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Fonction publique : La nouvelle loi dérange

Marwa Hussein, Lundi, 17 août 2015

Le débat autour de la loi sur la fonction publique s'envenime avec les manifestations de milliers de fonctionnaires. Ils qualifient le texte d'inaproprié, alors que le gouvernement affirme réformer l'administration publique.

Fonction publique : La nouvelle loi dérange
Les fonctionnaires craignent que la nouvelle loi ne menace la sécurité de l'emploi. (Photo:AP)

La nouvelle loi sur la fonction publique suscite la révolte des fonctionnaires des organismes d’impôts. Ils ont surpris le gouvernement, le 10 août, avec la plus importante manifestation organisée depuis quasiment deux ans. Il s’agit des mêmes fonctionnaires ayant créé un syndicat indépendant en Egypte, après avoir réussi en 2009 à fixer un salaire minimum.

La loi qui réglemente les droits et devoirs de 6 à 7 millions de fonctionnaires a été promulguée en mars. Les protestations n’ont émané qu’après la mise en application de l’un des articles concernant les salaires du mois de juillet des organismes d’impôts. Le président Al-Sissi a réagi le 16 août, dans un discours devant les forces armées : « L’appareil administratif peut opérer avec le quart du nombre de fonctionnaires actuels. Cependant, l’Etat n’a pas eu recours à la loi pour les licencier ou diminuer leurs salaires », a-t-il prévenu.

La nouvelle loi divise le salaire des fonctionnaires en deux parties : la première consiste en un montant fixe. Il est par exemple de 1 175 L.E. pour un fonctionnaire de premier rang, et 800 pour un fonctionnaire en bas de l’échelle. C’est sur ce montant que le gouvernement calculera la prime annuelle de 5 %, mentionnée dans la loi. Tareq Moustafa, à la tête du syndicat indépendant des employés de l’Organisme de l’impôt foncier, explique à l’Hebdo comment les salaires seront affectés par la nouvelle loi. « Le fonctionnaire de premier degré touchera ainsi environ 60 L.E. par mois comme prime. Dans l’ancienne loi, la prime sociale était calculée sur le salaire de base, ce qui se traduisait par une hausse des primes calculées en fonction de ce salaire. La nouvelle loi exclut cette avantage », dit-il. Les fonctionnaires craignent aussi que la nouvelle prime, stipulée par la loi, ne remplace la prime sociale annuelle de 10 %, devenue une coutume depuis 1986 pour compenser la modestie des salaires des fonctionnaires.

Le gouvernement, pour sa part, défend la loi disant qu’elle est destinée au bien des citoyens et fonctionnaires. « L’objectif de la nouvelle loi est de réduire les différences de salaires entre les entités gouvernementales », dit Achraf Al-Arabi, ministre de la Planification. Plusieurs sources du gouvernement ont assuré, à différentes occasions, que les salaires des fonctionnaires ne baisseraient pas. « La prime de 5 % est calculée sur une partie plus importante des salaires. En outre, la loi n’a pas annulé la prime sociale, qui n’est pas une obligation pour le gouvernement », commente Safwat Al-Nahas, ancien président de l’Organisme central pour l’organisation et l’administration. Selon lui, il fallait changer l’ancienne loi, promulguée en 1978, et garder le même système des salaires. « Plusieurs pratiques résultant de la l’ancienne loi ne sont plus supportables. Par exemple, les employés de certains secteurs, surtout les techniciens qui étudient en candidat libre et obtiennent des diplômes supérieurs, réclament des primes et un changement de statut. Et cela alors que le secteur public souffre d’un manque de techniciens de réparation et d’infirmières, entre autres », argumente-t-il.

Réforme indispensable
En effet, à la fois les adversaires et les défenseurs de la loi estiment qu’une réforme radicale de l’administration publique est indispensable. Les gouvernements successifs avaient exprimé leur volonté de réduire le nombre des fonctionnaires de l’énorme bureaucratie égyptienne, pourtant inefficace aux yeux des citoyens, mais ne sont jamais parvenus à le faire. Le secteur public et le gouvernement ont servi pendant des années de pare-chocs pour contenir le chômage. Des milliers de personnes ont été recrutées après la révolution de 2011 pour contenir la grogne sociale. En outre, les différences de salaires parmi les fonctionnaires des différentes entités sont flagrantes, après des années d’application opaque d’un système de prime. Ainsi trois fonctionnaires, de même emploi et diplôme, touchent 900 L.E., 2 000 L.E. et 4 000 L.E. par mois s’ils sont employés des municipalités, de ministères divers ou du ministère des Finances respectivement, selon Safwat Al-Nahass.

Mais cela ne rassure pas les fonctionnaires, leur crainte principale est que la nouvelle loi ne menace la sécurité de l'emploi. Les articles de la loi autorisent aussi le gouvernement à licencier les employés en fonction de leur évaluation annuelle sans possibilité de recours à la justice, contrairement à la loi récemment annulée. Ainsi, si l’évaluation d’un employé est faible pendant deux années consécutives, un comité de ressources humaines, introduit par la loi, peut le licencier avec conservation de ses droits à la retraite. La loi sévit avec les cadres supérieurs qui seront directement licenciés, suite à deux évaluations annuelles en dessous de la moyenne. « Le système d’évaluation peut mener à des injustices », dit le leader syndical. Les fonctionnaires rejettent donc le système d’évaluation qui accroît l’autorité du directeur. L’évaluation se ferait aussi en fonction des avis de collègues et usagers. Selon le gouvernement, c’est là un pas en avant. « L’évaluation des fonctionnaires doit être objective, il n’est pas logique que l’évaluation de quasi tous les fonctionnaires soit actuellement qualifiée (Excellente) », argumente Safwat Al-Nahass.

« L’évaluation des collègues ne sera pas objective, elle dépendra de leur relation personnelle alors que nous par exemple, en tant que fonctionnaires des impôts, serons évalués par des contribuables, alors que nous estimons leurs impôts. Cela ouvre la porte à la corruption », dit Tareq Moustafa. Et d’ajouter que les contribuables et citoyens doivent pouvoir porter plainte contre les fonctionnaires, mais pas les évaluer.

Mode de recrutement
Le débat sur la loi a porté aussi sur le mode de recrutement, de promotion et de rémunération. Alors que les fonctionnaires accusent le gouvernement d’avoir pour objectif de réduire le nombre de fonctionnaires ainsi que leurs salaires, le gouvernement dit viser une réforme de l’administration publique et la lutte contre la corruption. En attendant la finalisation du statut exécutif de la loi, qui devrait être publié avant fin juin, le gouvernement dit qu’il ne modifiera pas la loi.

Par ailleurs, les fonctionnaires de plusieurs ministères et entités publiques comme le ministère de la Planification, l’Organisme central pour l’organisation et l’administration, les ambulances, les enseignants et les médecins prévoient des manifestations pour dénoncer la loi. L’une d’elles, celle des fonctionnaires des impôts prévue le 17 août, a été cependant annulée car le ministère de l’Intérieur n’a pas donné son approbation stipulée par la récente loi des manifestations. Le syndicat a finalement décidé d’informer le ministère, par voie de justice, du lieu et de la date de la manifestation .

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