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Vers un repositionnement français en Afrique

Sabah Sabet , (avec Agences) , Mercredi, 20 juillet 2022

Alors qu’elle retire sa force Barkhane du Mali, la France entend mettre en place une nouvelle stratégie militaire en Afrique pour y préserver sa position.

Vers un repositionnement français en Afrique
La nouvelle stratégie française consiste en un redéploiement de la force Barkhane au Niger.

Après des années de forte présence, la France est-elle prête à abandonner sa position en Afrique, surtout avec le sentiment anti-français qui s’accroît dans certains pays comme le Mali et la Centrafrique ? Il paraît que non, si on prend en considération la nouvelle stratégie pour l’Afrique annoncée la semaine dernière par le président français, Emmanuel Macron, ainsi que la visite prévue de ce dernier au Bénin et au Cameroun fin juillet. Cherchant à créer des relations plus fortes avec les armées africaines, mais tout en réorganisant ses forces militaires sur le continent, le président français a ouvert la porte à une transformation de l’offre militaire française en Afrique vers un dispositif plus discret, qui imposera de fait de revoir l’ensemble des dispositifs français en Afrique. « J’ai demandé au ministre et au chef d’état-major des armées de pouvoir repenser d’ici à l’automne l’ensemble de nos dispositifs sur le continent africain. C’est une nécessité stratégique, car nous devons avoir des dispositifs moins posés et moins exposés », a déclaré Macron à l’occasion de la Fête nationale du 14 Juillet.

Dans sa traditionnelle allocution au ministère des Armées, le chef de l’Etat français a affirmé sa volonté de « réussir à bâtir dans la durée une intimité plus forte avec les armées africaines, reconstruire une capacité à former, ici et là-bas », tout en restant en deuxième ligne, et alors que Paris veut préparer son armée aux conflits de haute intensité comme celui d’Ukraine. Le président Macron a par ailleurs évoqué la nécessité d’un « continuum entre notre offre diplomatique, nos actions rénovées pour le partenariat africain, nos actions de développement » en Afrique. « C’est un changement de paradigme profond », a-t-il martelé.

Pour redéfinir la stratégie militaire en Afrique et plus précisément au Sahel, ainsi que pour mettre l’accent sur les deux volets : l’un, civil, basé sur l’aide au développement, et l’autre, militaire, les ministres des Armées, Sébastien Lecornu, et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, ont entamé une visite du 14 au 16 juillet au Niger puis en Côte d’Ivoire pour expliquer aux différents partenaires les grandes lignes de la nouvelle stratégie. Cette visite officielle précède un déplacement, fin juillet, du président Macron dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.

En effet, ce changement de cap intervient alors que l’armée française est en passe de quitter le Mali à la fin de l’été, un retrait annoncé en février dernier. Il s’agit de 4 500 hommes et tout un arsenal qui, chaque année depuis les huit dernières années, dépensaient un budget de près d’un milliard d’euros. Cependant, certains Maliens et experts en sécurité qualifient d’échec la lutte française contre le terrorisme. En fait, le nord du Mali était tombé en marsavril 2012 sous la coupe de groupes djihadistes liés à Al-Qaëda, en grande partie chassés par l’opération Serval, lancée en janvier 2013 à l’initiative de la France. L’opération Barkhane a pris ensuite le relais en août 2014. Mais des zones entières échappent encore au contrôle des forces maliennes, françaises et de celles de l’Onu (Minusma), régulièrement visées par des attentats meurtriers. C’est ainsi que la France a annoncé en février dernier le retrait de la force Barkhane.

La nouvelle stratégie française consiste en un redéploiement de la force Barkhane au Niger, tout en laissant le haut commandement des opérations anti-djihadistes aux militaires nigériens. La France, ancienne puissance coloniale d’une partie des pays du continent, y maintient une forte présence militaire. Outre son engagement au Sahel, en pleine restructuration, elle a des éléments déployés au Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire et à Djibouti.

Influence remise en cause

Pourtant, depuis quelques années, la France se heurte à une forte résistance. L’influence française sur le continent est remise en cause ces derniers temps, surtout dans les pays francophones qui sont ses anciennes colonies. Certains de ces pays comme le Togo et le Gabon ont formulé le désir de rejoindre le Commonwealth britannique sans pour autant renoncer à la Francophonie. Une demande tout de même très commentée, notamment dans les cercles de la Francophonie. D’après Thierry Vircoulon, spécialiste de la politique africaine, « il y aura une grande difficulté à renouer de vrais partenariats sécuritaires avec beaucoup de pays africains qui sont maintenant très travaillés à la fois par des problèmes socioéconomiques qui leur sont propres et des influences étrangères qui sont très anti-françaises », explique le spécialiste dans un article publié au DW le 14 juillet. En outre, dans certains pays comme le Mali et la Centrafrique, le rôle russe devient de plus en plus clair, à travers les mercenaires de la compagnie Wagner qui sont chargés dernièrement de la question sécuritaire. Une présence bien accueillie publiquement dans ces deux pays où des déclarations antipolitique étrangère française se sont fait entendre ces derniers temps. Certaines autorités politiques affirment que ce sentiment émanerait de l’attitude de la France envers les pays africains.

Selon Amira Abdel-Alim, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, malgré tous les défis et l’opposition interne à l’intervention française en Afrique, Paris va lutter pour consolider sa position et chercher d’autres partenaires en Afrique, ce continent qui présente la principale source pour la France de certaines matières premières essentielles comme l’uranium et le phosphate. « Macron ne va pas commettre la faute de Sarkozy en s’éloignant du continent, au contraire, il va poursuivre la stratégie de rapprochement pour protéger au premier lieu les intérêts de la France », explique la spécialiste, en ajoutant que la visite prévue du président français au Bénin et au Cameroun s’accorde avec cette stratégie de rapprochement.

En effet, la visite prévue fin juillet au Bénin permettra de renforcer les liens de coopération avec la France. Plusieurs sujets d’intérêt commun seront également examinés, notamment politiques, économiques et sécuritaires. A noter que la dernière visite d’un chef d’Etat français au Bénin remonte à juillet 2015, sous François Hollande. Le président français doit également se rendre au Cameroun pour échanger avec son homologue, Paul Biya, sur des questions politiques et des enjeux sécuritaires, précisément la crise anglophone et la menace de Boko Haram dans le nord du pays. Toutefois, cette visite devrait être consacrée à la sécurité alimentaire. Elle interviendra aussi dans un contexte où le Cameroun est soupçonné par la France de se rapprocher de Moscou.

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