Pour augmenter l'emploi, le gouvernement doit donner la priorité aux industries comme le textile.
(Photo: Al-Ahram)
230 000 emplois. C’est, selon les pronostics les plus réalistes, le nombre d’emplois que le gouvernement de Qandil pourra réussir à créer d’ici la fin de l’exercice 2012-2013, avec les moyens réellement mis à sa disposition. Or, Morsi a promis la création de quelque 700 000 emplois pour la même période, dans le cadre du programme national pour l’emploi des jeunes qui vise à absorber les nouveaux entrants sur le marché de travail et à baisser le taux de chômage, actuellement de 12,8 %.
Mais les mesures annoncées ne correspondent pas. Il s’agit notamment du ministère de l’Industrie, qui a annoncé la création de 30 000 emplois destinés aux jeunes, dont 20 000 dans le secteur privé du textile. « Ces offres d’emploi sont destinées aux jeunes entre 18 et 35 ans dans 10 gouvernorats (tels que Le Caire, Alexandrie, Port-Saïd et Béni-Soueif) pour un salaire mensuel de 1 000 L.E. », indique la publicité parue dans la presse. D’une part, le Conseil de la formation industrielle, qui dépend du ministère de l’Industrie, sera chargé, en coopération avec le Conseil des exportateurs en prêt-à-porter, de fournir la formation nécessaire à ces jeunes. D’autre part, le Fonds social de développement devrait permettre la création de 150 000 à 200 000 emplois, « grâce aux liquidités fournies par la Banque mondiale qui avoisinent les 200 millions de dollars. Le Fonds aura un rôle déterminant dans le programme de création d’emploi, par l’octroi de crédits aux petites et moyennes entreprises », comme le décrit Ghada Wali, directrice générale du Fonds. Le reste du plan du gouvernement, qui devrait donc exposer sa stratégie servant à créer les 470 000 emplois restants, reste très loin de ce chiffre. « 58 000 emplois seront créés dans le secteur agricole, répartis sur l’ensemble des gouvernorats et des secteurs agricoles. 51 300 emplois devraient être créés dans le domaine du développement agricole. Le plan comprend aussi la formation de 42 000 personnes de la catégorie des 18-30 ans », indique le site du ministère de la Planification.
Cependant, à un taux de croissance se situant autour des 2 %, il paraît très difficile d’atteindre les chiffres annoncés. « Il sera impossible pour le gouvernement de créer ces emplois sans la participation du secteur privé. Or, ce dernier — national et étranger — est devenu prudent et même réticent à s’investir dans cette tâche, vu les défis majeurs auxquels l’Egypte est confrontée en ce moment, encore compliqués par l’instabilité politique du pays », analyse John Page, chercheur principal au sein de l’institution américaine Brookings Institution, à l’issue de la conférence « Emploi des jeunes — construire l’avenir » qui s’est tenue au Caire la semaine dernière. Il avertit : « Le gouvernement n’aura probablement pas le choix et devra recourir à des partenaires de développement, telle la Banque mondiale. Or, les emplois ainsi créés pourraient avoir une durée de vie limitée, sans oublier que recourir à la Banque mondiale n’est pas bien perçu par l’opinion publique ». Il ajoute qu’il est crucial de créer des emplois « réels », c’est-à-dire permanents et correspondant aux qualifications des jeunes tout en leur fournissant un niveau suffisant de revenus.
Miser sur l’industrie
Le ralentissement économique mène, en ce moment même, au licenciement en masse d’ouvriers qui ne bénéficient, en outre, d’aucun filet légal de protection. « Plus de 170 usines dans la zone de Borg Al-Arab ont fermé leurs portes après la révolution. Le secteur privé est gravement touché par le manque de liquidités, ce qui ne lui permet pas de créer de nouveaux emplois », regrette Hani Al-Menchawi, membre de l’Association des hommes d’affaires d’Alexandrie. Le moment est, selon lui, très mal choisi pour demander au secteur privé de participer au programme gouvernemental pour l’emploi.
Héba Handoussa, experte économique, insiste sur l’importance d’adopter une stratégie à long terme, qui devrait être basée sur la restructuration de la stratégie de création d’emplois, en donnant la priorité aux industries à fort taux de main-d’oeuvre, tels le textile, la construction et les biens d’équipement. « L’Egypte a échoué à devenir un pays industriel au cours des 15 dernières années. Son économie repose sur l’importation. En comparant les chiffres des exportations du prêt-à-porter égyptien avec ceux de son homologue turc, on trouve 2 milliards de dollars contre 15 milliards de dollars », indique-t-elle. Elle renchérit : « La formation des femmes, pour qu’elles puissent travailler dans l’industrie textile qui est fondamentale pour l’économie, ne prend que trois mois ». Son opinion est partagée par Omniya Helmi, directrice exécutive du Centre égyptien pour les études économiques, qui assure : « Durant le régime de Moubarak, les hommes d’affaires investissaient préférablement dans les secteurs lourdement consommateurs d’énergie, tels que le ciment, pour profiter des subventions à l’énergie. La création d’emploi ne faisait pas partie du calcul ».
Viser au-delà de 2013
Les observateurs régionaux dénoncent de manière répétée le manque de vision à long terme des plans gouvernementaux. Le directeur du bureau de la Banque africaine de développement au Caire, Sami Zaghloul, rappelle que l’Egypte attirait 13 milliards de dollars d’investissements étrangers directs avant la révolution. Ce chiffre est presque nul aujourd’hui à cause de l’absence de vision politique claire, et sa conséquence : l’instabilité politique. « Il faut en finir avec la Constitution et les élections législatives, sans lesquelles l’investisseur étranger restera réticent à investir en Egypte », avertit-il.
L’Egypte traverse une phase très difficile. D’une part, le taux de croissance de l’investissement privé est trop faible : 11 % seulement pour le premier trimestre de l’année fiscale 2012-2013 (juillet-septembre). D’autre part, le taux de chômage officiel a décollé pour atteindre les 12,8 % au 3e trimestre de l’année 2012. « Le taux de chômage des jeunes est le double de ce chiffre (soit 25 %). Et ce chiffre a toutes les chances de connaître encore une forte hausse à l’avenir si l’instabilité politique se poursuit », avertit Omniya Helmi. Elle met en garde également contre les mécanismes de l’inflation : celle-ci est en recul, depuis début 2012 et selon les chiffres officiels. Mais cela reflète d’abord la récession, qui comprend la baisse dramatique du pouvoir d’achat des Egyptiens dans leur ensemble, la baisse de la production, et donc le licenciement de la main-d’oeuvre. Une main-d’oeuvre qui a par ailleurs du mal, en faisant son marché, à comprendre comment les chiffres de l’inflation puissent indiquer une baisse.
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