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Mahmoud Mohieddine : L’Egypte a besoin d’un taux de croissance de 7 % pour améliorer le niveau de vie

Névine Kamel, Mercredi, 28 mars 2018

Lors d’une rencontre avec le groupe de presse accompagnant la mission Door Knock à Washington, Mahmoud Mohieddine, premier vice-président de la Banque mondiale pour le programme de développement, est revenu sur la performance de l'économie égyptienne et les moyens de la relancer. Entretien.

Mahmoud Mohieddine

Washington,

De notre envoyée spéciale —

Al-Ahram Hebdo : Comment évaluezvous la situation actuellement en Egypte ?

Mahmoud Mohieddine : L’Egypte a parcouru sans doute un bon chemin vers le redressement économique. Elle a pris des mesures courageuses et indispensables. Or, le chemin est encore long et il reste des défis à surmonter. Le taux de croissance visé par le gouvernement égyptien, situé entre 3,5 % et 4 %, est insuffisant pour créer des emplois, freiner les effets de la croissance démographique et améliorer le revenu moyen par habitant. L’Egypte a besoin d’un taux de croissance de 7 % pour améliorer le niveau de vie des citoyens et réduire le chômage. Et cela nécessite des investissements supplémentaires directs de l’ordre de 25 ou 30 % et un taux d’épargne similaire.

— Cela est-il réalisable ?

— Le dernier rapport de la Banque mondiale révèle une progression du taux de croissance en général en Egypte, mais souligne en même temps quelques éléments nécessaires pour assurer la continuité de cette croissance dans le futur. Parmi ces éléments, les investissements. Ceux-ci ne sont pas revenus à leur niveau d’avant la crise financière de 2008. Malgré les différentes tentatives de réforme, le flux des investissements, qui sont le moteur principal de la croissance, reste limité et cela signifie que la hausse des taux de croissance ne sera pas durable, d’où la nécessité de prendre d’autres mesures pour relancer l’économie.

En même temps, d'un côté, le taux de croissance du commerce international a enregistré, au cours des dernières années, une progression limitée, mais à cause des mesures protectionnistes adoptées par certains pays, ces taux se sont également redressés. D’un autre côté, le taux d’épargne est très faible au Moyen-Orient et tourne en moyenne autour de 14 %, et en Egypte, il est même inférieur, alors que dans certains pays du continent africain, ce taux s’élève à 34 %.

Lorsque le taux d’épargne est peu élevé, les banques n’ont pas de fonds pour donner des crédits. Les investisseurs doivent donc fournir les fonds nécessaires à leurs projets. Il n’y a alors qu’une seule solution pour se procurer les fonds nécessaires : l’endettement extérieur. Et il ne s’agit pas d’une solution utile pour l’économie. Augmenter le taux d’épargne afin de combler ce fossé est donc une nécessité.

— Le bitcoin, qui a surgi récemment sur la scène, n’était-il pas un moyen valide d’épargne?

— Le bitcoin et les autres monnaies numériques ne sont qu’une dangereuse spéculation. Ces ballons financiers pourraient donner lieu à des crises financières. Au début de la spéculation, il est normal de voir des gagnants, mais cela ne dure pas longtemps, et les pertes arrivent tout de suite et causent des crises financières. Ce genre de monnaie malheureusement n’est pas soumis à une supervision et, par conséquent, les résultats sont risqués.

— Quelles sont donc les mesures que le gouvernement égyptien doit prendre pour augmenter les taux d’épargne ?

— Pour réaliser un tel objectif, le gouvernement égyptien doit créer ce qu’on appelle « des fonds souverains ». Il s’agit d’utiliser les actifs qui génèrent des revenus financiers en devises étrangères ou en livre égyptienne, dans l’épargne dans le but de multiplier leurs revenus. Il existe 3 genres de fonds souverains. Le premier consiste à utiliser les revenus en devises étrangères des exportations. Le deuxième utilise le surplus et les revenus des entreprises publiques et des organismes dépendant de l’Etat.

A noter que le gouvernement doit travailler en même temps pour arrêter les pertes des entreprises déficitaires et les aider à surmonter leurs défis. Le troisième genre consiste à utiliser les fonds des assurances, des pensions et des investissements des entreprises d’assurance. A cet égard, il faut profiter des expériences des pays qui ont appliqué cette expérience comme Singapour et la Norvège dans le cas des devises étrangères et la Malaisie et l’Irlande dans le cas de la monnaie locale. La transparence et la bonne gestion sont les mots-clés du succès d’une telle expérience. Ces fonds encouragent l’épargne vu la bonne gestion des ressources.

— Le gouvernement égyptien a essayé plusieurs tentatives à cet égard …

— Il y a des normes internationales qui régissent la gestion de ces fonds et qui garantissent leur transparence. L’Egypte ne possède pas encore de modèle de fonds souverains. Et le gouvernement égyptien doit commencer à élaborer une politique pour la relance et la gestion de ce genre de fonds le plus vite possible. Et si une telle étape nécessite des modifications juridiques ou l’amendement de quelques lois, le gouvernement égyptien ne doit pas hésiter.

— Outre les fonds souverains, quels sont les autres moyens pour augmenter le taux d’épargne ?

— Associer davantage les femmes au processus d’inclusion financière permettra une hausse du taux d’épargne. L’Etat doit sensibiliser les femmes pour les encourager à s’engager dans ce processus. Le nombre de femmes qui ont des comptes bancaires est très médiocre. Les enfants et les jeunes doivent encore être inclus. Les banques peuvent, par exemple, ouvrir un compte bancaire d’éparne aux nouveaux-nés, moyennant une somme symbolique. Une initiative qui sera dans l’intérêt de tous : les banques, la famille et l’économie du pays.

— Les classes moyenne et défavorisée ont souffert des programmes de réforme. Comment le gouvernement peut-il alléger la facture de ces réformes ?

— Le gouvernement a fait son devoir en ce qui concerne la protection des classes défavorisées. Nous avons vu, entre autres, les cartes d’approvisionnement, dont le nombre de bénéficiaires est en augmentation, et le programme Takafol wa Karama. Mais, en ce qui concerne la classe moyenne, le gouvernement vient de mettre en place des programmes de protection. Les grandes lignes de ce programme ne sont pas encore définies, mais l’enseignement et la santé constituent un bon début.

— L’enseignement est l’un des casse-têtes de la population égyptienne. Qu’en pensezvous ?

— Selon le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’enseignement, le système d’enseignement en Egypte est très coûteux, et malheureusement, ses résultats sont très faibles. Il faut totalement changer le système éducatif dans les écoles et les universités et mettre fin à cet abus dont sont victimes les familles égyptiennes. Il faut élaborer un nouveau système basé sur la technologie, un système en rapport avec les besoins du marché du travail. La Banque mondiale est consciente de l’importance de l’étape actuelle, et elle financera ce genre de projets. Les projets sociaux sont également une priorité pour la banque, comme le drainage sanitaire.

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