Pour la première fois, une conférence internationale a rassemblé, au Caire du 18 au 20 novembre, les principaux acteurs de la société civile soudanaise et des organisations humanitaires internationales pour tenter de trouver une issue à la crise humanitaire. La question qui s’est imposée lors de cette rencontre est comment mobiliser l’aide internationale, protéger les civils et sauver le Soudan plongé dans une guerre depuis le 15 avril dernier. « Le conflit soudanais ne figure plus dans l’actualité internationale. C’est une catastrophe ; pourtant, il a le nombre le plus élevé de personnes déplacées dans le monde, dont 3 millions d’enfants, ainsi que le plus grand nombre de femmes et d’enfants impactés par le conflit. Notre objectif est de remettre la lumière sur la situation au Soudan », explique à Al-Ahram Hebdo Dallia Abdelmoneim, analyste politique soudanaise et membre de l’équipe organisatrice de la conférence. Ce qui est important est qu’« on puisse contrôler la narration du point de vue des civils d’une façon neutre et non pas partisane ou politique et permettre aux personnes de se réunir pour trouver un moyen d’améliorer la situation au Soudan », poursuit-elle.
Bilan humanitaire désastreux
Le bilan dressé par la conférence est très alarmant et ce, dans tous les secteurs. Ainsi plus de la moitié de la population soudanaise, soit 24,7 millions de personnes, ont besoin d’une assistance humanitaire. Le pays constitue un des quatre haut-lieux de l’insécurité alimentaire dans le monde selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM). 6,7 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays ou réfugiées vers les pays voisins. 14 millions d’enfants sont en une situation dangereuse, pouvant être séquestrés, tués, blessés, ou recrutés. Les femmes et les enfants sont les plus vulnérables et les plus grandes cibles de violences sexuelles. Et vu qu’il n’y a plus de système judiciaire qui fonctionne, ces crimes sont commis en toute impunité. Le système d’éducation est durement affecté, avec 19 millions d’enfants qui, désormais, ne sont plus scolarisés. Quant au secteur de santé, il est totalement effondré. Khartoum, qui assure 60 % des services hospitaliers dans le pays, a vu 80 % de ses hôpitaux fermer leurs portes, sans compter la pénurie de médicaments et d’équipements médicaux et une propagation d’épidémies dans le pays comme le choléra et la dengue.
Face à cette crise, ce sont les organisations communautaires et locales qui ont pris la relève pour tenter d’assurer les services totalement interrompus par la guerre. Parmi les plus actives figurent les « chambres d’urgence » et les initiatives des jeunes qui ont assisté en grand nombre à la conférence. « Ce sont eux qui maintiennent la structure sociale au Soudan », souligne Abdelmoneim, « et qui parviennent à accéder aux régions assiégées qui manquent de tout : carburant, nourriture, eau, électricité ». La conférence, selon elle, a eu comme objectif de mettre en contact les donateurs internationaux avec ces organisations locales soudanaises pour trouver les moyens de s’entraider et pour que « les donateurs puissent apprendre des initiatives locales et voir comment ils peuvent les aider ».
Accès difficile de l’aide humanitaire
Un des principaux obstacles rencontrés par les organisations humanitaires internationales est l’accès de l’aide aux populations civiles. Eiji Kubo, chef de l’Agence japonaise de la coopération internationale pour le Soudan, explique à Al-Ahram Hebdo que le côté logistique pour faire parvenir l’aide est compliqué. « La situation au Soudan est très difficile. Je suis heureux que la société civile soudanaise se soit réunie », a-t-il indiqué. Le but est de traduire les recommandations de la conférence en actions concrètes. « Les agences de coopération internationales sont des organismes d’exécution. Nous explorons donc toutes les possibilités pour incorporer les recommandations de la conférence dans nos activités, dans notre mise en oeuvre de l’aide au Soudan », ajoute-t-il. « Nous sommes stricts au niveau de la sécurité. Par conséquent, pour nos projets sur le terrain, nous avons besoin de partenaires, que ce soit des organisations non gouvernementales ou une agence des Nations-Unies pour les mettre en oeuvre », poursuit-il.
