(Photo:Hachem Aboul-Amayem.)
Al-ahram hebdo : Quelles sont les possibilités pour l’Egypte d’atteindre l’autosuffisance en gaz naturel après les récentes découvertes ?
Magdi Sobhi : L’Egypte pourrait atteindre l’autosuffisance fin 2017, même si la production du gisement Zohr ne commencera vraiment que vers la fin 2017. Vers la fin de 2018, il y aurait peut-être des possibilités d’exportation si le gouvernement y pense. Les explorations se sont intensifiées après la décision du gouvernement d’élever le prix d’achat du gaz aux sociétés d’exploration étrangères opérantes en Egypte à 5 dollars par million d’unités thermiques britanniques, ce qui a encouragé des entreprises comme Eni et BP à accélérer les travaux d’exploration. C’est un prix qui les arrange bien vu qu’il est supérieur à celui de l’exportation. Or, l’Egypte en tire également profit vu que les cargaisons de gaz naturel liquéfié (LNG) que l’Egypte importe sont plus chers et leur prix atteint 7 dollars par million d’unités thermiques britanniques. L’Egypte peut même avoir des ambitions d’exporter son LNG surtout qu’il y a une unité de liquéfaction à Damiette qui ne travaillait pas à pleine capacité à cause de la pénurie de gaz ces dernières années. Le gouvernement importait même le gaz et le liquéfiait pour honorer ses contrats d’exportation. Le gouvernement envisage même la construction d’une nouvelle unité de liquéfaction.
— Quelle serait, selon vous, l’utilisation optimum du gaz égyptien ? Faut-il le consommer localement ou l’exporter ?
— Je suis plus en faveur de la consommation locale surtout que l’Egypte a connu une expérience non positive qui était de passer de l’état d’exportateur à celui d’importateur de gaz naturel. Il serait préférable d’atteindre l’autosuffisance et d’utiliser le gaz davantage dans des domaines comme les bonbonnes de gaz à butane qui accaparent la part du lion de la facture des subventions des combustibles. L’acheminement du gaz aux ménages va considérablement réduire la facture des subventions surtout qu’il est déjà vendu aux ménages presque aux prix internationaux. La vitesse d’acheminement du gaz aux ménages a été freinée ces dernières années en raison de la pénurie. On peut aussi considérer le remplacement de l’essence par le gaz pour les automobiles. L’essence est toujours subventionnée alors que le gaz ne le sera pas. En outre, on ne peut pas augmenter les quantités extraites au-delà d’un certain niveau, sinon le gaz va s’infiltrer dans le sol. En cas de nouvelles grandes découvertes, l’exportation sera peut-être une option et l’on pourra adopter l’ancien plan qui consiste à réserver un tiers de la production à la consommation, un tiers aux générations futures et un tiers à l’exportation.
— Si l’Egypte prend la décision d’exporter, quelles sont les destinations potentielles ?
— Economiquement, mais aussi politiquement, l’Europe serait le meilleur choix. 75 % du gaz utilisé en Europe provient de la Russie et les pays européens souhaitent diversifier leurs sources d’énergie. Ces pays importent d’Algérie et de Libye mais ont besoin de quantités supplémentaires. L’Egypte peut exporter son gaz vers l’Europe. L’Europe est relativement proche de l’Egypte, alors que pour acheminer le gaz de la Russie à l’Europe, il faut passer par la Turquie. Il serait facile et économique d’étendre des pipelines entre l’Egypte et Chypre, la Grèce ou l’Italie par exemple et acheminer le gaz vers le reste de l’Europe. Il ne faut pas aussi oublier que l’Europe est le premier partenaire commercial de l’Egypte. L’exportation vers l’Israël est politiquement embarrassante et en plus la production de gaz en Israël couvre actuellement ses besoins. En outre, l’Egypte peut simplement liquéfier le gaz qu’elle importe et l’exporter. On peut aussi exporter vers la Jordanie, vu que le pipeline existe déjà.
— Quelles sont les perspectives en ce qui a trait à la demande et à la consommation mondiales, et quelles sont les opportunités d’exportation pour l’Egypte dans ce contexte ?
— Les estimations affirment que la consommation de gaz naturel va augmenter sur le long terme jusqu’en 2035, alors que celle du pétrole et du charbon pourrait diminuer. La demande augmente considérablement en Europe et surtout en Asie au point que les Etats-Unis envisagent l’option de liquéfier leur gaz de schiste et de l’exporter vers l’Europe. Il y a une demande continue qui s’accélère sur le gaz, ce qui offre des opportunités d’exportation à l’Egypte si elle prend la décision d’exporter, mais il faut bien étudier la question d’abord.
— Comment l’Egypte est-elle passée de l’état d’exportateur à celui d’importateur de gaz ?
— D’une part, les réserves de l’Egypte en gaz ont été exagérées et l’on n’a pas fait la différence entre les réserves prouvées et non prouvées. Maintenant, les recherches sismiques sont devenues plus précises et sont basées sur des technologies plus développées qu’il y a dix ans. On n’a plus besoin des travaux de forage pour connaître précisément les quantités de gaz qu’on pourrait extraire d’un gisement. Les quantités de Zohr par exemple sont déjà connues. Autre raison de la transformation de l’Egypte en importateur est la hausse de la consommation surtout pour la production de l’électricité.
— Les récentes découvertes de gaz en Méditerranée changeront-elles les enjeux géopolitiques dans la région ?
— Les enjeux géopolitiques centraux se jouent en Turquie qui importe une partie importante de son gaz de Russie. Celle-ci espère pouvoir acheminer plus de gaz vers la Turquie avant de l’acheminer vers l’Europe pour éviter l’Ukraine. Cela n’a pas encore été réalisé. Jusqu’à présent des tuyaux relient la Turquie à la Russie pour satisfaire les besoins turcs. La Turquie, notamment à cause de sa position géographique qui en fait un point de liaison entre producteurs et consommateurs, est cruciale dans les enjeux énergétiques surtout en ce qui concerne le gaz. Maintenant la ligne de gaz arabe qui lie l’Egypte à la Jordanie et qui devait passer par la Syrie puis l’Europe n’est plus une possibilité à cause du conflit en Syrie. Donc, il n’y aura pas de grands changements. Les relations entre l’Egypte et la Turquie sont perturbées, et les deux pays ne vont pas coopérer. Même si le conflit politique est réglé, la situation en Syrie ne permettra pas que des pipelines soient construits pour lier les deux pays .
Lien court: