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Aramco s’ouvre aux investisseurs

Salma Hussein, Mardi, 12 novembre 2019

La privatisation partielle du géant pétrolier Saudi Aramco, prévue en décembre, suscite à la fois l’appétit et les interrogations des investisseurs. Questions-réponses sur ce qui pourrait devenir la plus importante introduction en Bourse de l’histoire.

Aramco s’ouvre aux investisseurs
Les individus sont invités à acheter une part de 0,5 % du géant pétrolier, soit un milliard de titres. (Photo : Reuters)

Pourquoi cette introduc­tion en Bourse suscite-t-elle tant d’intérêt ?

L’introduction en Bourse de la compagnie pétrolière Saudi Aramco est la première mise sur le marché de titres du plus gros producteur mondial de pétrole, qui a dû publier son bilan financier pour la première fois en préparation à l’opé­ration, prévue en décembre pro­chain. Le géant pétrolier a dégagé des profits à hauteur de 111 mil­liards de dollars en 2018. C’était le double de ceux d’Apple. D’après les calculs de la revue britannique The Economist, ce montant dépasse le total des bénéfices des cinq grands acteurs de l’industrie, à savoir ExxonMobil, Royal Dutch/Shell, BP, Chevron et Total. En raison de la baisse des cours pétro­liers, Aramco a connu un recul des profits de 18 % lors des 3 premiers trimestres 2019 (comparé à la même période de l’année passée). Cependant, son image reste solide : Aramco serait la société dégageant le plus de profit cotisée en Bourse sur le plan mondial, poussant Apple à la deuxième place.

Qu’est-ce que Saudi Aramco ?

Saudi Aramco est la plus grande compagnie pétrolière au monde. Elle a produit, en 2018, l’équiva­lent de 13,8 millions de barils par jour, ou 1 baril sur 8 produits sur le plan international. D’après son site, elle possède également la qua­trième plus grande capacité de raf­finage. Elle emploie 76 000 per­sonnes et dirige des opérations et des unités de recherche en Asie, en Europe ainsi qu’en Amérique du Nord et du Sud. Depuis 1988, elle est entièrement en possession du Royaume saoudien (voir encadré). Une situation qui est sur le point de changer.

Quels sont les détails de la pri­vatisation partielle ?

Ce sera la première fois que Saudi Aramco vend ses titres au grand public, en Bourse, à travers une offre publique initiale. Le régula­teur du marché financier saoudien a donné son feu vert au commence­ment des procédures. Le prospectus d’information destiné aux investis­seurs potentiels a été publié le 10 novembre et fait 600 pages. Toutefois, plusieurs informations importantes restent non claires, en premier lieu la part qui sera émise lors de l’offre publique initiale et qui n’a pas été annoncée. Plusieurs analystes prévoient qu’une part de 1-2 % sera émise au mois de décembre. Si c’est le cas, ce sera la plus grande offre publique initiale jamais effectuée.

L’autre information manquante est l’évaluation de l’entreprise. Pour Capital Economics, maison d’investissement financier, la valeur d’Aramco est estimée actuel­lement à quelque 1,5 trillion (mil­lier de milliards) de dollars, et ce, grâce à l’acquisition récente du géant pétrochimique saoudien Sabic. C’est en deçà de l’évaluation espérée par le prince héritier du Royaume, Mohamad Bin Salman, de 2 trillions de dollars. Néanmoins, la privatisation d’une part d’Aramco est considérée par Yasir Al-Rumayyan, président d’Aramco, comme « une étape significative dans l’histoire de la société et un progrès important pour la réalisa­tion de Vision 2030, le plan direc­teur du Royaume pour une diversi­fication et une croissance écono­miques durables ». « Vision 2030 » est un plan initié par Mohamad Bin Salman pour diversifier l’économie du pays, dépendant du pétrole. Si la part émise auprès de la Bourse saoudienne est de 3 %, « cela pour­rait générer 45 milliards de dollars, l’équivalent de 5,8 % du PIB saou­dien », estime Jason Turvey, senior analyste auprès de Capital Economics.

