L’annonce du chef de l’armée soudanaise, Abdel-Fattah Al-Burhan, vendredi dernier lors d’une rencontre militaire, coupe court l’espoir d’une paix prochaine. « Nous n’avons pas de négociations avec ceux qui combattent les Soudanais et violent les femmes, et nous les vaincrons, tôt ou tard ». Al-Burhan rejette toute forme de négociation et de tentative de réconciliation avec son rival Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemeti, chef des Forces de Soutien Rapide (FSR), contre lequel il est en guerre depuis avril dernier.
Pourtant, le bruit courait ces derniers jours sur une éventuelle rencontre entre les deux hommes. D’autant plus que Hemeti a multiplié ses tournées à l’étranger, perçues comme des tentatives de médiation. En effet, c’est plutôt dans une tentative claire de gagner en légitimité et en crédibilité, notamment après ses avancées militaires et la conquête de la région stratégique de l’Etat d’Al-Jazira et de sa capitale, Wad Madani, au sud de la capitale Khartoum, que Hemeti a entrepris depuis 28 décembre une tournée africaine, la première depuis le déclenchement des combats. En Ouganda, en Ethiopie, à Djibouti, au Kenya et en Afrique du Sud, le chef des FSR a prôné l’idée d’une reprise des pourparlers devant aboutir à un cessez-le-feu. Mais son rival, le chef de la transition soudanaise, a rejeté cette proposition en estimant « inconcevable de parler et de réconcilier avec des auteurs des crimes de guerre commis au Darfour ouest et dans tout le Soudan ».
Au début de sa tournée, le chef des FSR avait signé, le 2 janvier à Addis-Abeba, une déclaration commune sur une « cessation immédiate et inconditionnelle des hostilités » avec l’ancien premier ministre du Soudan, Abdallah Hamdok, et chef de la coalition de civils Taqadom qui regroupe la société civile et des indépendants censés représenter les partisans d’un pouvoir civil au Soudan. Avec cet accord, Daglo a pu s’assurer du soutien de Taqadom, ce qui lui fait gagner plus de légitimité. « Une coalition civile qui signe un accord avec lui, malgré le nettoyage ethnique au Darfour, le légitime aux yeux de la communauté internationale », a déclaré à l’AFP Clément Deshayes, spécialiste du Soudan à l’Université de la Sorbonne à Paris. Ainsi, Hemeti, qui a mené une politique de la terre brûlée au Darfour dans une guerre qui a fait des centaines de milliers de morts dans les années 2000, semble surtout multiplier les efforts pour passer du statut de chef de guerre à celui d’homme d’Etat.
La paix est donc loin d’être acquise. « On est dans une impasse, Al-Burhan refuse de négocier avant que Hemeti n’abandonne tous les gains qu’il a acquis, ce que Hemeti ne va jamais faire. La guerre va se poursuivre et, au pire, on risque de se diriger vers une nouvelle partition du Soudan », estime Mohamed Abdel-Wahed, expert en sécurité, tout en ajoutant que l’ingérence de parties étrangères ne fait qu’exacerber la crise. Sur le terrain non plus rien n’annonce une accalmie. En pleine tournée de Hemeti et au milieu de ses annonces sur un règlement pacifique, ses forces n’ont pas cessé le combat. Les statistiques des organisations locales et internationales indiquent qu’au moins 12 000 personnes ont été tuées et des milliers d’autres ont été blessées depuis le déclenchement de la guerre à la mi-avril. L’ONU estime qu’au moins 7,1 millions de personnes ont été déplacées.
Brouilles diplomatiques
Outre son refus de discuter avec son rival, Al-Burhan, qui s’est officiellement installé dans la ville de Port-Soudan après avoir été chassé de Khartoum, s’est aussi dit étonné que les paramilitaires reçoivent tant de soutien à l’étranger et a contesté l’accueil par ces pays africains de Hemeti. « Nous tendons la main à tous les efforts sincères pour arrêter la guerre, mais quiconque soutient celui qui tue, viole, pille, dévaste et détruit ne trouvera de notre part aucune légitimité ni reconnaissance », a-t-il fustigé.
C’est surtout la visite de Hemeti au Kenya et sa rencontre avec le président kényan, William Ruto, le 3 janvier, qui ont, semble-t-il, suscité le plus la colère de Khartoum qui a rappelé son ambassadeur au Kenya pour exprimer sa ferme désapprobation à l’égard de l’accueil officiel de Daglo à Nairobi par Ruto au palais présidentiel. Le gouvernement soudanais avait accusé à plusieurs reprises le Kenya de soutenir les FSR, d’héberger ses dirigeants et partisans et de « conspirer avec des puissances régionales hostiles contre le Soudan ».
La référence, dans cette affaire, semble s’adresser aux Emirats arabes unis, qui ont déclaré le mois dernier trois hauts diplomates soudanais « persona non grata » après que le commandant en chef adjoint des forces armées soudanaises, Yasir al Atta, eut accusé Abu-Dhabi de soutenir les FSR, une accusation que les Emirats ont toujours niée. En représailles, Khartoum a déclaré « persona non grata » 15 diplomates émiratis et leur a ordonné de quitter le pays.
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