisse des prix du pétrole en 2016 n’avait pas sérieusement affecté les transferts des Egyptiens à l’étranger, mais cette fois-ci, le choc vient à la fois du côté de l’offre et de la demande. Il est possible que les pays du Golfe réduisent la production et licencient des employés », note Mona Bédeir. Elle ajoute toutefois que la baisse des subventions à l’énergie et la baisse possible des subventions alimentaires résultant de la baisse mondiale des prix des denrées alimentaires pourraient aider le gouvernement à trouver des ressources pour financer son plan de soutien à l’économie pendant la crise du coronavirus.
La baisse des prix du pétrole pourrait aussi mener à une baisse mondiale des prix du gaz naturel, que l’Egypte exporte. En effet, les prix dans le monde commencent déjà à baisser. L’activité d’exploration pétrolière et gazière en Egypte pourrait ainsi être affectée par une baisse prolongée des prix du pétrole. « Les entreprises d’exploration gazière et pétrolière ont besoin de couvrir leurs coûts. Si les prix restent à un niveau bas pour longtemps, les entreprises pourraient revoir leurs plans d’expansion », explique Mona Bédeir. Magdi Sobhi rappelle que les prix du gaz naturel sont en baisse depuis quelque temps déjà, une baisse datant d’avant la chute des prix du pétrole et d’avant la pandémie du Covid-19. « A tel point que l’Egypte cherchait à conclure des contrats d’exportation gazière à long terme pour 5 dollars le million d’unités thermiques britanniques, sans trouver d’acheteurs », précise Sobhi. En revanche, les experts s’accordent pour dire que la baisse des prix du gaz et du pétrole pourrait bénéficier à l’industrie locale et aux consommateurs.
L’Egypte a commencé en 2019 à lier les prix de l’énergie à ceux du marché international dans le cadre des réformes de réduction des subventions soutenues par le Fonds Monétaire International (FMI). Les différents acteurs du marché s’attendent à une réduction des prix à la pompe et pour l’industrie lors de la prochaine réunion du comité d’indexation des produits pétroliers, prévue début avril. Tamer Abou-Bakr prévoit ainsi des prix entre 3 et 4 dollars par million d’unités thermiques britanniques (mbtu) et souligne qu’une telle baisse donnera un coup de pouce à la production et à l’emploi. En octobre dernier, le prix du gaz naturel pour l’industrie du ciment avait été fixé à 6 dollars par mbtu, et à 5,50 dollars par mbtu pour le secteur des métaux et céramiques. Magdi Sobhi prévoit, lui aussi, une amélioration rapide de la situation, vu que la Chine prévoit de contenir le Covid-19 d’ici la fin du mois de mars ou en avril. « La Chine est le deuxième consommateur mondial de produits pétroliers. Quand la production industrielle reprendra en Chine, le pays produira à pleine capacité pour compenser les pertes résultant du coronavirus », estime-t-il, prévoyant un baril de pétrole à 40 dollars au quatrième trimestre 2020.
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