Alors que le monde suivait avec inquiétude les répercussions du coup d’Etat du Niger et le bras de fer entre ce dernier et la France, son ancien colonisateur, les développements au Gabon ont, l’espace de quelques jours, détourné l’attention. Ce pays de l’Afrique de l’Ouest est venu la semaine dernière allonger la liste des pays contaminés par l’épidémie de putschs qui sévit ces temps-ci en Afrique. Des militaires putschistes ont annoncé, mercredi 30 août, avoir mis « fin au régime en place » et avoir placé en résidence surveillée le président Ali Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 14 ans, juste après l’annonce officielle de sa victoire à la présidentielle organisée samedi 26 août pour un troisième mandat. Riche en pétrole, le Gabon est gouverné depuis plus d’un demisiècle par la famille Bongo.
A l’encontre de la situation au Niger, très agitée à l’intérieur avec les manifestations soutenant les militaires et dénonçant la présence française, le coup d’Etat au Gabon s’est déroulé dans le calme. Même les réactions internationales sont différentes. « Le coup d’Etat en cours au Gabon n’est pas de même nature que celui survenu fin juillet au Niger », a indiqué, jeudi 31 août, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Selon lui, les coups d’Etat ne sont pas la solution, mais il ne faut pas oublier qu’au Gabon, il y a eu des élections entachées d’irrégularités. Même l’attitude de la France a été très différente par rapport à sa réaction vis-à-vis du Niger. Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a déclaré : « La France condamne tous les coups de force (...). Pour autant, nous ne pouvons pas mettre sur le même plan la situation au Niger, où des militaires illégitimes ont destitué un président légitimement élu, et celle du Gabon, où le mobile avancé par les militaires est précisément le non-respect de la loi électorale et de la Constitution. Car de fait, et, je pèse mes mots, il existe des doutes sur la sincérité des élections dans ce pays ».
Situation calme au Gabon, toujours tendue au Niger
Alors que le président sortant a remporté l’élection présidentielle avec 64,27 % des suffrages exprimés, le groupe d’une douzaine de militaires gabonais qui ont mené le putsch a annoncé, dans un communiqué lu le 30 août sur la chaîne de télévision Gabon24, abritée au sein de la présidence, l’annulation des élections aux « résultats tronqués » et la dissolution de « toutes les institutions de la République ». Or, ils ont envoyé des messages pour rassurer, en confirmant leur « attachement au respect des engagements du Gabon à l’égard de la communauté internationale ». Ils ont également annoncé, samedi 2 septembre, la réouverture des frontières et le rétablissement d’Internet. Pour sa part, le général Brice Oligui Nguema, auteur du putsch qui s’est mis à la tête de la période transitoire et a prêté serment lundi 4 septembre, a promis de « réorganiser » les institutions dans un sens « plus démocratique » et plus respectueux « des droits humains ». La dissolution des institutions est « temporaire », a-t-il dit. Et d’affirmer qu’il « s’agit de les réorganiser afin d’en faire des outils plus démocratiques et plus en phase avec les normes internationales en matière de respect des droits humains, des libertés fondamentales, de la démocratie et de l’Etat de droit, mais aussi de lutte contre la corruption qui est devenue monnaie courante dans notre pays ».
Contrairement au Gabon, la situation actuelle au Niger, où le général Tiani a pris le pouvoir de force le 26 juillet, s’inscrit dans un contexte de retour de l’instabilité politique sur le continent, surtout en ajoutant à la scène le bras de fer qui se poursuit entre Paris et Niamey. Les manifestations soutenant les militaires se poursuivent à Niamey, demandant le départ des forces françaises face à l’obstination française à ne pas quitter le pays. Vendredi 1er septembre, le porte-parole du régime, le colonel-major Amadou Abdramane, a dénoncé des propos tenus le 28 août par Emmanuel Macron, estimant qu’ils constituaient une « ingérence supplémentaire flagrante dans les affaires intérieures du Niger ». Et d’ajouter : « Les incessants efforts » du président français « en faveur d’une invasion du Niger visent à perpétuer une entreprise néocolonialiste sur le peuple nigérien », a affirmé Abdramane dans un communiqué lu à la télévision nationale en dénonçant les accords militaires conclus avec Paris et rajoute à l’humiliation en exigeant le départ de l’ambassadeur français.
