Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, durant l'ouverture de la conférence « Tunisia 2020 ».
(Photo:AP)
Deux semaines après la tenue de la conférence internationale des investisseurs « Tunisia 2020 », les responsables et économistes tunisiens se penchent désormais sur les moyens concrets de transformer le mot « réussite » qu’affichait à la une la presse locale au lendemain de la conférence, en réalité palpable susceptible de sortir l’économie de sa crise actuelle. Pour ce, ils comptent sur les contrats conclus lors de cette conférence tenue les 29 et 30 octobre, et qui a rassemblé environ 40 délégations officielles et 1 500 hommes d’affaires de près de 70 pays. Cependant, face aux promesses d’aide et de soutien financier qui ont afflué, tout le monde reste prudent. La Tunisie a eu droit à de telles promesses auparavant, lors de la conférence économique organisée en 2014 par le gouvernement de l’ancien premier ministre, Mehdi Jomaa. Ce qui a laissé chez les responsables un sentiment de déception face à ce soutien non apporté à leur « démocratie naissante ».
D’ailleurs, le premier ministre, Youssef Chahed, et son ministre de l’Investissement, Fadhel Abdelkéfi, ont pris soin, lors de la clôture du rendez-vous, de distinguer entre les accords qui ont été signés et les promesses d’aide. Ils ont avancé le montant de 34 milliards de dinars, soit environ 14 milliards de dollars, se décomposant en 15 milliards de dinars (6,5 milliards de dollars) en accords fermes, et 19 milliards (8 milliards d’euros) en promesses d’aide. Sur les 142 projets mis sur la table de la conférence — pour un montant évalué à 50 milliards d’euros — un nombre significatif vise le développement de villes délaissées depuis l’ère de la colonisation française, dont Sidi Bouzid, berceau des révoltes arabes. Cela s’inscrit dans le cadre d’un plan ambitieux de développement qui s’étale jusqu’en 2020. Mais il n’existe pas encore d’informations précises permettant de connaître le sort de tous ces projets.
Au niveau du secteur privé, la présidente de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), Wided Bouchamaoui, a affirmé à l’Hebdo qu’il était encore trop tôt pour savoir le nombre et l’importance des accords signés entre les hommes d’affaires tunisiens et leurs homologues étrangers au cours de la conférence. Mais elle ajoute sur un ton rassuré : « La Tunisie deviendra une destination privilégiée des investisseurs. De nombreux accords ont été conclus sur des projets précis ». Tout en relativisant l’importance du marché tunisien, vu la population du pays qui ne dépasse pas les 11 millions d’habitants, elle est sûre que la Tunisie a la possibilité de devenir un « pont entre les marchés africains, européens et arabes ».
De son côté, le député et homme d’affaires Mohamed Frikha a affirmé à l’Hebdo que sa compagnie avait signé, au cours de la conférence, un contrat avec Airbus pour la fabrication de composantes aéronautiques et satellitaires à hauteur de 120 millions de dinars (près de 50 millions de dollars). Pour lui, ce qui importe le plus ce sont ces contrats décrochés par les hommes d’affaires dans la mesure où ils ouvrent des opportunités d’investissement et d’emplois pour les jeunes.
Mettre de côté les dissensions internes
Dans son allocution à la séance inaugurale de la conférence, Hussein Al-Abbassi, secrétaire général de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), a passé sous silence la crise qui oppose son Union au gouvernement autour des mesures d’austérité et des salaires. Abbassi a adopté un ton conciliant envers les hommes d’affaires et le gouvernement, et a appelé à investir en Tunisie, alors que la veille de la conférence, l’UGTT avait lancé un appel à la grève générale. Il en a été de même pour Mongi Rahoui, député du Front populaire (gauche), qui a déclaré à l’Hebdo que la tendance générale est d’encourager l’investissement « indépendamment des orientations idéologiques ». « Que les investissements arrivent et que les promesses soient traduites en accords et contrats. Ensuite, c’est aux législations et aux interactions sociales et politiques de garantir les droits des travailleurs, de la classe moyenne et des défavorisés », dit-il.
Durant les années qui ont suivi la révolution, le taux de développement annuel en Tunisie a chuté de 5 % à une moyenne de 1,5 %. Le taux de chômage a, lui, grimpé de 13 à 15 %. Dans son discours devant le parlement le 27 octobre dernier, le premier ministre Youssef Chahed a mis en garde contre les conséquences de cette crise économique et a prôné des mesures qu’il a qualifiées de « dures » et « pénibles ».
5 milliards de dollars depuis 2011
De gauche à droite l'émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, le président tunisien et le premier ministre français, Manuel Valls, lors de la session inaugurale de la conférence.
(photo: AP)
Dans des déclarations à l’Hebdo, l’économiste tunisien de renommée, Fethi Nouri, a affirmé qu’au lendemain de la révolution de 2011, son pays avait reçu des investissements estimés à 5 milliards de dollars. Nouri, également membre du conseil d’administration de la Banque Centrale tunisienne, a ajouté que la participation des étrangers dans la Bourse de Tunis représentait près de 20 % des investissements. Mais l’assistance économique offerte à la Tunisie reste faible par rapport aux années Ben Ali. Ceci est dû, explique-t-il, à la phase de transition politique et à la « reconstruction des institutions de l’Etat qui a duré trop longtemps, sans oublier l’impact des attentats terroristes survenus en 2015 ». Cela dit, l’économiste nie les rumeurs de départ de sociétés étrangères et tient à rappeler que le pays en comptait toujours quelque 3 000 sur son sol. « Celles qui sont parties sont de l’ordre de 200, pour la majorité de petites entreprises », assure-t-il. Le vrai problème pour Nouri, c’est la capacité du gouvernement tunisien à gérer les investissements et les aides économiques en route. « Nous avons préparé le terrain en élaborant une série de lois pour améliorer l’environnement de l’investissement et développer les réseaux routiers et l’infrastructure. Mais il faut attendre pour voir si la bureaucratie saura s’adapter et exploiter ce flux et l’injecter dans la machine économique », ajoute cet économiste, également conseiller auprès du chef du gouvernement. Et de conclure : « La conférence a été un succès, elle a bien réussi à promouvoir la Tunisie comme un site d’investissement compétitif, mais le plus important reste à faire. Il s’agit de traduire tout cela en travail sur le terrain ». Aux premières heures de la conférence, le ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui, annonçait déjà la mise en place d’un mécanisme de suivi de la conférence, qui se réunirait à titre semestriel .
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