L’urgence d’une coordination des efforts
Raison pour laquelle la principale recommandation issue de la conférence est la création d’un mécanisme qui permet de coordonner les efforts déployés sur le terrain par la société civile soudanaise et les acteurs internationaux aptes à fournir une aide humanitaire au Soudan.
Autre recommandation : la mise en place d’une plateforme pour coordonner les efforts des différentes organisations locales. Mona Malek, membre d’une organisation humanitaire locale, SIHA, a expliqué à Al-Ahram Hebdo que la coordination permettrait d’adopter une stratégie conjointe entre les différentes organisations, un échange d’informations, d’expertise et une entraide qui est nécessaire. « De nombreuses provinces n’ont pas l’expérience de guerre ou de déplacement de populations. Nous pouvons par exemple transmettre notre expérience de Darfour pour pouvoir aider les populations déplacées », ajoute-t-elle.
Or, les défis sont importants. Ces initiatives communautaires ont peu de ressources et se retrouvent elles-mêmes en danger et cibles d’attaques, sans compter le fait qu’il n’y a pas de route sûre pour assurer la sécurité des populations civiles ou l’aide qui leur est destinée et qui est souvent confisquée par les milices.
Le cas de Zahra Adam, membre active d’une fondation pour les enfants au Darfour, décrit l’horreur qu’elle a vécue et les sévices que la population subit aux mains des milices au quotidien. « Nous avons vu tous les jours des femmes et des enfants violés en masse. Et mes deux garçons aînés ont été tués par balles sous mes yeux en juin dernier par les milices des RSF, alors que je protégeais mes deux enfants plus jeunes dans mes bras », a-t-elle témoigné. Aujourd’hui, elle est devenue réfugiée au Tchad, et malgré cela, elle multiple ses efforts pour aider les populations civiles au Soudan. Zahra symbolise la résilience soudanaise, mais également la détresse des organisations locales qui ont du mal à survivre. D’où l’importance d’une coordination des organisations humanitaires et l’urgence de l’aide internationale.
Will Carter, directeur du Norwegian Refugee Council (NRC) au Soudan, tire la sonnette d’alarme. Il estime que le Soudan se dirige vers l’effondrement de l’Etat. En plus, selon lui, si les hostilités ne s’arrêtent pas, « le pays pourra d’ici un an subir la famine ». Il explique qu’il y a déjà près de 25 millions de personnes dans une situation précaire en termes d’alimentation, cela peut atteindre le reste de la population, explique-t-il. Son organisation est l’un des principaux sponsors de la conférence et l’une des seules organisations à continuer d’opérer sur le terrain avec plusieurs bureaux à travers le pays et elle compte ouvrir un nouveau bureau prochainement au Darfour, malgré la guerre. Pour lui, il n’y a aucun doute que la situation se détériore, déplorant le manque d’attention internationale envers la crise soudanaise d’autant plus que cette dernière pourrait affecter les pays voisins comme le Soudan du Sud ou encore l’Ethiopie. Il demande donc un accès rapide de l’aide humanitaire et espère que les visas bloqués seront octroyés aux membres des organisations humanitaires internationales.
En attendant, ce sont les organisations locales qui se battent au quotidien. Ce sont elles qui créent des centres médicaux ad hoc et trouvent des solutions créatives pour livrer les nécessités aux civils, mettant en danger leur propre vie. La conférence a donc salué leur persévérance et leur courage, qui donnent une lueur d’espoir au conflit soudanais. « Cette conférence n’est pas un événement unique mais le début d’un processus », a conclu Amgad Farid, PDG du think tank politique Fikra. « Il faut revitaliser la réponse à la crise humanitaire, insuffler l’espoir. Ce n’est pas supposé nous emmener au paradis, mais c’est supposé nous sauver de l’enfer ».
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