Dix ans d’intervention française et européenne, sous la couverture de lutte anti-djihadiste. Et pourtant, le Mali est toujours en proie à une menace sécuritaire. Pire encore, le bras de fer entre la junte arrivée au pouvoir en août 2020 et les anciens alliés européens du Mali ne cesse de prendre de l’ampleur. Cette semaine, ce bras de fer a atteint son apogée avec la décision de la junte au pouvoir de rompre les accords de défense avec la France et ses partenaires européens. Les autorités maliennes ont ainsi décidé, lundi 2 mai, de rompre les Accords de statut des forces (Status of Force Agreements, SOFA) qui fixent le cadre juridique de la présence au Mali des forces françaises Barkhane et européenne Takuba, ainsi que le traité de coopération en matière de défense conclu en 2014 entre le Mali et la France. Une décision justifiée par les « atteintes flagrantes », selon la junte, de la part des forces françaises présentes dans le pays à la souveraineté nationale et de « multiples violations » de l’espace aérien malien. Des accusations que la Russie a lancées au nom du Mali au Conseil de sécurité de l’Onu lors d’une réunion informelle tenue mardi 3 mai à huis clos sur le Mali sur demande russe.
En revanche, Paris considère toujours que l’accord est valide jusqu’au retrait du dernier soldat de Barkhane. La France « considère cette décision injustifiée et conteste formellement toute violation du cadre juridique bilatéral qui serait imputable à la force Barkhane », d’après un communiqué du 3 mai du ministère français des Affaires étrangères, assurant que la France poursuivra le retrait en bon ordre de sa présence militaire au Mali, annoncé en février dernier, « conformément aux engagements pris à l’égard de ses partenaires et dans un souci de coordination et de dialogue respectueux avec les forces armées maliennes ». A son tour, l’Allemagne, pays acteur dans la lutte anti-djihadiste au Mali, a confirmé, mercredi 4 mai, son arrêt de former des soldats maliens dans le cadre de la mission de l’Union européenne au Mali (EUTM). Par contre, elle reste disposée à contribuer à la mission de maintien de la paix des Nations-Unies (Minusma) si les conditions sont réunies, a déclaré la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht. Cette dernière a été claire en affirmant que l’implication des forces russes pour le compte de la junte au pouvoir « a rendu impossible la poursuite de la participation de l’armée allemande à l’EUTM au Mali ».
Les relations entre le Mali et l’Occident se sont nettement dégradées depuis que la junte au pouvoir à Bamako a reporté sine die les élections en février dernier, la France et ses partenaires européens ont alors annoncé leur décision de retirer leurs forces militaires du Mali, jugeant désormais impossible de coopérer avec la junte. De plus, l’accord de coopération de la junte avec le groupe paramilitaire privé russe Wagner, depuis fin 2021-début 2022, était l’étincelle qui a déclenché une autre crise. Jugeant ses forces comme mercenaires, la France et ses partenaires, qui dominaient la scène depuis des années, ont rejeté ce rôle russe qui pourra affecter leurs intérêts pas seulement au Mali, mais dans toute la région du Sahel. Si les autorités militaires le nient, plusieurs observateurs considèrent que le Mali est dans une logique de diversification de sa coopération militaire avec d’autres Etats comme la Russie ou la Chine.
Quelle alternative aux forces française et européenne ?
Alors avec la dégradation des relations entre Bamako et ses anciens alliés et le risque de donner lieu à un vide sécuritaire, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, a jugé nécessaire de maintenir une mission internationale au Mali pour empêcher le pays de s’effondrer, en plaidant pour une force africaine avec un mandat onusien plus robuste. « La situation réelle, c’est que, sans la Minusma, le risque d’écroulement du pays serait énorme », a dit Guterres, auquel la radio française RFI demandait, dans un entretien diffusé mercredi et jeudi, 4 et 5 mai, s’il demanderait le renouvellement du mandat de la Minusma. « Je ne vais pas proposer qu’on termine cette mission, parce que je crois que les conséquences seraient terribles. Mais elle se déroule dans des circonstances qui, vraiment, demanderaient (non) pas une force de maintien de la paix, mais une force robuste d’imposition de la paix et de la lutte antiterroriste », a indiqué Guterres, en insistant sur le fait que cette force robuste soit une force africaine, de l’Union africaine, mais avec un « mandat du Conseil de sécurité sous chapitre 7 et avec un financement obligatoire », a-t-il dit. Le chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies permet le recours à la force armée en cas de menace contre la paix. En effet, les pays africains sont les plus gros contributeurs de la Minusma en soldats. Mais la Minusma est critiquée pour les limites de son mandat et différents dirigeants africains réclament des prérogatives plus fortes.
Le Conseil de sécurité doit en outre se pencher en juin prochain sur le renouvellement du mandat de la Minusma qui, créée en 2013, déploie environ 13 000 soldats et des milliers de policiers et personnels civils dans ce pays secoué par les violences, djihadistes notamment.
Nouvelle médiation avec la Cédéao
Outre la crise avec la France, le désaccord entre le pouvoir au Mali et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’est toujours pas réglé. Cependant, un nouveau médiateur est désormais à la manoeuvre : le président du Togo, Faure Gnassingbé, qui a accepté d’être le médiateur dans la crise politique au Mali au moment où la junte militaire malienne est l’objet de pressions pour rétablir un régime civil. C’est ce qu’ont annoncé les ministres togolais et malien des Affaires étrangères, suite à une visite du chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, à Lomé mercredi 4 mai.
Le gouvernent de transition, croulant sous le poids des sanctions de la communauté ouest-africaine, n’a pas voulu respecter le calendrier fixé par la Cédéao pour rendre le pouvoir aux civils. Une position qui asphyxie le Mali. C’est dans cette quête de sortie de crise que « nous avons, au nom du président de la Transition, sollicité le président Faure Gnassingbé (…) pour faciliter le dialogue avec les acteurs régionaux, et plus largement le dialogue avec l’ensemble de la communauté internationale, pour trouver un compromis pouvant nous permettre de sortir de la crise », a déclaré Diop. Selon ce dernier, la situation dans laquelle se trouve le Mali « nécessite qu’on fasse preuve de génie politique », ajoutant qu’en raison de la situation sécuritaire et du besoin de réformes, le Mali avait besoin de 24 mois pour rétablir l’ordre constitutionnel.
En attendant que ces tentatives réussissent, la population subit les effets de l’aggravation d’une crise à la fois sécuritaire et économique.
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