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Gianpietro Bordignon: « L’absence d’une équation équitable rend la tâche du gouvernement très difficile »

Névine Kamel, Lundi, 22 avril 2013

Dans un entretien avec Al-Ahram Hebdo, Gianpietro Bordignon, repré­sentant permanent du Programme ali­mentaire mondial des Nations-Unies en Egypte, met l’ac­cent sur l’absence de proportionnalité entre la libéralisation des subventions et les salaires.

Gianpietro Bordignon

Al-ahram hebdo : Les indi­cateurs de la faim sont de plus en plus alarmants. Pouvez-vous expliquer cette situation ?

Gianpietro Bordignon : Les taux de malnutrition sont très élevés. Bien que la Haute-Egypte soit la plus tou­chée, les zones urbaines ont égale­ment commencé à être concernées. 51 % de la population de la Haute-Egypte sont incapables de satisfaire leurs besoins alimentaires, selon le rapport annuel du Centre national de la mobilisation et des statistiques. 30 % des familles de la Haute-Egypte touchent moins de 170 L.E. par mois, 2 000 L.E. par an, soit le seuil minime de la pauvreté. Dans les zones urbaines, ce taux est de 8 %. Le nombre des familles, dont le revenu varie entre 3 000 et 4 000, représente 42 % dans la Haute-Egypte, celles entre 4 000 et 6 000, 8,6 %, et plus de 6 mille, 3,2 %. Ce qui aggrave la situation, c’est que le taux de l’igno­rance dépasse 30 % de la population.

— Le prix des produits alimen­taires a connu une hausse impor­tante depuis la révolution du 25 janvier, surtout ces trois derniers mois. Comment justifiez-vous une telle hausse ?

— L’Egypte a été confrontée à des crises successives entre 2006 et 2010. La grippe aviaire en 2006, la crise mondiale en 2008, et ensuite la hausse des prix du pétrole en 2010. Dès lors, les prix ont adopté une courbe ascendante. Ils n’ont com­mencé à se stabiliser que vers la mi-2010. Or, la situation s’est aggra­vée à nouveau, début 2011, avec la révolution du 25 janvier. L’instabilité politique et la crise économique frap­pant le pays ont poussé le gouverne­ment à réagir. Il a décidé de mettre en oeuvre certaines mesures d’austérité pour comprimer les dépenses et réduire le déficit budgétaire. Conséquence : les prix, en particulier ceux de la nourriture, ont explosé.

labscence
— Comment le taux d’inflation élevé a-t-il touché les Egyptiens ?

— Les indices de malnutrition sont en hausse en Egypte : la proportion des retards de croissance chez les enfants de moins de 5 ans a augmenté de 6 % au cours des cinq dernières années et touche désormais l’équiva­lent d’un enfant sur trois. Un indica­teur sérieux qui n’appelle pas à l’opti­misme. Les classes les plus pauvres sont les plus vulnérables. Le quart de la population égyptienne est pauvre. De plus, un Egyptien sur cinq se situe à peine au-dessus du seuil de pauvre­té. Avec de telles augmentations de prix, ces derniers risquent de devenir encore plus pauvres. Ces deux caté­gories, qui consacrent la moitié voire plus de leur revenu à l’alimentation, sont les plus menacées. Beaucoup de produits ont vu leurs prix doubler, alors que les salaires n’ont pas aug­menté. Beaucoup d’Egyptiens sont de plus en plus incapables d’assumer leurs besoins alimentaires.

— Le gouvernement égyptien a décidé, début avril, d’augmenter le prix des bonbonnes de butane, une première étape dans le programme de libéralisation des subventions accordées à l’énergie. Qu’en pen­sez-vous, surtout avec ces indica­teurs ?

— La libéralisation des prix de l’énergie devient indispensable, vu les pressions fiscales. Or, quelque 60 millions de citoyens profitent de cette subvention qui existe depuis 60 ans. Le gouvernement égyptien doit mieux cibler les subventions, plutôt que les annuler de façon radicale. Cette libéralisation doit être accom­pagnée de mesures sociales compen­sant la hausse des prix, comme une hausse parallèle des salaires et des indemnités en espèces. Il faut a priori soutenir les 20 % de la population, qui restent vulnérables afin de les empêcher de sombrer dans la pau­vreté. Les prix de certains produits alimentaires enregistrent une hausse de plus de 9 % par an, alors que les salaires des employés n’ont pas pro­gressé. L’absence d’une équation équitable rend la tâche très difficile. Le citoyen égyptien n’est pas prêt à renoncer aux avantages qu’il reçoit de l’Etat.

— Avez-vous discuté de ces idées avec le gouvernement égyptien ?

— Nous lui avons proposé des conseils et des suggestions. Mais, nous ne pouvons rien lui imposer. La situation diffère complètement quand il s’agit d’un exercice de décisions.

— L’Egypte est un grand impor­tateur de blé … Réaliser une auto­suffisance en blé est-il possible ?

— Les prix mondiaux des céréales, dont le blé, ne sont pas prévus à la hausse au cours de la prochaine période, car l’offre est variable et multiple. Le problème de l’Egypte est plutôt interne et lié à la pénurie de dollars. La chute de réserves des devises étrangères (de plus de 20 milliards de dollars en deux ans) aggrave la situation.

Ecole contre nourriture

Le Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies en Egypte (PAM) a comme priorité depuis 1971 l’aide aux enfants atteints de malnutrition. Pour encou­rager les familles à scolariser leurs enfants dès la maternelle dans les zones les plus démunies, le PAM a lancé un programme école contre nourriture.

1 700 enfants de maternelle dans 9 gouvernorats reçoivent des repas quotidiens répondant au tiers de leurs besoins alimentaires journaliers. Le PAM vise à terme un total de 8 000 enfants. En plus, les familles qui acceptent d’inscrire leurs enfants au cycle primaire reçoivent 10 kg de riz par mois, soit environ 20 % de leurs besoins mensuels.

Le PAM coopère avec la Banque mondiale et l’Agence canadienne de développement international avec un budget de 10 millions de L.E. par an. Le secteur privé, par le biais d’entreprises comme la banque du Caire, Vodafone, PepsiCo, CEMEX ou ASEC Cement, par­ticipe à ce budget à hauteur de 1,5 million de L.E. Un taux que le PAM souhaiterait voir doubler.

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