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Les bruits de bottes se rapprochent

Sabah Sabet, Mardi, 16 octobre 2012

Le Conseil de sécurité de l’Onu a adopté la résolution de la France pour une intervention armée visant à reconquérir le nord du pays. Les groupes qui en ont le contrôle menacent de se venger.

Les bruits
Des manifestants Maliens réclamant l'envoi d'une force armée, pour reconquérir le nord de leur pays. (Photo: AP)

Les 15 pays membres du Conseil de sécurité de l’Onu ont adopté à l’unanimité la résolution présentée par la France pour une intervention militaire dans le nord du Mali, sous contrôle de groupes armés. Les membres ont souligné leur grave préoccupation quant à la dégradation continue de la sécurité et de la situation humanitaire, et quant à l’enracinement croissant des éléments terroristes, dont Al-Qaëda au Maghreb islamique (Aqmi) et les groupes affiliés ainsi que d’autres groupes extrémistes. Ils se sont également dits très préoccupés par les conséquences de cette situation sur les pays du Sahel et au-delà.

Les organisations régionales africaines et les Nations-Unies doivent présenter d’ici 45 jours le plan de cette intervention. Une fois que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao), l’Union Africaine (UA) et l’Onu auront soumis un plan détaillé d’intervention, le Conseil de sécurité s’annoncera prêt à examiner une deuxième résolution pour approuver ladite intervention.

« C’est toute la communauté internationale qui se tiendra aux côtés des Maliens dans cet effort », a promis, vendredi, François Hollande, en déplacement en Afrique. Selon lui, la résolution a une double dimension politiqueet militaireet« l’une ne peut aller sans l’autre ».Fin septembre, la France avait présenté, dans la foulée de l’intervention de Hollande à l’Onu, un projet de résolution visant à inciter les autorités maliennes, la Cédéao et l’UA à soumettre dans les 30 jours un projet d’opération précis permettant l’envoi d’une force africaine dans le nord du pays. La résolution charge le secrétariat général de l’Onu de travailler avec la Cédéao et l’UA pour présenter les « recommandations détaillées et praticables » d’une intervention armée. Il s’agit notamment du concept opérationnel, de la liste des troupes et de l’évaluation des coûts. Le texte, soutenu par d’autres pays européens, invite en parallèle le gouvernement malien et les rebelles touareg à s’impliquer dès que possible dans un processus de négociations crédible, afin de chercher une solution politique viable respectant la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Mali. Certains diplomates estiment que le projet manque de précision ou expriment de fortes réserves quant à la capacité de la Cédéao à se confronter aux islamistes du nord. D’autres prédisent qu’il faudra plusieurs mois pour qu’un quelconque plan soit mis en œuvre et pour que les soldats soient formés et déployés sur le terrain. « Plus la communauté internationale permettra à la situation de s’envenimer, plus les réseaux criminels et terroristes seront à même de conforter leurs positions et plus grandes seront les souffrances endurées par les populations, et plus fort sera le risque pour la paix et la sécurité régionales et internationales », a déclaré devant le Conseil, le représentant ivoirien, Youssoufou Bamba, dont le pays préside actuellement la Cédéao.

A Bamako, plusieurs milliers de personnes ont marché jeudi dernier dans la capitale pour exprimer leur soutien à l’envoi d’une force armée ouest-africaine appuyant les soldats maliens, afin de reconquérir le nord de leur pays.

