Les chiffonniers indépendants collectent 16 000 tonnes de déchets à Manchiyet Nasser.
Il est 11h, et comme tous les jours, les embouteillages bloquent l’unique route cabossée donnant accès à Manchiyet Nasser. A cette heure, des centaines de camions affluent au quartier ramenant plus de 6 000 tonnes de déchets du Caire. Chaque nuit, des milliers de jeunes de ce quartier arpentent les rues du Caire et passent de maison en maison pour ramasser les ordures. Manchiyet Nasser, c’est un énorme bidonville qui compte 120 000 habitants. La majorité d’entre eux travaillent dans la gestion des déchets. C’est véritablement un hub du recyclage des ordures de la capitale.
Les chiffonniers indépendants en collectent environ 16 000 tonnes, ils se partagent cinq quartiers au Grand-Caire, dont Manchiyet Nasser, Ard Al-Léwa, Tora, Ezbet Al-Nakhl et la ville du 15 Mai. Mais c’est bien le quartier de Manchiyet Nasser qui s’accapare la part du lion : 25,2 % des déchets du Grand-Caire y arrivent chaque jour.
Connu sous le nom du « quartier des zabbaline (chiffonniers) », Manchiyet Nasser comprend également 3 000 ateliers et usines de recyclage, soit 50 % des opérateurs informels de l’industrie de recyclage au Grand-Caire, selon Ezzat Naïm, président de l’association L’Esprit des jeunes.
Un monde à part
En dépit des conditions difficiles que vivent les habitants de ce quartier où les ordures s’entassent partout, où les odeurs répugnantes émanant de toutes parts, les habitants du quartier s’accrochent à leur profession. Car c’est un business des plus rentables. « Ici, on recycle tout. Tout peut être réutilisé. C’est notre gagne-pain », explique Roumanie Bedire, 41 ans, entrepreneur dans le secteur de recyclage du plastique. Selon l’étude menée par L’Esprit des jeunes, 2 500 tonnes de déchets en moyenne sont recyclées par jour dans ce quartier. « Environ 50 % des éléments recyclés dans le quartier sont du papier carton. Le plastique occupe la deuxième place puis viennent l’aluminium et le cuivre », précise Naïm.
Loin des sociétés traditionnelles de gestion des ordures, Manchiyet Nasser a son propre système. Avec le retour des camions au quartier, la première étape du recyclage commence vite. Devant les portes des maisons, les femmes et les petites filles attendent les camions pour faire le tri. « Les hommes et les aînés vont chaque jour pour collecter les déchets, alors que les femmes et les petits enfants les trient en séparant les déchets organiques des non organiques. Les déchets non organiques sont également sélectionnés selon les types de matériaux et les couleurs », explique Abdo Samir, chiffonnier et père de deux enfants. « Environ 50 % des déchets ménagers sont organiques, que l’on exploite pour l’élevage des animaux, notamment les cochons. 40 % des déchets sont recyclables alors que les 10 % restants sont non recyclables », raconte Samir.
Après l’étape du tri, le chiffonnier livre ses produits selon les types de matériaux aux commerçants. Ce sont ces derniers qui vendent en grande quantité aux ateliers et usines de recyclage. A 200 mètres de l’entrée du quartier, des salariés chargent des sacs sur un grand camion devant l’usine d’Al-Gamaeya. Celle-ci recycle deux types de plastique (polyéthylène et PDT). Chaque jour, elle produit 8 tonnes de plastique recyclé vendues après aux grandes usines des villes du 10 de Ramadan et du 6 Octobre qui les transforment en meubles, plats, tuyaux ou chaussures.
Un système réussi
Bien que les produits de celles-ci soient recyclés, les usines en demandent en grande quantité. « Les usines qui fabriquent les produits finis tendent à demander le plastique recyclé, parce que ce dernier ne coûte pas cher par rapport au plastique importé », révèle Samaan Narous, superviseur des travaux à Al-Gamaeya.
En janvier 2017, le magazine américain Forbes a considéré que le système de recyclage appliqué dans ce quartier cairote est plus efficace que celui utilisé par les entreprises conventionnelles de gestion des déchets. Cette méthode familiale permettrait de recycler quatre fois plus de déchets que les entreprises conventionnelles, selon des agences internationales citées par le magazine.
Bien que ce système soit écologique par excellence, il fournit également du travail à tous les habitants, y compris les femmes et les enfants. Un cas exceptionnel dans un pays où le taux de chômage atteint 12 % de la population. « Nous sommes des hommes d’affaires qui gèrent leur business privé. Ici, on transforme les déchets en or. Personne n’est au chômage ici », assure fièrement Talaat Kamal, dont l’usine de recyclage produit 5 tonnes d’aluminium par jour. Son travail est simple : faire fondre les cannettes de boissons gazeuses et du papier d’aluminium en utilisant des fours traditionnels.
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