Le changement de 9 ministres intervenu le 7 mai en inclut quatre du groupe économique. Trois sont directement impliqués dans les négociations avec le Fonds Monétaire International (FMI), sur le prêt de 4,8 milliards de dollars à l’Egypte. Outre ce dossier compliqué, les nouveaux ministres devront faire passer la baisse des subventions à l’énergie et la hausse de plusieurs taxes afin de limiter le déficit budgétaire, un déficit qui dépassera les estimations initiales pour l’exercice en cours.
Le remaniement a remercié le ministre des Finances, Al-Morsi Al-Sayed Hegazi, celui de la Planification et de la Coopération internationale, Achraf Al-Arabi, le ministre de l’Investissement, Ossama Saleh, et enfin le ministre du Pétrole, Ossama Kamal.
Plusieurs économistes ont immédiatement fait part de leur insatisfaction quant à la nouvelle ligne du gouvernement. Ils estiment que ce remaniement est un signe d’instabilité et qu’il ne répond pas aux demandes d’une partie de l’opinion publique et de l’opposition, lesquelles réclamaient un remaniement élargissant la participation des forces non islamistes et de spécialistes reconnus dans la gestion de l’Etat.
Le changement du ministre des Finances est particulièrement intriguant puisque Al-Morsi Hegazi n’est resté en fonction que cinq mois après avoir été nommé dans le remaniement ministériel de janvier dernier. Tant l’ancien ministre des Finances que son successeur Fayyad Abdel-Moneim sont spécialisés dans la finance islamique, et tous deux étaient inconnus dans les cercles économistes égyptiens.
Le FMI visé ?
« Les responsables du FMI m’ont dit qu’à chaque fois qu’ils commencent à s’habituer à un ministre, il disparaît », a déclaré à Ahram Online, Samir Radwan, premier ministre des Finances post-révolution. « Nous avons maintenant notre cinquième ministre des Finances depuis la révolution, ce qui est un signe d’instabilité ».
Le départ abrupt d’Al-Morsi Al-Sayed Hegazi a été précédé par la démission de Hani Qadri Dimian, premier assistant du ministre des Finances. Dimian, qui a officié sous les six derniers ministres des finances, était considéré jusque-là l’homme-clé des négociations avec le FMI. La presse a reporté des différends avec un responsable du Parti Liberté et Justice (PLJ), le bras politique des Frères musulmans, au sein du ministère.
« Il est étonnant que Morsi change des figures-clés en plein processus de négociations avec le FMI, surtout après le curieux départ de Hani Qadri Dimian », commente Hani Géneina, directeur de recherche à la banque d’investissement Pharos.
Cela fait maintenant quasiment trois ans que l’institution internationale et les différents gouvernements égyptiens de l’après-révolution négocient le prêt, qui a été sur le point d’être conclu deux fois. Pour obtenir le prêt, l’Egypte doit présenter un programme de réformes économiques que le FMI accepterait. Le point-clé du programme consiste en une baisse du déficit, ce qui nécessite une baisse des subventions à l’énergie ainsi qu’une série de hausse de taxes dont plusieurs devront entrer en vigueur prochainement.
« Le ministère des Finances est chargé de l’exécution des réformes économiques », avance Géneina. « Le moment du remaniement et le fait qu’aucun des nouveaux ministres économiques n’est une figure de l’opposition vont à l’encontre de la stabilité politique et de la réconciliation prônée par le FMI comme une obligation de mettre en oeuvre les réformes économiques nécessaires », ajoute-t-il.
Les retards dans la conclusion du prêt du FMI sont en partie le résultat de l’adoption d’une nouvelle approche qui ne s’appuie plus seulement sur les autorités, mais réclame aussi la sensibilisation des groupes d’opposition et de l’opinion publique. Une approche que le FMI a adoptée après la révolution pour assurer la continuité en cas d’alternance politique.
Le remaniement a également échoué à satisfaire l’opposition. Le Front national du salut, principale coalition de l’opposition, a décrit le remaniement comme une « déception » pour les forces politiques de l’Egypte, en particulier en ce qui concerne le fait que le premier ministre, Hicham Qandil, a été maintenu à son poste.
Selon Radwan, le remaniement « n’a pas réussi à répondre aux demandes populaires de nommer des ministres plus compétents, n’a pas satisfait l’opposition, et n’aidera ni à avancer dans les négociations avec le FMI, ni à restaurer la confiance des investisseurs. Le remaniement semble être un simple changement cosmétique ».
La réforme demeure
Au gouvernement, on voit les choses autrement. Le porte-parole du cabinet des ministres, Alaa Al-Hadidy, estime que les changements ministériels « n’affecteront pas le cours des discussions avec le FMI ». Car « le changement de certaines personnes ne signifie pas de changement de politiques gouvernementales ou du programme de réforme économique et financière », a déclaré Al-Hadidy, ajoutant que la réforme restera celle établie par le gouvernement en février dernier.
Les nouveaux ministres, dont deux au moins appartiennent au parti au pouvoir, devront mettre en application un budget déjà établi et assumer la responsabilité politique de l’adoption du programme de réforme dont plusieurs aspects sont impopulaires.
Nombreux sont ceux qui pensent que ces réformes ne seront pas mises en vigueur de sitôt. « Je soupçonne que les réformes présumées soient lancées après les élections parlementaires pour ne pas nuire à la popularité des Frères musulmans », fait savoir Radwan.
Le nouveau ministre de la Planification et de la Coopération internationale, Amr Darrag, affirme pour sa part que les négociations avec le FMI sont en progrès, tout en niant l’existence d’un lien entre le programme de réformes et les élections l
Yéhia Hamed, ministre de l’Investissement

