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L’inclusion financière, outil de développement

Amani Gamal El Din, Lundi, 14 mai 2018

L’Egypte avance lentement, mais sûrement, sur la voie de l’inclusion financière. En 2017, un tiers des adultes avait accès aux services bancaires. Il reste toutefois encore beaucoup à faire pour étendre ces derniers à l’ensemble de la population et contribuer ainsi à la stabilité financière du pays. Analyse.

L’inclusion financière, outil de développement
L’inclusion financière est une priorité pour la Banque Centrale à travers une technologie financière numérique.

L’inclusion financière fait couler beaucoup d’encre. Lors du 4e Forum de la responsabilité sociale des entreprises, organisé par la société privée CSR Forum Egypt la semaine dernière, le thème de l’in­clusion financière a été débattu. L’événement a réuni une panoplie de responsables d’entreprises, pri­vées et publiques, des experts éco­nomiques et financiers, des déci­deurs politiques, ainsi que des représentants d’ONG. Tous sont d’accord pour dire que l’inclusion financière est un impératif et l’un des outils pour réaliser le dévelop­pement durable dans la stratégie de l’Egypte : Vision 2030.

Amro Abouesh, PDG de Tanmeyah, une entreprise de financement de microentreprises, estime que l’accès de tous les seg­ments sociaux aux outils bancaires fait partie des droits de citoyenne­té et que la responsabilité en incombe à l’Etat si l’on veut sortir de la pauvreté. « L’inclusion financière doit émaner de poli­tiques publiques complémentaires qui travaillent avec des institu­tions, responsables directement de l’application de ce concept ». Concernant ce point, Akef El Maghraby, vice-président de la banque publique Misr, indique : « L’inclusion financière est deve­nue une priorité pour la Banque Centrale et toutes les banques, publiques et privées, sont mobili­sées dans ce sens à travers une stratégie basée sur la technologie numérique visant à cibler tous les segments ».

En vue d’éradiquer la pauvreté d’ici 2030, l’inclusion financière devient l’un des principaux fac­teurs de développement écono­mique et de stabilité financière. La Banque Centrale la définit comme étant l’accès, pour tous individus et entreprises, à une large gamme de produits financiers, comme l’épargne, les comptes, les paie­ments, les assurances, les hypo­thèques, les crédits, etc. A l’instar du monde entier, l’Egypte a répon­du aux appels des institutions financières internationales et a pris plusieurs initiatives dans le sens de l’inclusion financière en 2017 et 2018. Premièrement, lors de la Semaine arabe de l’inclusion financière, qui a eu lieu du 27 avril au 4 mai 2017 en Egypte, la Banque Centrale d’Egypte (BCE), en coopération avec les Banques Centrales arabes, a lancé une ini­tiative pour mobiliser les employés des banques dans 75 sites à travers tout le pays et leur faire proposer l’ouverture de comptes bancaires sans frais. Les cibles étaient notamment les personnes handica­pées, les personnes âgées et les femmes à la tête de familles. Deuxièmement, une conférence, organisée à Charm Al-Cheikh du 13 au 15 septembre 2017 et inau­gurée par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, avait pour but de réactiver le rôle de l’Alliance de l’inclusion financière, initiative internationale née en 2008 et à laquelle l’Egypte a adhéré en 2013. Le président y a notamment évoqué l’importance de l’inclu­sion financière comme levier pour la relance économique. Enfin, le 4 mars 2018, 4 banques publiques, soit la banque Misr, la Banque du Caire, la Banque nationale d’Egypte (NBE) et la Banque agri­cole égyptienne (ABE), ont lancé un nouveau certificat d’investisse­ment, baptisé Aman (sécurité), avec une valeur minimale de 500 L.E., une valeur maximale de 1 200 L.E. et un taux d’intérêt de 16% remboursable sur 3 ans. Ce certificat offre une assurance-vie et s’adresse essentiellement aux employés temporaires et saison­niers.

Des avancées relatives

Il est évident que ces progrès ont amélioré la note de l’Egypte en matière d’inclusion financière, comme l’indique le rapport que vient de publier la Banque mon­diale, The Global Findex Data Base. Ce dernier mesure les pro­grès réalisés en matière d’inclusion financière et d’usage de la techno­logie financière au sein de 140 pays moyennant certains indicateurs, comme le nombre de comptes ban­caires ouverts, le nombre de per­sonnes non bancarisées, les méthodes de paiement, l’usage de la technologie pour les transac­tions, les crédits bancaires, l’épargne et les opportunités de chaque pays d’élargir le cercle de l’inclusion financière.

