7,904 milliards de dollars. C’est le montant des obligations en devise émises par l’Egypte sur le marché international pendant le premier semestre 2017. Avec cette somme, le pays se classe en 4e position en ce qui a trait au montant des obligations émises, après l’Arabie saoudite (12,139 milliards de dollars), le Koweït (10,194 milliards de dollars) et les Emirats arabes unis (10,155 milliards de dollars). Ces chiffres sont révélés par le rapport Thomson Reuters qui vient de sortir et qui analyse les activités des marchés financiers du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) au premier semestre 2017.
Ainsi, le montant des émissions de la région a connu une hausse de 53 % par rapport à 2016, pour atteindre 57,4 milliards de dollars pendant les 6 premiers mois de l’année 2017. Cette effervescence n’est pas une surprise. « Les gouvernements et leurs agences ont été parmi les émetteurs de titres financiers obligataires les plus dynamiques dans la région du MENA, leurs émissions atteignant près de 33,3 milliards de dollars de plus que celles des autres secteurs (émissions d’entreprises). Ces derniers sont, par ordre décroissant : le secteur financier avec 10,2 milliards de dollars, le secteur industriel avec 2,1 milliards de dollars, et le secteur de l’énergie avec 850 millions de dollars », indique le rapport.
En effet, plusieurs facteurs justifient l’engouement de l’Egypte et des pays du Golfe pour les marchés de l’emprunt internationaux. Citons notamment le gonflement du déficit budgétaire au cours des dernières années, en particulier dans les pays du Golfe qui souffrent de la chute des cours du pétrole depuis le deuxième semestre 2014. Dans un premier temps, au cours des dernières années, ces pays ont cherché à compenser la baisse des cours en donnant plus de poids aux secteurs non pétroliers, afin de diversifier leurs revenus. « Avant de recourir aux titres d’emprunts obligataires, les gouvernements du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) avaient procédé à une rationalisation des subventions à l’énergie et au carburant, et à une augmentation de la TVA de 5 % », note Abou-Bakr Imam, analyste financier auprès de la maison de courtage Beltone.
Tendance à la hausse des émissions en devises
Quant à l’Egypte, son dynamisme sur les marchés des obligations internationaux reflète les enjeux économiques auxquels le pays est confronté : calculé par le ministère égyptien des Finances, le déficit budgétaire de juillet 2016 à février 2017 a atteint le plafond de 226,6 milliards de L.E. De même, l’importante hausse des intérêts bancaires justifie la tendance à la hausse des émissions de titres financiers d’obligations en devises. « En recourant aux marchés internationaux des obligations, l’Egypte a pris une bonne décision, car les taux d’intérêt sur les obligations en devises sont moins élevés, et donc moins coûteux que ceux en monnaie locale après la récente décision d’augmenter les intérêts sur l’épargne de 2 % », explique Alyaa Mahmoud, analyste financière auprès de la maison de courtage Beltone. Le mois dernier, la Banque Centrale d’Egypte (BCE) avait augmenté, pour la deuxième fois en 8 mois, les intérêts sur les dépôts et les crédits de 2 %, qui ont atteint 18,75 % et 19,25 % respectivement. Toutefois, une amélioration de la conjoncture égyptienne est prévisible suite à l’obtention du crédit du FMI, considéré comme une garantie d’accès aux marchés internationaux.
« La hausse des réserves en dollars, qui ont récemment atteint 31,3 milliards, a favorisé le retour de l’Egypte sur le marché des capitaux de l’emprunt international (Equity Capital Market), dans le but de bénéficier des flux de capitaux et du bas taux d’intérêt. Nos analyses ont démontré que les intérêts sur les obligations en monnaie locale seront affectés par la décision de la hausse des intérêts à 21 % », explique Mahmoud. Par ailleurs, le journal saoudien Al-Charq Al-Awsat vient de publier une analyse selon laquelle la Bourse de Londres a récemment approuvé le programme du Caire consistant à émettre des titres obligataires internationaux à un taux d’intérêt modéré.
Dans l’article, le ministre égyptien des Finances s’est félicité des demandes d’achat qui ont dépassé les 11 milliards de dollars. « Des titres d’obligations internationaux d’une valeur de 1,25 milliard de dollars sur 30 ans ont été émis à un taux d’intérêt de 7,29 %. D’autres émissions, d’une valeur d’un milliard de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt de 6,65 %, ont été soumises et un troisième groupe a été émis, qui est d’une valeur de 750 millions de dollars sur 5 ans, à un taux d’intérêt de 5,45 % », a déclaré le ministre égyptien des Finances au journal Al-Charq Al-Awsat.