La condition démocratique

De leur part, les Etats-Unis ont indiqué qu’ils soutiennent une éventuelle intervention militaire dans le nord du Mali pour déloger les groupes extrémistes, mais à condition que la démocratie soit d’abord rétablie à Bamako. Le département d’Etat américain a prévenu dans un communiqué que la crise au Mali ne se réglerait que par une approche globale visant à « rétablir l’autorité de l’Etat malien sur tout le territoire et (à) affronter la menace posée par l’Aqmi et ses affiliés ». Le secrétaire d’Etat adjoint américain pour l’Afrique, Johnnie Carson, a également plaidé pour le retour d’un gouvernement démocratiquement élu d’ici avril 2013 au Mali, ainsi que pour un règlement du sort des touareg et de la crise humanitaire. Quant à la question du terrorisme dans le nord, « elle trouvera une réponse militaire », a assuré ce diplomate américain de haut rang lors d’un entretien accordé à l’AFP, ajoutant que « l’expulsion de ces extrémistes armés passe par une opération militaire conduite par des Africains, par la Cédéao, mais qui doit être bien préparée, bien organisée et bien financée ». Le diplomate n’a toutefois pas dévoilé la nature de la contribution éventuelle de son pays. Des spécialistes doutent d’une intervention militaire américaine directe. Pour Richard Downie, du Center for Strategic International Studies (CSIS) de Washington, les Etats-Unis fourniront « un soutien logistique des renseignements, et peut-être des drones ». Son collègue Gilles Yabi, de l’International Crisis Group (ICG), met aussi en garde : « Ce ne sera pas une simple opération de maintien de la paix, mais une véritable intervention militaire sur un terrain très difficile et contre des groupes armés ». Signe de l’inquiétude de Washington, la secrétaire d’Etat américain, Hillary Clinton, a répété vendredi que l’Aqmi et d’autres groupes terroristes tentaient d’étendre leur emprise depuis leur bastion du nord du Mali. Profitant de la confusion qui a suivi le coup d’Etat militaire du 22 mars à Bamako, les séparatistes touareg du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) se sont emparés du nord du Mali avec le soutien d’Ansar Dine, un mouvement islamiste lié à l’Aqmi. Des dissensions sont ensuite apparues entre les deux formations. Les séparatistes touareg ont proclamé l’indépendance de la zone, mais les djihadistes ont détruit l’initiative en poursuivant les combats pour instaurer la charia dans l’ensemble du pays. Mieux armés, ces derniers ont désormais pris le dessus. Ils ont défrayé la chronique, notamment en détruisant, parce qu’ils les considèrent comme impies, plusieurs mausolées de Tombouctou, ville du nord-ouest du Mali classée au patrimoine mondial en péril par l’Unesco. C’est ainsi que la diplomatie française estime que la présence d’islamistes fait peser une menace terroriste sur l’ensemble de la région ainsi que sur les intérêts occidentaux, et juge une intervention militaire inévitable. « La France devrait avant tout offrir un soutien logistique à la force africaine qui sera déployée, mais pas d’hommes au sol », a indiqué Hollande.

Ouvrir la porte de l’enfer

En riposte à l’engagement de la France dans l’affaire malienne, Al-Qaëda a lancé samedi de graves menaces contre Paris et le président français lui-même. « La vie des otages français est désormais en danger à cause des déclarations du président français qui veut nous faire la guerre. Lui-même et sa vie sont désormais en danger ». C’est ce qu’a déclaré samedi Al-Qaëda, par le biais de Oumar Ould Hamaha, membre du Mujao, l’un des groupes islamistes armés alliés de l’Aqmi et qui contrôlent le nord depuis plus de six mois. « Hollande veut ouvrir la porte de l’enfer aux otages français, nous sommes prêts à toutes les éventualités. Si on veut enlever des otages français en Afrique de l’Ouest ou même en France, on peut le faire facilement », a assuré ce djihadiste malien originaire de la région de Tombouctou. Neuf otages européens, dont six Français, ont été capturés au Sahel ces deux dernières années. Interrogé sur ces nouvelles menaces, François Hollande a répondu avec la plus grande fermeté samedi lors d’une conférence de presse à Kinshasa : « C’est en montrant une grande détermination pour tenir notre ligne qui est celle de la lutte contre le terrorisme que nous pouvons convaincre les ravisseurs qu’il est temps, maintenant, de libérer nos otages ».

Une réunion est prévue le 19 octobre à Bamako, avec les principaux acteurs régionaux : l’UA, la Cédéao et les Nations-Unies, pour tenter de mettre au point une « stratégie cohérente », selon un diplomate. Dans le même ordre d’idées, l’Onu vient de nommer un envoyé spécial au Sahel en la personne de l’ancien chef du gouvernement italien, Romano Prodi.

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