Après une longue année de délibérations et de polémiques sous la coupole du parlement, la loi sur l’investissement n°72 de l’année 2017 a finalement vu le jour. Le président de la République, Abdel-Fattah Al-Sissi, l’a ratifiée, jeudi 2 juin, au grand bonheur des hauts responsables, des hommes d’affaires et des investisseurs qui étaient dans l’expectative depuis un certain temps. «
Nous avons mis sur pied le cadre législatif et juridique pour la gestion des investissements et leur garantir un accès facile dans le marché égyptien. Ce fut une tâche difficile à cause des conflits ayant opposé les différentes entités concernées », dit avec soulagement Passant Fahmy, députée et économiste.
La loi sur l’investissement est venue couronner une série d’actions audacieuses entreprises par le gouvernement depuis novembre 2016, telles que le flottement de la livre égyptienne et la levée graduelle des subventions afin de sortir de l’impasse du marasme économique qui a frappé le pays au lendemain de 2011. Selon Sahar Nasr, ministre de l’Investissement, « la version actuelle de la loi est effectivement la meilleure vu les nombreux stimulis et facilités sans précédent qu’elle accorde à l’investisseur. L’Egypte offre un énorme potentiel pour booster les investissements, en raison de ses avantages compétitifs. La loi prend également en considération les dimensions sociales, elle renforce la transparence et la bonne gouvernance » a-t-elle commenté avec optimisme. La loi est un pas en avant pour améliorer le climat de l’investissement en Egypte, tel que l’a reconnu Sahar Nasr, qui a indiqué à l’Hebdo que « le statut exécutif, censé organiser toutes les procédures, sera finalisé dans un délai de 90 jours au plus après les concertations avec toutes les parties et ministères concernés, comme les ministères du Tourisme, de l’Agriculture, de la Santé, du Logement, du Pétrole, de la Justice et des Finances entre autres ».
Les statistiques de la Banque Centrale d’Egypte (BCE), publiées et réactualisées en mars 2017, avaient révélé une faible hausse des chiffres des Investissements Etrangers Directs (IED) au cours des deux dernières années. Les IED ont atteint 6,9 milliards de dollars en 2015/2016 contre 6,3 milliards de dollars en 2014/2015. Plus encore, le rapport Doing Business 2017 rapporte une amélioration dans le classement de l’Egypte qui en est à la 122e position entre 190 pays. Malgré cette amélioration, le rapport note que l’Egypte tombe dans la catégorie des pays qui souffrent de l’inefficacité du cadre législatif nécessaire à l’encouragement de l’investissement.
Primes et garanties
La loi traite sur un pied d’égalité les investisseurs étrangers et égyptiens. Ils détiennent les mêmes droits et sont égaux devant la loi qui régularise les activités et les responsabilités des appareils relevant du ministère de l’Investissement. Elle organise les modes d’investissement dans les différentes zones, industrielles, technologiques, et les zones franches et de libre-échange (voir encadré).
Le trait distinctif de cette loi est les nombreuses primes et garanties qui sont assurées sous forme d’exonérations des frais d’enregistrement, des contrats d’établissement des entreprises. Ajoutons à cela les facilités de crédits pour 5 ans. D’autres avantages douaniers et fiscaux sont prévus sous forme d’exonérations à 50 % des recettes fiscales des projets de la catégorie A (regroupant les régions les plus en besoin de développement conformément à la carte de l’investissement), et à 30 % pour la catégorie B (qui regroupe une palette diversifiée des Petites et Moyennes Entreprises, PME, et des grands projets, ceux de l’énergie renouvelable ou autres). « Ces primes s’adressent directement à l’investisseur au niveau des coûts, de l’activité et des locations basées sur des études effectuées par le ministère du Commerce. Que ce dernier ait préparé une carte détaillée sur les besoins en investissements dans ces régions est certes louable », renchérit Riham Al-Dessouqi, analyste auprès de la maison de courtage Arqam Capital.