Selon le rapport, le nombre de comptes bancaires ouverts en Egypte par le segment des adultes de plus de 15 ans est passé de 20 % de la population en 2014 à 33% en 2017. « Toutefois, malgré cette avancée relative, l’Egypte est en recul, comparée aux pays du même classement économique qui ont enregistré une hausse moyenne de 63 % pour ce qui est de l’ouverture de comptes bancaires », note le rapport. Ce dernier impute la hausse à la politique gouvernemen­tale consistant à verser les salaires et les pensions sur un compte.

L’épargne et les emprunts que les Egyptiens effectuent via les banques restent modestes. En effet, selon le rapport de la Banque mon­diale, environ 70% de l’épargne se fait de manière semi-formelle, soit à travers d’autres moyens, comme les clubs d’épargne. El Maghraby a en revanche indiqué à l’Hebdo qu’au cours des deux dernières années, 10 millions d’usagers avaient effectué des transferts à travers les portables. « Mais il existe toujours des défis pour aug­menter ce chiffre », a-t-il ajouté.

Si l’on veut analyser et faire pro­gresser l’inclusion financière en Egypte, il faut prendre en considé­ration plusieurs facteurs tels que la différence entre les villes et la cam­pagne, les écarts entre riches et pauvres ou les personnes non ban­carisées, sans oublier la technolo­gie. « Il faut dire que les progrès ne sont pas moindres. Le gouverne­ment a notamment fait en sorte que les subventions soient assurées à travers des cartes à puce. Mais il faut une nouvelle politique de ciblage et de communication. Les habitants des campagnes, par exemple, ne connaissent ni la défi­nition, ni la portée de l’inclusion financière. Les gens dans les régions éloignées ne sont pas sen­sibilisés et n’ont pas confiance dans les banques; c’est une culture. La plupart des épargnes et des investissements se font toujours loin des canaux financiers ban­caires », explique Moustapha Al Fouly, analyste bancaire auprès de la maison de courtage Prime Securities.

Usage de la technologie numérique

Pour augmenter le taux d’inclu­sion financière, il faut donc tra­vailler sur les comportements et la culture dans le cadre d’une straté­gie à long terme, qui prendra des années. En attendant, d’autres mesures doivent être prises en parallèle. La première a été évo­quée dans le quotidien Al-Sharq Al-Awsat par Mahmoud Mohieddine, vice-président de la Banque mondiale, qui appelle à adopter des politiques publiques qui miseraient sur le changement des comportements liés à l’épargne et qui pourraient profiter des taux démographiques élevés. « Cette initiative vise à ouvrir un compte bancaire électronique pour chaque élève et y déposer une somme symbolique. Cette épargne serait financée en coopération avec les Banques Centrales à par­tir de taux limités venant des réserves en monnaie locale. Les banques élargiraient ainsi leur réseau de clients, dont les comptes resteraient bloqués jusqu’à l’âge légal », explique Mohieddine.

Un avis soutenu par Amro Abouesh, qui évoque l’expérience de l’Inde: « L’Inde a ouvert des comptes bancaires obligatoires pour tous les citoyens liés à des assurances-vie et des assurances-santé, à partir de l’âge de l’école. Cette méthode a permis à l’Inde d’ouvrir 260 millions de comptes en 12 mois. Ces comptes soldes nuls ont atteint, en 12 mois, 6 mil­liards de dollars », déclare-t-il.

Comme l’indique le rapport, l’usage de la technologie numé­rique sera le seul garant d’une expansion plus poussée de l’inclu­sion financière, du moins pour les 1,7 milliard d’adultes qui sont toujours non bancarisés à travers le monde. A ce propos, El Maghraby déclare que l’infras­tructure nécessaire est présente dans les banques et qu’elle conti­nue son expansion. Elle repose sur deux axes: un usage plus étendu des nouvelles technologies, notamment des services bancaires mobiles, et le recours à une straté­gie numérique pour un meilleur ciblage. « Les services bancaires mobiles facilitent les transactions et coûtent moins cher. Aujourd’hui, il est facile d’ouvrir un compte bancaire via le portable. Au niveau de l’infrastructure phy­sique, les banques évoluent à grands pas. Nous inaugurons chaque année 50 agences dans des régions éloignées et poursuivons à travers elles nos campagnes de sensibilisation », assure El Maghraby.

Ce dernier ajoute que la stratégie financière numérique visera, à l’avenir, à améliorer le ciblage de nouveaux réseaux de potentiels clients, tout en admettant que cela ne sera pas facile. Amro Abouesh souligne, quant à lui, que la régula­tion du secteur informel ne se fera qu’à travers l’inclusion financière. « Si on encourage les patrons de cette économie à conclure des assurances-vie ou des assurances-maladie à des coûts raisonnables, ils seront plus confiants envers leur gouvernement, et ce dernier aura fait preuve de vigilance à leur égard et de respect des droits de citoyenneté », conclut le PDG de Tanmeyah .

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