Le 6 décembre, le Journal officiel publie un décret présidentiel venant modifier différentes lois sur les impôts et taxes. Mais contrairement aux usages, aucune source officielle et aucun communiqué de presse ne viennent appuyer ces changements. Les médias étant par ailleurs occupés par les turbulences politiques accompagnant la déclaration constitutionnelle, émise également par M. Morsi.
Le jour même où l’information est publiée au Journal officiel, le président suspend ses décisions sine die. Des milliers de manifestants étaient déjà dans la rue pour contester ce renforcement des taxes sur certains produits. Même le Parti Liberté et justice, dont est issu M. Morsi, émet un communiqué demandant au premier ministre de suspendre ces décisions. La rue se calme.
Sans aucun doute, le but était de faire passer ces décrets dans le plus grand silence. Imposer de nouvelles taxes n’a jamais été une mesure populaire.
Mais suspendre ne veut pas dire annuler. Le gouvernement devrait bientôt reprendre l’application des hausses de taxes et d’impôts annoncées. Parallèlement, il cherche à réduire les subventions, notamment en matière d’énergie.
Facture des décisions
Même si une partie des nouvelles taxes est payée par les plus aisés, ce sont les classes pauvres et moyennes qui assumeront la majeure partie de la facture des nouvelles décisions. Celles-ci font partie du programme économique présenté par le gouvernement au Fonds Monétaire International (FMI) dans le but d’obtenir un crédit de 4,8 milliards de dollars.
« Je ne suis pas contre certaines de ces taxes. Le problème c’est le timing. Dans les conditions actuelles, le peuple acceptera-t-il les efforts qu’on lui demande ? », se demande Hani Guéneina, économiste auprès de la banque d’investissement Pharos Holding.
Par ailleurs, le manque de transparence qui accompagne ces décisions fait grincer des dents. « Le gouvernement n’a pas présenté ces réformes dans le cadre d’un plan clair. Le but est-il de réduire le déficit budgétaire ? Quelle est la somme visée par ces mesures ? A-t-on étudié les effets potentiellement négatifs sur certains secteurs ? Rien n’a été dévoilé », regrette Khaled Zakariya, chercheur en économie à l’Université de New York. Le ministère des Finances et le comité économique du Parti Liberté et justice n’ont pas souhaité répondre aux demandes de précisions de l’Hebdo.
Ces taxes faisaient déjà partie du programme de réforme économique du régime de Moubarak. Désormais, le nouveau président veut en quelques mois imposer des taxes que Moubarak hésitait encore à mettre en place il y a quelques années.
Il cherche ainsi à augmenter les taxes sur l’huile, l’acier, les engrais, le ciment, les boissons gazeuses, la bière et les cigarettes. Ainsi que sur une variété de services, y compris les services de téléphonie mobile, la climatisation, le nettoyage, les transports ou les services de sécurité. Mais cette généralisation de l’imposition d’une TVA sur la quasi-totalité des biens et services de grande consommation aura des conséquences certaines sur le pouvoir d’achat des ménages.
Pour Khaled Zakariya, lorsque l’administration fiscale est déficiente, il est logique d’imposer des taxes indirectes. Ces taxes sont, en effet, collectées sans effort par la direction des impôts. La TVA représente aujourd’hui 37 % des revenus fiscaux de l’Etat.
Les ménages devront aussi faire face à une augmentation des timbres administratifs. Ces timbres sont notamment nécessaires à l’obtention des différents permis délivrés par les administrations publiques. Le plus dur reste cependant l’augmentation des taxes sur l’électricité, le gaz naturel et le gaz butane. Une nouvelle taxe de 3 piastres par KW/heure devrait être imposée aux foyers et aux commerces. Le secteur industriel ne subira, lui, qu’une augmentation de 0,6 piastre par KW/heure.
Le gaz de ville devrait connaître une hausse de 3,6 piastres par chaque mètre cube pour les premiers 20 m3 par mois, puis de 25 piastres par mètre cube supplémentaire.
« Ce sont les classes les plus démunies et les classes moyennes qui vont assumer le fardeau. Plusieurs taxes imposées sont régressives, surtout la taxe sur les produits de consommation », estime Khaled Zakariya.
Nouvelle tranche insuffisante
Pour établir un équilibre avec les taxes qui auront un effet direct sur l’économie des foyers les moins aisés, le gouvernement cherche à modifier la loi de l’impôt sur le revenu. Cette loi ajoute une nouvelle tranche de 25 % pour les revenus supérieurs à 1 million de L.E. annuels. Elle relève ainsi l’impôt maximum, jugé trop bas. Mais beaucoup estiment que cette nouvelle tranche est toujours insuffisante.
L’impôt sur le revenu a aussi été révisé pour les revenus inférieurs à 45 000 L.E. par an. « C’est bien mais ce n’est pas suffisamment progressif. Le gouvernement peut facilement ajouter d’autres tranches pour les revenus plus élevés et réduire les tranches les plus basses », constate Khaled Zakariya.
Quant à l’impôt foncier qui touche les moins démunis, le gouvernement avait, avant les contestations, déjà décidé de reporter sa mise en vigueur au mois de juillet 2013. Il devait à l’origine être appliqué dès janvier. Le gouvernement a, en outre, relevé le plafond pour n’imposer que les biens immobiliers supérieurs à 2 millions de L.E.
Enfin la nouvelle loi durcit également les sanctions pour fraude fiscale. Le fraudeur devra payer une amende au minimum équivalente à l’impôt détourné. Cette amende pourra être doublée dans certains cas. Aujourd’hui, l’amende maximum est de 5 000 L.E.
Reste à savoir quand cette nouvelle loi entrera en vigueur et quels seront les points laissés de côté pour contenter à la fois les plus pauvres et les grands industriels.
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