Bien que ces primes représentent une bouée de sauvetage pour les investisseurs, elles sont inutiles avec le manque d’une carte d’investissements précise qui en est encore à la phase de préparation au sein du ministère de l’Investissement. « En général, les investisseurs évaluent les risques avant de se lancer dans les projets énormes. Les régions A sont en manque d’infrastructures et aucune statistique ou étude de situation n’est disponible aux investisseurs potentiels », a déclaré un économiste ayant requis l’anonymat. Pour sa part, Mahmoud Gamal El Din, homme d’affaires, explique à l’Hebdo que « les primes sont une très bonne idée. Mais il faut que l’Etat effectue plus d’études sur ces régions pour pouvoir les transformer en de vrais hubs industriels attractifs. La loi de 2015 comportait un très important article sur l’un des modèles réussis de partenariat public privé en infrastructure appelé Cost Recovery ou modèle de recouvrement des coûts, où le gouvernement et le secteur privé s’entendent sur les contributions de chacun d’eux dans les projets d’infrastructures pour réformer les mécanismes de livraison des services publics. Il faut également former une main-d’oeuvre compétitive et avoir de clairs critères d’évaluation. J’espère que le plan gouvernemental en tiendra compte ».
A part l’absence d’une carte précise, le fait d’accorder ces primes n’est pas souhaitable à l’heure actuelle par d’autres experts. « Ces primes avaient été annulées dans la loi de 2015 à cause de la corruption qui en découlait vu la confusion et l’interférence dans la responsabilité des différentes entités gouvernementales. Ils argumentent également leur refus par le fait que la trésorerie de l’Etat qui souffre d’une dette et d’un déficit a grand besoin de tous ces frais, douanes et taxes exonérés », a noté Dr Ziyad Bahaaeddine, dans sa colonne publiée dans le journal Al-Shorouk.
Pour faciliter les procédures administratives aux investisseurs, la loi va automatiser les services du guichet unique. « Ce dernier sera automatisé et décentralisé dans tous les gouvernorats avec des représentants de toutes les instances pour finaliser les papiers. Cela nous apporte un signe d’optimisme », selon Riham Al-Dessouqi. Une autre mesure cruciale qui caractérise la loi est l’introduction de bureaux d’accréditation privés qui délivrent les licences après s’être assurés de l’égibilité financière et technique du candidat dans un délai maximum de 60 jours.
Pour sa part, Rawda Saïd, chercheuse à l’Université américaine du Caire et spécialiste en investissement, assure que la difficulté n’émane pas du tout des stimuli. Selon elle, ce sont les problèmes d’allocation des terrains qui ouvraient grand la porte de la corruption et des crises. Sur ce point, le texte de la loi a été très clair et a centralisé le dossier entre les mains du ministère de l’Investissement en coordination avec l’organisme de l’investissement GAFI (General Authority for Investment and Free Zones). « Cette centralisation est la meilleure manière de gérer les violations et la corruption qui intervenaient au niveau de ce dossier », déclare Fakhri Al-Fiqi, professeur d’économie à la faculté d’économie et de sciences politiques, de l'Université du Caire, et ex-conseiller auprès du FMI. La loi a garanti les droits de l’Etat et de l’investisseur à la fois dès l’obtention du permis, poursuit Al-Fiqi. « A titre d’exemple, la loi alloue des terrains et réduit à 50 % des prix des services. Ajoutons à cela que les 2 % destinés aux douanes, à l’importation des équipements et à la TVA sont remboursables après l’allocation des terrains », ajoute-t-il.
Insuffisances
Or, certains investisseurs estiment néanmoins que le chemin est encore long. La loi a certes garanti une entrée facile des investissements et doit garantir également une sortie facile, comme l’estime Dr Fakhri Al-Fiqi. « Il faut, en parallèle, réformer tout le cadre législatif comme la loi du travail, du marché monétaire, des entreprises, de la faillite, de l’arbitrage et autres », précise-t-il. Selon Gamal El Din, la transparence est ce qui compte pour l’investisseur. Les procédures du statut exécutif doivent être claires et les politiques publiques doivent supporter tout le processus et être évidentes. Telles que celle de l’approvisionnement, les prix des services publics, les politiques fiscales et monétaires, la vision de l’Etat, ainsi que les méthodes d’application des projets selon des offres d’adjudication ou autres, etc.
Le succès de la loi sera conditionné par l’harmonie entre les différentes institutions de l’Etat concernées par son application, pour reprendre les propos de Riham Al-Dessouqi. En attendant le statut exécutif, les étapes ultérieures seront éclaircies.
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