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Amira Abdel-Halim : Les interventions militaires étrangères n’ont jamais abouti à de vraies solutions

Propos recueillis par Sabah Sabet, Mardi, 15 juin 2021

Amira Abdel-Halim, experte des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, revient sur les répercussions de la décision de Paris de mettre fin à l’opération Barkhane au Sahel dans la lutte antiterroriste. Entretien.

Emmanuel Macron a parlé d’une « profonde transformation  » de la présence de son armée dans le Sahel
Emmanuel Macron a parlé d’une « profonde transformation  » de la présence de son armée dans le Sahel.

Al-Ahram Hebdo : Le président français, Emanuel Macron, a annoncé la fin de l’opération Barkhane dans la région du Sahel et évoqué une « profonde transformation ». Pourquoi une telle décision après 8 ans d’existence française dans le cadre de la lutte antiterroriste et de quels changements s’agit-il ?

Amira Abdel-Halim: Bien que la France ait pu réaliser des succès sur le terrain, et qu’elle ait pu cibler plusieurs leaders de groupes djihadistes qui se trouvent dans la région, ces derniers ne cessent de croître. En outre, sur le plan intérieur, les critiques se multiplient à cause de pertes humaines dues à cette intervention. N’oublions pas non plus le coût financier de cette présence militaire qui suscite le mécontentement des Français. Mais la fin de l’opération Barkhane ne signifie pas un désengagement total de la France. Macron a parlé d’une « profonde transformation » de la présence de son armée dans le Sahel, car il estime que les opérations en cours ne sont plus adaptées à la situation actuelle. Des bases seront fermées au profit de forces spéciales internationales pour lutter contre le terrorisme. L’opération Barkhane pourrait être remplacée par une opération militaire internationale comme le groupement de forces spéciales européennes. Celle-ci continuerait de venir en appui des armées des pays sahéliens.

— L’annonce française n’est cependant pas sans lien avec les récents événements au Mali, mais aussi au Tchad …

— Certainement, la France a perdu l’un de ses alliés importants avec la mort de l’ancien président tchadien Idriss Deby. Son fils, qui lui a succédé au pouvoir, ne possède ni la même puissance, ni la même expérience. Mais le plus inquiétant pour la France, c’est la situation sécuritaire au Mali, notamment après le dernier coup d’Etat. Cette instabilité politique va de pair avec la grogne populaire malienne, de plus en plus grande, contre la présence française. Celle-ci date de 2013 avec les opérations Serval puis Barkhane. Or, depuis cette date, la situation sécuritaire ne s’est pas vraiment améliorée, alors que la situation économique et sécuritaire est désastreuse. Le Mali est actuellement l’un des plus pauvres pays de la région et du monde. En fait, la France a profité de ces changements politiques régionaux pour sortir du bourbier du Sahel.

— Cela signifie-t-il qu’elle en sort perdante ?

— Non, lors de sa présence sur place, la France a pu protéger ses intérêts. Il suffit de savoir par exemple que plus du quart des besoins français en uranium et en pétrole vient de la région, notamment du Mali et du Nigeria. Sur le plan international, la France est apparue dernièrement comme une puissance dont les décisions étaient indépendantes des décisions européennes ou internationales. Sur le terrain, la lutte antiterroriste a donné des résultats, mais elle n’a pas pu mettre fin aux groupes djihadistes. Et la France a subi des pertes humaines.

— Les forces africaines pourront-elles combler le vide ? Peuvent-elles lutter efficacement contre le terrorisme ?

— Malheureusement la plupart des armées africaines n’ont pas suffisamment d’expérience dans la lutte antiterroriste. Il y a aussi un manque de moyens financiers. Même l’Union Africaine (UA) ne pourra fournir le financement nécessaire, d’autant plus que plusieurs pays africains ne sont même pas capables de payer leurs obligations financières envers l’UA.

— Comment sortir de cette impasse ?

— Il faut tout d’abord que la communauté internationale respecte ses engagements envers le continent, car le danger terroriste n’est pas limité à cette région. Sur le plan africain, il faut que l’UA trouve de nouvelles sources de financement pour la lutte antiterroriste. Sur le plan militaire à proprement dit, des pays comme l’Egypte et l’Algérie peuvent aider à l’entraînement des forces africaines, car ils ont une longue expérience dans la lutte antiterroriste. En outre, la lutte contre la corruption est la solution la plus importante, afin de mettre fin aux maux des Africains. Tout compte fait, les interventions militaires étrangères n’ont jamais abouti à de vraies solutions, de plus, elles provoquent le mécontentement des peuples qui le considèrent comme une sorte de colonisation. Donc, il faut que les Africains dépendent d’eux-mêmes.

— Oui, mais concrètement parlant, quand un pays se retire, un autre prend sa place …

— C’est vrai, d’ailleurs, des manifestations ont eu lieu au Mali réclamant une aide russe. Et la Russie, qui redevient une puissance mondiale depuis quelques années, tente de s’implanter en Afrique. Avec le retrait français et un certain désengagement américain, elle risque d’avoir les mains libres …

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