Pourquoi les actions sont-elles uniquement offertes sur le mar­ché local ?

L’émission sur le marché finan­cier de Riyad peut servir de ballon d’essai, selon Claire Fages, ana­lyste des marchés des matières pre­mières auprès de Radio France International (RFI). Le plan initial, annoncé par le prince Bin Salman en 2016, visait l’émission de 5 % des titres d’Aramco sur au moins un marché international, le marché financier de New York était un favori. Les attaques récentes par drones sur deux sites de production d’Aramco notamment ont renforcé la tendance vers la vente sur le mar­ché local pour le moment.

Les titres seront offerts à partir du 17 novembre. 0,5 % des parts sont réservés aux particuliers, soit un milliard de titres. Mais le prospec­tus ne précise la part prévue pour les institutions. Parmi les invités à contribuer figurent le Fonds chinois de La Route de la soie (Silk Road), la Russie et des membres de la famille royale saoudienne. D’après Reuters, le gouvernement a l’inten­tion d’émettre une part de 2 % de l’entreprise. Le prospectus indique que le gouvernement devra attendre encore un an avant de pouvoir émettre davantage de titres. Les nouveaux actionnaires devront, quant à eux, maintenir leurs titres pour une période de 6 mois.

Quel est l’impact de la vente des actions sur le budget de l’Etat saoudien ?

Les recettes de la privatisation ne seront injectées ni dans l’entre­prise, ni dans le budget de l’Etat, selon la maison d’investissement financier Capital Economics. En revanche, « elles seront dirigées vers le Fonds d’investissement public, un fonds souverain dont dépend le prince Bin Salman pour remodeler l’économie saoudienne loin du pétrole », explique une ana­lyse publiée par Capital Economics. Toutefois, les rendements permet­tront de mettre un terme au plan d’austérité saoudien dans une éco­nomie ralentie, où le taux de chô­mage officiel s’élève à 12,3 % et au double auprès des jeunes.

Quels sont les risques pour les investisseurs ?

L’Arabie saoudite est classée 58e sur 180 pays, en ce qui concerne l’indice de perception de la corrup­tion de Transparency International, et le secteur pétrolier est peu trans­parent. Avant 2018, Aramco n’avait jamais publié ses bilans financiers. Par ailleurs, la vulnérabilité à des attaques contre l’entreprise est un risque qui va probablement occuper les investisseurs, d’après l’agence de notation Fitch, qui a baissé la notation de l’Arabie saoudite de A+ à A. Les risques incluent également que le gouvernement demande à la compagnie d’entreprendre des pro­jets ou de financer des initiatives au-delà de ses activités principales, comme l’indique le prospectus de l’entreprise.

Finalement, il y a le risque de la fin de l’ère du pétrole. Les grands fonds d’investissement boudent de plus en plus les secteurs fortement polluants, l’industrie pétrolière en tête. Le géant pétrolier entend remédier à cela en prévoyant plus de ressources pour les énergies renouvelables et des voitures moins polluantes. En plus, Aramco inves­tit davantage dans des entreprises qui dépendent de son brut. « Il s’agit d’orienter notre pétrole vers nos usines », résume le président d’Aramco

L’Arabie saoudite risque-t-elle de perdre son poids international en privatisant Aramco ?

L’Arabie saoudite est le premier exportateur mondial de brut et pos­sède les deuxièmes plus grandes réserves mondiales, estimées à 227 milliards de barils. Selon Claire Fages, le brut de l’Arabie saoudite est facile à extraire, ce qui fait que la production d’un baril ne coûte que 3 euros. Cela lui donne le pouvoir de diminuer ou d’augmenter l’offre mondiale et par conséquent, de contrôler la stabilité des cours mon­diaux. En plus, en tant que leader puissant de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), elle est le maestro du groupe, contrôlant le tiers du marché mondial du brut. Par conséquent, renoncer à 5 % du joyau ne changera guère le fait que l’Arabie saoudite reste, sine die, l’unique maître à bord d’Aramco et le plus puissant pétrolier dans un monde toujours assoiffé d’or noir.

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