Le président français avait rappelé son soutien à la Cédéao et à son action militaire « quand elle le décidera ». La France a affirmé plusieurs fois son soutien à la Cédéao qui brandit depuis plusieurs semaines la menace d’une éventuelle intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger et libérer le président Mohamed Bazoum, retenu prisonnier au palais présidentiel depuis le putsch du 26 juillet.
Coup dur à la France
En effet, le coup d’Etat au Niger constitue également un coup dur à la France qui s’ajoute à sa position en particulier dans la région du Sahel. Paris misait beaucoup sur ce pays pour sa nouvelle stratégie au Sahel. Forcée de quitter le Mali et le Burkina Faso en 2022 et 2023, elle avait envoyé le gros de ses troupes au Niger (environ 1 500 soldats) afin de poursuivre sa lutte contre les groupes djihadistes dans la région. Pour la France, c’est la perte d’un allié géostratégique important. Et un camouflet anticolonialiste de plus. Côté économique, la situation politique incertaine du pays suscite des inquiétudes de la France et de l’Europe, d’autant plus que 25 % de toutes les importations d’uranium de l’UE provenaient du Niger, selon l’agence nucléaire de l’UE, Euratom (voir sous-encadré). Avant le Niger et le Gabon, la vague de putschs avait déjà touché la Guinée (septembre 2021), le Tchad (2021), le Burkina Faso (janvier et septembre 2022) et le Mali (août 2020). Ce qui est bien observé, c’est que la France est dénominateur commun dans tous ces pays qui étaient des excolonies françaises. Le sentiment anti-français est devenu un baromètre de taille pour mesurer le fossé qu’il y a entre les opinions publiques, le ressenti réel des populations et la mise en oeuvre des politiques publiques menées par les différents régimes, réputés comme proches du gouvernement français. Mais dans tout cela, la France est perdante plus que jamais.
Après la France, la Russie ?
Selon des observateurs, la sympathie de la rue envers ces coups d’Etat provient d’un refus croissant non seulement de la présence française, mais aussi des régimes au pouvoir depuis des décennies. Les jeunes générations qui souffrent du chômage et des conditions de vie très difficiles sont en tête de la contestation populaire. Selon Mohamed Abdel-Wahed, expert sécuritaire et spécialiste des questions africaines, la Russie tente de remplacer la France dans la région et exploite le sentiment antifrançais. Au cours de ces dernières années, l’Afrique a connu une transformation sociale et politique très rapide, sans doute l’effet d’Internet y étant pour quelque chose. Ce réveil brutal de la conscience africaine a commencé à bouleverser les perceptions traditionnelles de l’Europe. Ces récents événements donnent un signal fort à la fin de l’hégémonie occidentale dans les pays des ex-colonies françaises. La « révolution » qui est en marche en Afrique et qui sera difficile à contenir, tant les élites politiques ont du mal à satisfaire les attentes des jeunes, représentant près de 70 % de la population globale.

Risques sécuritaires
Cependant, dans une région comme le Sahel, cette instabilité n’est pas sans risques. C’est en effet une région où sévissent plusieurs groupes terroristes, dont Daech et Al-Qaëda. « Et ces groupes vont exploiter la situation pour étendre leur influence et recruter davantage parmi les jeunes, d’autant plus que la crise économique et les sanctions imposées aux nouveaux régimes n’arrangent pas les choses », estime Ahmed Askar, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et alors que dans cette région trouble, les narcotrafiquants et les terroristes surfent sur ce vent de désespoir pour enrôler des jeunes, la question qui inquiète désormais est : à qui le tour ?
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