Vers une économie de marché libre
Les transactions de fusions et d’acquisitions au Moyen-Orient et le marché des actions sont deux autres composantes des marchés financiers qui dénotent de l’engagement arabe en faveur de l’économie d’échelle. Les transactions ont connu un essor et les acquisitions ont été relancées dans la région arabe, bien qu’elles aient considérablement régressé au Moyen-Orient. Selon le rapport Thomson Reuters, les transactions de fusions et d’acquisitions se sont chiffrées à 20,1 milliards de dollars au premier semestre 2017, enregistrant une légère hausse de 8 % en comparaison avec la même période en 2016. Les économies d’échelle misent sur l’avantage compétitif que les grandes entreprises ont sur les petites, le principe consistant à multiplier les capitaux et à diversifier les lignes de production sectorielle. « C’est le secteur de l’énergie qui a connu le plus grand nombre de fusions et d’acquisitions, avec 6 transactions sur un total de 10 et une valeur représentant 41 % de la totalité des accords dans la région MENA.
Les pays les plus concernés sont, par ordre décroissant, les Emirats arabes unis avec un taux de 58 %, l’Arabie saoudite avec 41 % et la Jordanie avec 1 % seulement », note le rapport. Plusieurs transactions ont fait la Une des journaux et bulletins économiques mondiaux. Tel est le cas, par exemple, d’une société saoudienne de dioxyde de titanium, qui a été acquise par le producteur américain de produits chimiques Tronox au prix de 2,2 milliards de dollars. Bien que le rapport ne donne pas d’informations sur l’Egypte dans ce dossier, il n’en demeure pas moins que de nombreuses acquisitions et fusions ont eu lieu dans le pays entre 2015 et 2017.
« Lorsque les subventions à l’énergie et au carburant ont été levées, nombreuses ont été les petites entreprises qui n’ont pas pu instaurer les conditions nécessaires à une croissance économique durable et à une bonne gouvernance. Des fusions et des acquisitions ont eu lieu. Ainsi Kellog, une multinationale américaine spécialisée dans la fabrication de produits alimentaires, a acquis 59,9 % des actions de Bisco Misr. D’autres transactions sont en cours », indique Abou-Bakr Imam.
IPO : déclin de 72 %
Pour ce qui est des introductions en Bourse Initial Public Offering (IPO), les 5 opérations les plus importantes dans la région arabe ont totalisé un montant de 1 milliard de dollars. Les Emirats arrivent en tête avec des transactions d’un montant de 388 millions de dollars, suivis par le Koweït avec 366 millions de dollars. Cela, bien que le marché soit léthargique dans la région MENA, avec un déclin de 72 % en comparaison avec le taux le plus bas enregistré en 2004. Les secteurs concernés sont les produits de consommation et les services, suivis par l’énergie et le secteur industriel. Dans le secteur de l’énergie, le géant pétrolier saoudien Aramco est dans le processus de préparation d’une IPO, qui serait la plus importante de l’histoire. Selon Abou-Bakr Imam, les négociations sont en cours avec le London Stock Exchange. Pour ce qui est de l’Egypte, le rapport n’est pas très précis, bien que plusieurs opérations d’introduction en Bourse aient été effectuées, essentiellement dans le privé. Citons Raya contact center (le seul à être mentionné dans le rapport), Domti, producteur local de fromage, Emaar Misr pour le développement immobilier, Obour Land pour l’industrie alimentaire, M&M group ainsi que d’autres. Actuellement, des entreprises publiques sont dans le processus de cotisation en Bourse, dont Enppi et la Banque du Caire. « L’introduction en Bourse est un bon choix. D’abord parce que cela permet de revigorer la Bourse, et aussi parce que l’investissement en Bourse est le signe d’une économie confiante », commente Mahmoud. Etre coté en bourse garantit en outre une certaine transparence, étant donné que des rapports financiers doivent être publiés, que le conseil d’administration est tenu d’informer les actionnaires et que des opérations d’audit sont effectuées par l’Agence centrale de l’audit. Autant les analyses de Thomson Reuters que les récents événements conjoncturels nous donnent des indices sur la voie que l’économie égyptienne entend emprunter : celle d’un marché libre, basé sur un secteur privé compétitif et permettant que l’étau se desserre peu à peu du gouvernement. « C’est le secteur privé qui doit guider », conclut Imam. Même si certains économistes restent réticents en ce qui concerne les opérations d’introduction en Bourse, clamant que celles-ci mèneront tout droit vers la privatisation et des impacts sociaux néfastes, il n’est plus possible de mener une danse en solo et de s’attacher à des entreprises incapables d’accroître les investissements et les capitaux nécessaires à la croissance économique visée.
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