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L’aléatoire du marché de l’occasion

Amani Gamal El Din, Mardi, 17 octobre 2017

Souffrant, tout comme le secteur des véhicules neufs, des difficultés conjoncturelles, le marché des voitures d'occasion du Caire tente malgré tout de maintenir une certaine cadence. Reportage au souk Al-Acher.

L’aléatoire du marché de l’occasion
Le marché de voitures d'occasion a également connu une baisse des ventes à cause de la dévaluation. (Photo : Ahmad Abdel-Razeq)

Il est 7h à Zaker Hussein, l’une des rues principales du quartier cairote de Madinet Nasr (est du Caire), qui mène au marché des véhicules d’occasion, souk Al-Acher. Ici, grands et petits commerçants spécialisés dans les véhicules d’occasion et mécaniciens sont au rendez-vous deux fois par semaine, les vendredis et les dimanches. Y sont garées toutes sortes de voitures, des majestueuses 4x4 ou Mercedes aux marques coréennes en vogue, comme Hyundai et Nissan. On trouve aussi des modèles allemands, français et même des voitures des années 1970, comme Al-Nasr et autres.

Le souk est entouré d’une petite muraille. Les commerçants dépassent en nombre les potentiels acheteurs, à en juger par le flot des commerçants qui circulent à l’intérieur comme à l’extérieur de la muraille, pour arrêter leurs clients. Un client s’est dit prêt à baisser le prix de sa voiture pour pouvoir la vendre. « Ma Hyundai Elantra, modèle 2011, est en bon état et je vous la vends à 190 000 L.E., alors qu’elle vaut 40 000 L.E. de plus. Je veux la vendre pour acheter la nouvelle Cherokee. Je vous donne la possibilité de payer 80 % de la somme en dépôt et le reste sur un ou deux ans », lance un propriétaire de voiture. Talal Al-Chafie, un habitué du souq, raconte que c’est la 5e fois en un mois qu’il vient au marché pour vendre sa Hyundai Verna, modèle 2007. « Jusqu’en 2015, le souk était plus actif. Toutes mes voitures, je les ai achetées ici du premier coup. Aujourd’hui, le mouvement de vente et d’achat stagne », poursuit-il.

Surfacturation excessive

Vieux de 30 ans, le souk est enregistré auprès de la municipalité du Caire. A l’instar de l’évolution sur le marché des nouveaux véhicules, les effets de la dévaluation ont commencé même avant la libéralisation des taux de change, sous l’effet du marché noir du dollar, et sont fortement ressentis. Les prix des voitures d’occasion ont ainsi atteint des niveaux record. « Le souk est la bourse du Caire pour la vente des automobiles d’occasion. Je suis le propriétaire de deux agences de seconde main à Moqattam et à Hélouan, et c’est là que se font les transactions des ventes et des achats. En matière de volume de ventes, il y a un recul de 65 %. Le souq est le reflet de ce qui se passe sur le marché des nouveaux véhicules », explique Hussein Abou-Zeid, assis sur une chaise en plastique sous son ombrelle dans un coin du marché. Et de poursuivre : « Suite à la libéralisation des taux de change, les problèmes latents ont émergé et les prix ont connu une hausse remarquable. La surfacturation est largement pratiquée sur ce marché de voitures d’occasion ».

Mohamad Amin, propriétaire de l’agence Al-Iman pour les voitures d’occasion, pointe les commerçants du doigt. « Les commerçants sont la raison principale de la surfacturation. En 2013, on pouvait acquérir une Hyundai Elantra à 118 000 L.E., alors qu’aujourd’hui, ce modèle coûte 220 000 L.E. La différence est énorme, c’est tout à fait un autre budget », s’insurge-t-il. « Il est impossible de connaître exactement le volume total des transactions. Il est difficile de calculer les revenus annuels, parce que c’est un marché qui devient de plus en plus aléatoire suite à la hausse vertigineuse des prix. Je viens de Charqiya toutes les semaines. Parfois, je fais une bonne affaire et parfois rien du tout. Ces jours-ci, les conditions sont très mauvaises et frustrantes », explique Mohamad Amin. En fait, les murailles du souk séparent deux genres de commerçants, soit les grands commerçants et propriétaires d’agences spécialisées dans les voitures d’occasion à l’intérieur, et les commerçants informels, que l’on retrouve tout au long de la rue Zaker Hussein, menant au souq.

Alternatives au souk

Depuis une décennie, les sites Internet relatifs au marché de l’automobile d’occasion se sont propagés. « Les sites apparus sur la toile sont nombreux, tels qu’OLX et Contact. Internet étant un monde virtuel, cela se répercute sur les transactions, et l’on y est dupé plus facilement. Après des expériences non satisfaisantes sur Internet, les clients préfèrent donc examiner eux-mêmes le produit qu’ils désirent acheter », raconte Abou-Zeid. Cependant, il dit être parfois obligé de recourir aux offres de la toile, afin de diversifier ses sources et faire face à la récession. Bien qu’il se soit spécialisé dans les automobiles peu usées, il a décidé d’offrir à ses clients d’acheter leurs véhicules plus anciens. Son agence achète ensuite le modèle selon le budget du client et garantit un versement à crédit sur deux ans. L’agence joue dès lors un rôle d’intermédiaire avec les concessionnaires des grandes marques, qui ont commencé eux aussi à investir dans les véhicules d’occasion pour sortir de l’impasse économique.

Les commerçants, les distributeurs et les concessionnaires sont des cercles qui s’enchevêtrent et se répartissent les parts du gâteau. Les agences des grandes marques sont rentrées de plain-pied dans ce marché, à travers ce qu’elles appellent le Trade In. Ainsi, les marques telles que Toyota, Hyundai et BMW pratiquent la vente et l’achat de voitures d’occasion à certaines conditions : elles n’opèrent pas sur des modèles de plus de 10 ans et donnent aux acheteurs une garantie de 3 à 6 mois. Selon Abou-Zeid, lorsque les agences des grandes marques peinent à vendre ces voitures, elles s’adressent aux agences de seconde main. D’autres clients, tel Ahmad Abdel-Sattar, expert de l’industrie automobile et ancien distributeur agréé de Fiat en Egypte, estime que le marché des voitures d’occasion arrivera à saturation. « Je suis un fan de BMW. Tous les deux ans, j’échangeais mon modèle contre le nouveau et je payais approximativement 100 000 L.E., selon les règles du Trade In. Aujourd’hui, je devrais payer 800 000 L.E. Cela m’est impossible ».

Qui dit Bourse, dit spéculation, et donc soumission aux règles de la demande et de l’offre. Plus les conditions économiques deviennent difficiles, plus le marché devient incertain. On note toutefois aussi des évolutions positives. En effet, la conjoncture n’a pas empêché souk Al-Acher d’acquérir un caractère de bourse mondiale pour le marché des véhicules utilisés. « Certains pays, comme l’Allemagne, interdisent l’échange des modèles des années 1990. Nous avons en Egypte un réseau de distributeurs qui les importent. Tout trouve client en Egypte, même les voitures totalement usées, qui sont utilisées dans les zones excentrées et les régions défavorisées », explique Mohamad Amin, propriétaire de l’agence Al-Iman. Une note positive pour ce marché, en attendant le retour des jours meilleurs.

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