Al-ahram hebdo : Les indicateurs de la faim sont de plus en plus alarmants. Pouvez-vous expliquer cette situation ?
Gianpietro Bordignon : Les taux de malnutrition sont très élevés. Bien que la Haute-Egypte soit la plus touchée, les zones urbaines ont également commencé à être concernées. 51 % de la population de la Haute-Egypte sont incapables de satisfaire leurs besoins alimentaires, selon le rapport annuel du Centre national de la mobilisation et des statistiques. 30 % des familles de la Haute-Egypte touchent moins de 170 L.E. par mois, 2 000 L.E. par an, soit le seuil minime de la pauvreté. Dans les zones urbaines, ce taux est de 8 %. Le nombre des familles, dont le revenu varie entre 3 000 et 4 000, représente 42 % dans la Haute-Egypte, celles entre 4 000 et 6 000, 8,6 %, et plus de 6 mille, 3,2 %. Ce qui aggrave la situation, c’est que le taux de l’ignorance dépasse 30 % de la population.
— Le prix des produits alimentaires a connu une hausse importante depuis la révolution du 25 janvier, surtout ces trois derniers mois. Comment justifiez-vous une telle hausse ?
— L’Egypte a été confrontée à des crises successives entre 2006 et 2010. La grippe aviaire en 2006, la crise mondiale en 2008, et ensuite la hausse des prix du pétrole en 2010. Dès lors, les prix ont adopté une courbe ascendante. Ils n’ont commencé à se stabiliser que vers la mi-2010. Or, la situation s’est aggravée à nouveau, début 2011, avec la révolution du 25 janvier. L’instabilité politique et la crise économique frappant le pays ont poussé le gouvernement à réagir. Il a décidé de mettre en oeuvre certaines mesures d’austérité pour comprimer les dépenses et réduire le déficit budgétaire. Conséquence : les prix, en particulier ceux de la nourriture, ont explosé.
— Comment le taux d’inflation élevé a-t-il touché les Egyptiens ?
— Les indices de malnutrition sont en hausse en Egypte : la proportion des retards de croissance chez les enfants de moins de 5 ans a augmenté de 6 % au cours des cinq dernières années et touche désormais l’équivalent d’un enfant sur trois. Un indicateur sérieux qui n’appelle pas à l’optimisme. Les classes les plus pauvres sont les plus vulnérables. Le quart de la population égyptienne est pauvre. De plus, un Egyptien sur cinq se situe à peine au-dessus du seuil de pauvreté. Avec de telles augmentations de prix, ces derniers risquent de devenir encore plus pauvres. Ces deux catégories, qui consacrent la moitié voire plus de leur revenu à l’alimentation, sont les plus menacées. Beaucoup de produits ont vu leurs prix doubler, alors que les salaires n’ont pas augmenté. Beaucoup d’Egyptiens sont de plus en plus incapables d’assumer leurs besoins alimentaires.
— Le gouvernement égyptien a décidé, début avril, d’augmenter le prix des bonbonnes de butane, une première étape dans le programme de libéralisation des subventions accordées à l’énergie. Qu’en pensez-vous, surtout avec ces indicateurs ?
— La libéralisation des prix de l’énergie devient indispensable, vu les pressions fiscales. Or, quelque 60 millions de citoyens profitent de cette subvention qui existe depuis 60 ans. Le gouvernement égyptien doit mieux cibler les subventions, plutôt que les annuler de façon radicale. Cette libéralisation doit être accompagnée de mesures sociales compensant la hausse des prix, comme une hausse parallèle des salaires et des indemnités en espèces. Il faut a priori soutenir les 20 % de la population, qui restent vulnérables afin de les empêcher de sombrer dans la pauvreté. Les prix de certains produits alimentaires enregistrent une hausse de plus de 9 % par an, alors que les salaires des employés n’ont pas progressé. L’absence d’une équation équitable rend la tâche très difficile. Le citoyen égyptien n’est pas prêt à renoncer aux avantages qu’il reçoit de l’Etat.
— Avez-vous discuté de ces idées avec le gouvernement égyptien ?
— Nous lui avons proposé des conseils et des suggestions. Mais, nous ne pouvons rien lui imposer. La situation diffère complètement quand il s’agit d’un exercice de décisions.
— L’Egypte est un grand importateur de blé … Réaliser une autosuffisance en blé est-il possible ?
— Les prix mondiaux des céréales, dont le blé, ne sont pas prévus à la hausse au cours de la prochaine période, car l’offre est variable et multiple. Le problème de l’Egypte est plutôt interne et lié à la pénurie de dollars. La chute de réserves des devises étrangères (de plus de 20 milliards de dollars en deux ans) aggrave la situation.
Ecole contre nourriture
Le Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies en Egypte (PAM) a comme priorité depuis 1971 l’aide aux enfants atteints de malnutrition. Pour encourager les familles à scolariser leurs enfants dès la maternelle dans les zones les plus démunies, le PAM a lancé un programme école contre nourriture.
1 700 enfants de maternelle dans 9 gouvernorats reçoivent des repas quotidiens répondant au tiers de leurs besoins alimentaires journaliers. Le PAM vise à terme un total de 8 000 enfants. En plus, les familles qui acceptent d’inscrire leurs enfants au cycle primaire reçoivent 10 kg de riz par mois, soit environ 20 % de leurs besoins mensuels.
Le PAM coopère avec la Banque mondiale et l’Agence canadienne de développement international avec un budget de 10 millions de L.E. par an. Le secteur privé, par le biais d’entreprises comme la banque du Caire, Vodafone, PepsiCo, CEMEX ou ASEC Cement, participe à ce budget à hauteur de 1,5 million de L.E. Un taux que le PAM souhaiterait voir doubler.
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