C’est une édition pas comme les autres. Le Forum économique mondial (WEF), qui se déroule du 21 au 24 janvier à Davos, en Suisse, fête son 50e anniversaire. A cette occasion, son fondateur, Claus Schwab, a dévoilé « un manifeste de Davos 2020 pour un capitalisme plus durable », dans lequel il appelle à la création d’un capitalisme nouveau, un capitalisme plus engagé en faveur de l’environnement et de la justice sociale. Un appel aussi qui divise son club d’élite.
Il avait écrit le premier manifeste en 1973, qui glorifiait les forces du marché et la globalisation néolibérale … Le secteur privé était vu comme pouvant régler tous les maux économiques, ce qu’on appelait « la suprématie des actionnaires ». Le nouveau manifeste, lui, souligne que « l’objectif d’une firme est d’engager toutes les parties prenantes pour la création d’une valeur partagée et soutenue ». Et ajoute que les multinationales doivent « améliorer l’état du monde ». Schwab s’est donc converti au « capitalisme des parties prenantes ». C’est le nouveau mot à la mode. Mais de quoi s’agit-il ?
Le capitalisme des parties prenantes est un mode de capitalisme qui est apparu en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, où le conseil d’administration d’une entreprise regroupait — à côté des grands actionnaires — des représentants des ouvriers et des employés et des résidents de la communauté locale et des groupes de consommateurs, avec la vision de prendre en considération les intérêts de toutes les parties concernées par l’opération de cette entreprise.
Mais la mondialisation des multinationales a, depuis les années 1980, mis ce modèle dans l’ombre. Ce n’est qu’en août 2019 que The Business Round Table, le grand lobby des entreprises américaines, qui génère un total de revenus à hauteur de 7 trillions de dollars, a publié sa déclaration relative au capitalisme des parties prenantes, redonnant un nouveau souffle au concept. Une version peu ambitieuse selon Schwab.
Christopher Alessi, le directeur numérique du forum, reconnaît que l’économie mondiale connaît des inégalités croissantes, des tensions au niveau du commerce, des perturbations technologiques, en plus du changement climatique et de l’incertitude géopolitique. D’où le risque d’une stagnation économique dans la nouvelle décennie, d’après le rapport récemment publié, le Forum’s Global Risks Report 2020. Même son de cloche chez le Fonds Monétaire International (FMI), qui a revu à la baisse ses prévisions en matière de croissance mondiale pour 2020. Bref, « le monde est en état d’urgence. La fenêtre pour agir est petite », s’alarme Schwab.
Désordre mondial
Quelques personnalités politiques, comme l’ancien premier ministre finlandais, Alexander Stubb, partagent les soucis de Schwab. « Il y a un nouveau désordre mondial qui doit être résolu. En ce moment, les Etats-Unis laissent des vides de pouvoir, sur le commerce, le climat, la sécurité. Le leadership mondial en général. Qui va remplir ces vides ? », interroge-t-il. Beaucoup d’investisseurs ont par ailleurs été émus par les récents incendies et intempéries et commencent à percevoir le changement climatique comme un risque menaçant leurs affaires et leurs profits. Cependant, ils sont encore loin d’adopter des mesures qui leur coûtent sur le court terme.
Lors de l’édition actuelle du forum, une session doit réunir plusieurs entreprises opérant dans le numérique pour discuter de la manière dont le secteur peut réduire son empreinte carbone. « Pour Booking.com, nous sommes impatients d’avoir une voix sur l’avenir de la durabilité dans le domaine des voyages. Nous savons que les consommateurs veulent de plus en plus connaître les choix durables qui s’offrent à eux en matière de voyage et de tourisme et savoir comment ils peuvent réduire leur impact individuel », a déclaré à CNBC Gillian Tans, présidente de Booking.com, participante au forum. Tim Adams, PDG de l’Institute of International Finance (IIF), également participant à Davos 2020, a, quant à lui, déclaré, par e-mail, à CNBC : « Il est de plus en plus clair que les questions liées au développement durable domineront l’agenda politique mondial. Il est urgent de faire quelque chose — le temps n’est pas de notre côté — et (…) le secteur des services financiers a un rôle-clé à jouer pour aider à financer la transition vers un avenir plus vert et plus durable ». Personne, pourtant, n’explique comment on pourrait gérer les pertes de profits qu’entraîneront inévitablement ces bonnes intentions.
Concernant les plans de durabilité de certains acteurs, on peut se demander s’ils vont au-delà de simples mesures cosmétiques. Un grand fonds d’investissement américain, Black Rock, a ainsi récemment fait part de son intention de désinvestir ses avoirs dans les secteurs polluants d’une manière qui semble très graduelle. Son président, Larry Fink, a en effet proposé à ses actionnaires, le 14 janvier, un plan sur 10 ans pour doubler ses investissements dans les secteurs de l’énergie renouvelable et de se débarrasser des obligations des entreprises de production de charbon. Le magasin britannique The Economist note néanmoins que l’impact de cette dernière mesure est limité, puisque ces investissements ne représentent que 0,1 % des avoirs de Black Rock.
119 milliardaires au forum
Les chefs d’entreprises sont encore moins enthousiastes quand il s’agit de réduire leurs paies et payer plus de taxes, deux points qui sont mentionnés dans le nouveau manifeste de Davos, mais ne font guère l’unanimité au sein du club des milliardaires. Pour Schwab, c’est un débat à aborder sur le long terme pour ne pas effrayer les membres du forum. Il révèle que suite à la publication du manifeste, « plusieurs » lui ont dit « fait attention ». Et d’ajouter : « Si nous allons trop vite, cela peut créer une réaction contraire ».
Il apparaît donc difficile de concilier bénéfices et attitudes plus vertes et plus égales au sein de La Mecque des leaders financiers et des hauts exécutifs des multinationales. Cette année, le Forum économique mondial regroupe 119 milliardaires, d’après Bloomberg. Le total de leurs richesses s’élève à 500 milliards de dollars. Et ce, en plus de 2 000 invités, dont des chefs d’entreprises, des grands financiers et des politiciens.
En dehors de la station suisse de ski alpine, de plus en plus de voix critiques se font entendre et les alternatives plus radicales se multiplient. Les deux potentiels candidats à la présidentielle américaine, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, plaident ainsi pour taxer les plus riches et pour un nouvel accord vert. Toutefois, de nombreux participants au forum semblent pencher, eux, vers les visions de Donald Trump, le plus important invité de Davos 2020, qui s’est retiré de l’accord de Paris et a accordé des exemptions fiscales généreuses aux plus riches.
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