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Banque centrale: Nouveau conflit d’intérêts

Gilane Magdi, Lundi, 24 décembre 2012

Tandis que des informations circulent sur une éventuelle démission du gouverneur, Farouq Al-Oqda, l’indépendance de cette institution par rapport à l’exécutif est remise en question.

Banque Centrale
Hicham Qandil et Farouq Al-Oqda, la mésentente est de mise. (Photo: Soliman Al-Otefi)

A-t-il démissionné ou pas ? Le gouverneur de la Banque Centrale d’Egypte (BCE), Farouq Al-Oqda, défraie depuis quelques jours la chronique. Le 22 décembre, date de la 2e phase du référendum sur la Constitution, la télévision égyp­tienne annonce sa démission. En même temps, des informations font état d’une rencontre entre le président Mohamad Morsi et le directeur de la banque CIB, Hicham Ramez. Celui-ci serait l’un des 3 successeurs poten­tiels de Farouq Al-Oqda avec Tareq Amer, PDG de la Banque nationale d’Egypte, et Mohamad Barakat, PDG de la banque Misr, respectivement numéros un et deux du marché. Tout le monde s’attend alors à un départ du gouverneur. Mais le lendemain, le Conseil des ministres dément la démission du gouverneur et affirme que celui-ci « exerce toujours ses fonctions ».

Farouq Al-Oqda avait été nommé à la tête de la BCE en décembre 2003, à un moment où l’économie égyp­tienne faisait l’objet de turbulences et où la L.E. avait perdu 6,9 % de sa valeur. Al-Oqda a réussi, en l’espace de 18 mois, à rétablir la stabilité sur le marché des changes et à augmenter les réserves en devises à 19,3 mil­liards de dollars. Al-Oqda avait annoncé sa volonté de quitter son poste en juin 2010, mais les circons­tances politiques et le déclenchement de la révolution du 25 janvier l’ont obligé à rester à son poste. En juin 2012, il renouvelle sa demande de démission. Selon un proche du gou­verneur, « la nouvelle Constitution limite le nombre de mandats du gou­verneur à 2 seulement. Al-Oqda a déjà fait ses 2 mandats, et comptait de toute façon partir fin 2012 », dit-il. Pour d’autres, au contraire, cette démarche n’a rien de routinier. « Al-Oqda est vraiment dans une impasse. Il est soumis à une énorme pression par la direction politique pour qu’il accepte d’augmenter le volume de la monnaie en circula­tion », révèle Hani Guéneina, prési­dent du département des recherches auprès de la maison de courtage Pharaos Securities. Et d’ajouter : « Al-Oqda refuse de prendre cette décision car elle mènera sans doute à une flambée du prix du dollar, dont la valeur pourrait alors dépasser les 10 L.E.».

Al-Oqda est en pleine négociation sur le prêt de 4,2 milliards de dollars que l’Egypte avait demandé au FMI. Dès le déclenchement de la révolution en janvier 2011, la BCE avait soutenu la L.E. en vendant sur le marché ses réserves en devises, afin d’éviter une chute brutale de la monnaie nationale, et ce, pour réduire l’impact des capi­taux étrangers qui fuyaient le pays. En février 2011, Reuters prévoyait que le dollar atteindrait les 12 L.E. Mais grâce à une gestion rationnelle du taux de change, la L.E. n’a perdu que 7 % de sa valeur. Mais ce qui devait être des mesures temporaires a finale­ment duré deux ans, et les pertes des devises n’ont toujours pas été rattra­pées. Les réserves actuelles en devises ne couvrent que 3 mois d’importa­tions dans un pays qui importe la moitié de ses denrées alimentaires et la plupart de ses produits manufactu­rés. L’Economist prévoit que la dépré­ciation continuera pendant 2013, et que le dollar atteindra les 6,8 L.E.

Une autonomie disputée

Un autre souci inquiète le gouver­neur de la BCE. Le 12 décembre dernier, Morsi, qui s’est déjà attribué le pouvoir législatif, amende la loi régissant la BCE et le secteur ban­caire, notamment les articles 18 et 19 de cette loi. La clause 18 amendée dit que le président de la République nomme directement le gouverneur de la BCE, ses deux adjoints et 4 membres du conseil d’administra­tion. Selon l’ancienne version de la loi, c’est le premier ministre qui pro­pose le nom du gouverneur et ses adjoints, et le président de la République les approuve. « A partir du moment où le président de la République nomme directement le gouverneur, ce dernier adoptera la politique voulue par l’autorité exé­cutive. Par conséquent, la BCE perd son indépendance », note Ahmad Al-Naggar, expert économique auprès du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.

Ismaïl Hassan, ex-gouverneur de la BCE, pense, au contraire, que le gou­verneur reste indépendant même s’il est nommé par le président. « La notion de l’indépendance de la BCE tient au fait que ses décisions et ses politiques sont effectives sans besoin d’approbation par une autre autorité gouvernementale. Même s’il y a des pressions exercées sur le gouverneur, il peut les accepter ou les refuser », explique Hassan, en ajoutant que les gouverneurs de la BCE sont en géné­ral nommés par les chefs d’Etat, après approbation par les Parlements. Mais en Egypte, certains craignent qu’un gouverneur islamiste n’ose pas s’op­poser au président.

Guéneina explique qu’il est très difficile pour une banque centrale de conserver son indépendance dans le cas d’un déficit budgétaire énorme, comme en Egypte. « Plus le déficit augmente, plus l’indépendance du gouverneur baisse, car le gouverne­ment exerce de fortes pressions sur lui pour obtenir ce dont il a besoin, c’est-à-dire plus de liquidités. La meilleure preuve est le président de la FED (Banque Centrale américaine) qui a souffert pendant 30 ans de l’interven­tionnisme du gouvernement améri­cain, et qui n’a réussi à retrouver son indépendance qu’après la chute du déficit budgétaire », renchérit-il.

Un huis clos potentiellement dangereux

La clause 19 prévoit de réduire le conseil d’administration de la BCE de 15 à 9 membres. 4 d’entre eux, soit presque la moitié, étant directement nommés par le président de la République. Le conflit d’intérêts qui minait l’indépendance de la BCE avant la révolution était d’une autre nature : il provenait du fait que son conseil d’administration regroupait les présidents des plus grandes banques commerciales et d’investis­sement, faisant entrer en collision les intérêts publics et privés. Le conseil d’administration a été purgé après la révolution. Mais aujourd’hui, « le plus dangereux est le fait que le Parti Liberté et justice puisse nommer au sein du conseil d’administration des personnes proches de lui, ce qui lui donnera une emprise sur la politique monétaire », craint Guéneina.

Les responsables du Parti Liberté et justice rejettent ces craintes et attirent l’attention sur un autre amendement qui réduit le nombre de ministres au sein du conseil d’administration de 3 à un seul : le ministre des Finances. « La réduction du nombre de repré­sentants du gouvernement à un seul vise à garantir la coopération entre le ministre des Finances et le gouver­neur de la BCE dans la mise en place de la politique monétaire et finan­cière, tout en assurant son indépen­dance », indique Mohamad Gouda, porte-parole du comité économique au sein du Parti Liberté et justice.

Autonomie ou pas, la mission de la BCE ne sera pas facile. Personne ne sait si Al-Oqda va réellement partir ou non. Pour le moment, il garde son poste.

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