
Les bureaux de change s'abstiennent à vendre le dollar pour accumuler des gains.
(Photo:REUTERS)
Le dollar n’est plus disponible au taux officiel dans les bureaux de change. Ceux qui veulent s’en procurer doivent débourser au moins 8,15 L.E. par dollar, ou marchander avec les bureaux de change pour obtenir le montant désiré. Telle est la conclusion d’une tournée effectuée par l’Hebdo la semaine dernière dans une dizaine de bureaux de change au Caire, dans les quartiers de Zamalek, Mohandessine et Agouza.
Le prix du dollar a bondi d’environ 20 piastres la semaine dernière. Explication : le ministre de l’Investissement a signalé lors de la conférence internationale Euromoney, tenue en Egypte les 7 et 8 septembre dernier, que « la dépréciation de la L.E. n’était plus un choix ». Le gouvernement, avec la faiblesse des ressources de ses revenus en dollars, doit faire le choix entre une L.E. faible ou des réserves en devises étrangères basses. L’annonce faisait la une de presque tous les journaux le lendemain. Le ministre de l’Investissement a même dû se fendre d’un communiqué assurant que la Banque Centrale d’Egypte (BCE) est totalement indépendante des décisions prises sur le marché monétaire. « Mais cette déclaration pourrait être une raison du remplacement du ministre dans le dernier remaniement ministériel », estime un responsable au ministère de l’Investissement.
Le lendemain de cette déclaration, le ministère était également sens dessus dessous. Salwa Al-Antari, professeur d’économie et experte bancaire, a indiqué sans ambages que « c’est une déclaration irresponsable qui a bouleversé le marché des changes ». Elle explique, dans un article publié dans le quotidien Al-Ahram, que cette déclaration a provoqué une pénurie de dollars sur le marché. « Les entreprises et les hommes d’affaires se sont précipités pour s’emparer de grandes quantités de dollars afin d’éviter la hausse prévue et rembourser leurs engagements à des taux inférieurs. D’autres, les spéculateurs, ont profité de la hausse soudaine pour vendre et accumuler les profits », ajoute-t-elle.
La tournée de l’Hebdo a confirmé ses propos. « Je peux satisfaire une demande supérieure à 5 000 dollars. Mais pour un peu plus cher : 8,20 L.E. le dollar. Car sur le marché on ne trouve plus de dollars », dit Ahmad Gamal, employé d’un bureau de change à Guiza. Il confie à l’Hebdo : « Aujourd’hui nous avons vendu près de 50 000 dollars. Puis on nous a donné ordre de suspendre les importantes transactions. Maintenant, on ne peut vendre que 500 dollars maximum par personne ». Un propriétaire de bureau de change à Agouza le dit franchement : « Nous n’allons pas sacrifier nos réserves en dollars. Nous aussi on cherche à réaliser des profits. Le dollar devrait bientôt enregistrer une soudaine nouvelle hausse ». Même si cela est difficile à prévoir, car personne ne connaît les plans de la BCE.
Parallèlement, le gouverneur de la BCE a confirmé, dimanche dernier, lors de l’inauguration de la 39e réunion des conseils des Banques Centrales et des institutions monétaires arabes, que la BCE avait la volonté de mettre fin au marché noir et aux spéculateurs. « Attendez-vous à des mesures sévères », a-t-il dit. Selon Alia Mamdouh, experte économique, la BCE pourrait lancer une enchère exceptionnelle pour calmer le marché suite aux récentes turbulences. « Calmer le marché noir est un des dossiers de la BCE, car la stabilité du marché de change transmet un message positif aux investisseurs et les encouragent à injecter des fonds. Le dollar sur le marché reste encore limité, et gagner la confiance des investisseurs étrangers est le seul moyen d’en faire venir », explique-t-elle.
Pas de stabilité
Or, comme le confirme Hani Guéneina, chef du département des recherches à la banque d’investissement Pharos, cette injection temporaire visant à calmer le marché ne conduira pas à la stabilité du dollar. Selon un dernier rapport publié par Pharos, le prix officiel du dollar devrait dépasser les 8 L.E. fin 2015. Et « c’est la juste valeur du billet vert », dit-il. La BCE avait, en fait, décidé en mars dernier de libérer la valeur du dollar vis-à-vis de la L.E., juste avant le sommet économique de Charm Al-Cheikh. Une deuxième dévaluation a eu lieu en juillet dernier. La L.E. a ainsi perdu 9 % de sa valeur : le dollar a augmenté pour atteindre actuellement 7,83 L.E. contre 7,18 L.E. avant le sommet économique.
Malgré la hausse du dollar sur le marché noir, son prix officiel reste stable. Et il semble que la déclaration du ministre ne soit pas la seule cause derrière la hausse du dollar. Des raisons internes et externes se sont conjuguées pour l’aggraver. Au plan interne, comme le note Guéneina, la faiblesse des secteurs engendrant des devises étrangères, tels que le tourisme et l’investissement, ont une part de responsabilité étant donné l’instabilité sécuritaire et politique. A l’externe, poursuit-il, la récession économique qui frappe quelques pays voisins a fait augmenter la valeur du dollar vis-à-vis d’une liste de devises, avec en tête les monnaies turque, russe, chinoise et européennes. « Une dépréciation de la L.E. vis-à-vis du dollar n’est donc pas le résultat de la déclaration du ministre », estime-t-il .
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