Yéhia Hamed
Yéhia Hamed, membre des Frères musulmans et porte-parole du Parti Liberté et justice, a été nommé nouveau ministre égyptien de l’Investissement. Hamed a été nommé conseiller du président Mohamad Morsi en 2012, ses tâches comprenaient la médiation lors des grandes grèves. Né en 1977, il est l’un des plus jeunes membres du cabinet. De 2004 à 2012, Hamed a occupé plusieurs postes de marketing et ventes chez Vodafone Egypt. Il est diplômé de la faculté des langues de l’Université de Aïn-Chams en 1999 et détient également une maîtrise d’administration publique de l’Académie arabe des sciences, de la technologie et du transport maritime. Le nouveau ministre a affirmé qu’il poursuivrait la réconciliation avec les hommes d’affaires de l’ancien régime, entamée par son prédécesseur.
Chérif Hadara, ministre du Pétrole

Chérif Hadara
Chérif Hadarra a été président de l’Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC) à partir de janvier 2013, un poste-clé dans le secteur qui a fourni un certain nombre d’anciens ministres du Pétrole. Hadara est né en 1953 et diplômé d’ingénierie mécanique de l’Université du Caire en 1976. La même année, il rejoint Sumed, une société d’oléoducs, où il a atteint le poste de directeur de la technologie d’ingénierie. Apparemment proche des Frères musulmans, il a été nommé vice-président de la Société égypto-allemande pour les pompes en 2008. Le principal défi de Hadara sera de répondre à la demande locale en carburant dans un contexte de manque de devises étrangères. Les pénuries de carburant ont provoqué la colère populaire et le chaos dans les stations d’essence ces derniers mois. Un autre défi sera la dette du secteur du pétrole, un chiffre que les responsables refusent de divulguer.
Fayad Abdel-Moneim, ministre des Finances

Fayad Abdel-Moneim
Fayad Abdel-Moneim, 56 ans, est le cinquième ministre des Finances de l’Egypte depuis le soulèvement qui a renversé l’ancien président Hosni Moubarak en janvier 2011. Il a obtenu un doctorat en finance islamique en 1999 et a été professeur d’économie à l’Université d’Al-Azhar avant d’accepter le poste de ministre des Finances dans le gouvernement du président Morsi. Il a travaillé comme conseiller économique auprès du Centre égyptien pour la jurisprudence islamique et les études économiques. Il a également été consultant financier à Dar Al-Ifta, l’organisme d’Etat délivrant des fatwas (décrets religieux). Ses titres universitaires en économie islamique, affaires et finance sont similaires à ceux de son prédécesseur Al-Morsi Al-Sayed Hegazi. Le nouveau ministre a affirmé que la priorité serait de valider le budget 2013/14 que son prédécesseur a présenté au Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement). Résorber le déficit de l’Egypte sera son principal défi.
Amr Darrag, ministre de la Planification et de la Coopération internationale

Amr Darrag
Né en 1958, Ahmad Mohamad Amr Darrag est professeur à la faculté d’ingénierie de l’Université du Caire, et membre fondateur du Parti Liberté et Justice (PLJ) des Frères musulmans. En 2011, Darrag s’est présenté aux élections parlementaires en tant que membre du PLJ à Guiza mais a perdu face à Amr ElShobaky, un analyste politique libéral. L’année dernière, Darrag a servi en tant que secrétaire général de l’assemblée constituante de l’Egypte, qui a élaboré et adopté la Constitution controversée post-révolutionnaire du pays. Darrag a également été président du comité des relations étrangères du PLJ dont il a été le secrétaire général à Guiza. En 1980, il obtient un diplôme en génie civil de l’Université du Caire, puis une spécialisation en mécanique des sols et des fondations en 1984. Ministre de la Planification et de la Coopération internationale, Darrag prendra en charge la majeure partie de la responsabilité concernant la négociation du prêt de 4,8 milliards de dollars de l’accord du FMI.
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