Durant les deux jours de la conférence MENASP, les participants ont interagi pour apprendre des expériences de leurs pays respectifs.
« Nous vivons aujourd’hui une ère de changements dans les politiques publiques dans la région MENA ». C’est ce qu’a déclaré Ghada Barsoum, présidente du département des politiques et d’administration publique auprès de la faculté de Global Affairs and Public Policy (GAPP) à l’AUC, lors de la conférence MENA Social Policy Network. « Sous le nouveau paradigme de la protection sociale, les pays optent pour des réformes majeures au niveau des applications des politiques sociales, depuis l’introduction des programmes de Cash Transfer jusqu’au réajustement des politiques fiscales. Toutes ces transformations ont des implications non négligeables sur les processus de prise de décisions et les droits de citoyenneté. Il est difficile que les changements de politiques sociales soient gérés à l’heure des profondes transformations », explique Ghada Barsoum. Ceci d’autant que les chiffres de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sont alarmants au niveau de ce dossier. Selon le dernier rapport de l’OIT, seuls 45% de la population mondiale bénéficient d’un seul programme de protection sociale: 18% en Afrique et 39% en Asie (la région MENA s’étendant sur une partie de ces deux continents).
Les 30 et 31 octobre ont été un vrai hub d’échanges d’idées et d’expertises. C’est dans le nouveau campus de l’Université américaine, dans la salle de Moataz Al-Alfi Hall, que se sont déroulés les dialogues de la 4e édition de la conférence de MENA Social Policy Network. Une rencontre ayant réuni académiciens, chercheurs et décideurs de la région MENA, sous l’intitulé « Les politiques sociales dans la région MENA : des leçons à apprendre dans l’ère de la protection sociale ». La conférence, coorganisée par le British Council, l’AUC et MENASP (un réseau international de chercheurs et de praticiens ayant vu le jour en 2013 et créé par Dr Rana Jawad, conférencière des sciences politiques et sociales à l’Université de Bath en Angleterre), avait pour objectif de faire avancer les pratiques en politiques sociales et protection sociale dans la région MENA.
L’assistance, venue des 4 coins du monde, avait pour but de discuter les réformes majeures au niveau de l’agenda de la protection sociale dans la région MENA et encourageait l’idée de l’apprentissage des expériences des pays respectifs. Ou en d’autres termes « combler les lacunes entre les politiques de protection sociale et les applications sur le terrain ».
Un menu copieux
Selon l’OIT, la protection sociale ou la sécurité sociale, avant d’être un outil destiné à consolider la croissance économique et le bien-être social, est un droit inhérent à la personne humaine. Elle est définie comme un ensemble de politiques ou de programmes destinés à prévenir la pauvreté et la vulnérabilité tout au long du cycle de vie. La protection sociale inclut les bénéfices de l’enfant et de la famille, la protection maternelle, les assistances en cas de chômage, les aides en cas de blessures, de maladie, etc. Ces programmes incluent aussi les prestations destinées au troisième âge ou aux personnes handicapées.
Les deux journées de la conférence étaient chargées, reflétant ainsi la diversité des composantes et issues relevant de la protection sociale. Chaque jour comportait trois sessions riches en contributions des chercheurs, académiciens et décideurs politiques. Les papiers et Policy Briefs se sont étendus des questions macro-analytiques de Nita Rudra, professeure à l’Université de Georgetown, sur le libéralisme à l’ère digitale dans lequel elle a évoqué les impacts négatifs du commerce et de la libéralisation financière ayant disqualifié la main-d’oeuvre mondiale. Jusqu’aux études micro-analytiques jetant la lumière sur des secteurs particuliers, comme celles du chercheur algérien Walid Merouani, qui a disséqué le système d’assurance sociale en Algérie. Selon lui, il s’agit d’un système bismarckien, qui est obligatoire et qui repose sur la participation financière des ouvriers et employeurs sous forme de cotisations. Selon le chercheur, toutes les catégories sont disposées à payer les cotisations de l’assurance. Cependant, les travailleurs informels et les personnes âgées sont disposés à payer des cotisations si elles sont moins élevées que dans les actuels schémas. Natalia Ribas Mateos, de l’Université de Barcelone, a parlé des politiques sociales dans les contextes des migrations dans la région MENA. D’autres papiers ont analysé les impacts des assistances financières acheminées aux réfugiés en temps de crise. Comme le papier du chercheur jordanien Bassam Abu Hamad, qui a exploré les liens entre l’assistance sociale humanitaire et les systèmes nationaux des politiques sociales et a découvert que l’assistance de l’Onu ou de l’Unrwa n’était pas suffisante. Et que celle des gouvernements nationaux était cruciale non seulement financièrement mais également pour leur assurer un sentiment d’appartenance. Une autre recherche co-signée par Markus Loewe et Tina Zintl sur les effets des programmes nourriture et argent contre travail sur les réfugiés syriens et jordaniens, qui s’avéraient effectifs en temps de crise, et le Cash Transfer qui était crucial à tout moment. Et autres dans les secteurs de l’éducation et de la santé.
Réformes conventionnelles
et non conventionnelles
Dans sa présentation intitulée « La politique d’austérité au Moyen-Orient », Melani Cammett, professeure auprès de la prestigieuse Université d’Harvard, s’est attelée à chercher les racines de la livraison inéquitable des services sociaux et des programmes de protection sociale et qui relèvent des dynamiques de la politique économique. Tout d’abord, elle a évoqué sans conteste la hausse des taux de la dette publique, le premier pays étant le Liban, ensuite l’Egypte. « Les gouvernements sont préoccupés à payer les dettes et leurs services », a-t-elle déclaré. Parmi les contraintes, elle a mentionné les déficits fiscaux, les cours oscillants du pétrole et les systèmes fiscaux régressifs. La prescription de Cammett a combiné réformes conventionnelles et non conventionnelles. Les premières sont macroéconomiques comme la libéralisation du commerce, les Investissements Etrangers Directs (IED), l’amélioration de la note des pays dans le Doing Business en réformant les régulations et l’accès aux crédits, la réduction des dépenses gouvernementales et les déficits et l’adoption de politiques fiscales plus progressives. Sur ce point, la chercheuse Imane Helmy, de l’Université allemande au Caire (GUC), a élaboré 4 angles pour assurer le financement de la protection sociale à travers les politiques fiscales. Premièrement, l’efficacité dans la distribution de l’assistance orientée vers le développement ; deuxièmement, la mobilisation des ressources domestiques ; troisièmement, le financement du déficit ; et quatrièmement, la réallocation des dépenses publiques en réorganisant les priorités. Quant aux arguments non conventionnels de Cammett, ils focalisent sur la nécessité de renégocier une distribution des forces. « Lorsque l’Etat-providence devient faible, cela engendre une carence de ressources », remarque-t-elle à l’heure où il faut pousser pour assurer la protection sociale. Dans ce contexte, il va falloir concevoir une autre fois les régimes de protection sociale parce que l’Etat ne peut plus devenir le seul moteur. « Un nouveau contrat social est donc requis avec de nouveaux acteurs non étatiques, comme les ONG et le système de solidarité islamique qu’est la zakat, qui doit être réorganisée selon des structures plus formalisées assurant sa continuité », a expliqué Cammett.
On en est seulement à la 4e édition de la conférence MENASP qui aborde l’un des sujets les plus délicats et les plus oubliés dans la région MENA, à savoir les politiques sociales et les programmes de sécurité sociale. Et encore trop tôt pour l’évaluer .
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